Le Boucher

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Pourquoi on a aimé ?

Horreur, atmosphère forte, psychologie, humour, sens du détail ; on dirait que ce texte a tout pour plaire ! Ce portrait d'un boucher au cœu

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Des textes souvent noirs, un intérêt particulier porté à la psychologie des personnages. Côté Nouvelle, des prix, des publications en revue et un recueil "Reste avec moi" chez ... [+]

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Nouvelles :
  • Imaginaire
  • Policier & thriller
Le cochon le regardait droit dans les yeux. C'est dingue ce que ça peut avoir un regard doux, un cochon...
Au bout d'un moment, il détourna la tête, vaguement gêné, et haussa les épaules.
— Pfff... ça va pas bien moi !
Il avait du boulot, pas le moment de traîner. Il saisit devant lui un grand couteau à la lame brillante et, de l'autre main, il attrapa la tête par l'une de ses oreilles. Elle était lourde et légèrement visqueuse. Glacée, aussi, et il pesta contre le thermostat de la chambre froide qui était détraqué sans qu'il parvienne à comprendre pourquoi. Il dut forcer pour raffermir sa prise, grimaça sous l'effort, posa la tête devant lui, enfin. Mais à l'envers. Un truc avec les yeux, il ne savait pas trop...
Il venait à peine de reprendre la boucherie. Jamais il n'aurait imaginé que ce serait si dur. En vrai, à part débiter de la viande en morceaux, il n'avait pas réfléchi à ce que ça impliquait de tenir une boucherie. Les fournisseurs à rencontrer, les livraisons aux premières de l'aube et, surtout, les clients qui se faisaient rares... Sûrement pour ça que le patron était devenu chèvre, et il se mit à rire. Des chèvres, ça non, il n'en vendait pas. Mais pourquoi pas, après tout... Toute viande est bonne à manger, pas vrai ?
Bon, le patron, c'était pas ça qui l'avait rendu chèvre. Non. C'était plutôt ces trucs, là, sur la devanture. Des trucs peints la nuit, on ne savait pas par qui. Il nettoyait en pestant, mais en vrai, ça l'avait affecté, le patron. Pourquoi ils me font ça, tous ces végétariens, il demandait. Lui, il ne savait pas quoi répondre alors il haussait les épaules.
Ce matin, à son tour, il avait vu les traces sur le mur. De longues traînées rouges. Il avait secoué la tête et avait pris le jet. Du sang, on aurait dit...
Il planta le couteau dans la tête du cochon. Se mit à siffloter.
Il aimait bien le métier. Découper la viande, en tout cas, parce que le reste, les fournisseurs, tout ça, ce n'était pas son truc. Mais il l'avait dit ça, déjà... Non, lui son truc, c'était de découper la viande. Il avait travaillé dans un abattoir, une fois. Mais ce n'était pas pareil, il n'avait pas aimé. Un truc avec les animaux... Peut-être leur regard au moment de frapper, le frémissement de leurs membres encore chauds... Ou bien les gargouillis qui s'échappaient parfois de leur gorge. Comme un appel à l'aide. Une supplication, presque. Les autres le traitaient de chochotte et peut-être qu'ils avaient raison. À la ferme des parents, déjà, il n'aimait pas bien quand sa mère allait derrière la grange pour tuer un lapin. Il savait comment elle faisait. Elle arrachait un œil. C'était pour son civet, elle disait. Il faut garder le sang, tu vois ? Il ne regardait pas, mais il voyait, oui. Le lapin, lui, pas sûr que ça lui plaisait trop l'histoire du civet, mais qui a dit qu'il avait droit à la parole le lapin, hein ?! Il secoua la tête, s'agaçant de sa sensiblerie. À la boucherie, au moins, pas de souci, ils étaient déjà morts. Il haussa les épaules.
Un tic qu'il avait pris depuis pas très longtemps, de hausser les épaules. Depuis qu'il était à la boucherie, tiens ! La fatigue, sûrement... Le patron aussi il avait plein de tics. À la fin, surtout. Tout le temps à se retourner comme s'il avait eu quelqu'un dans son dos. À vérifier la porte dix fois, vingt fois ! Pour sûr, ça tournait pas très rond. Même que le médecin qui était venu un jour avait dit que ce n'était pas des tics qu'il avait, le patron, mais des tocs, et que c'était plus grave... Lui, il ne savait pas trop.
Y a plus rien qui marchait bien, faut dire, dans la tête du patron. La preuve, il avait dit qu'un soir qu'il était dans la chambre froide, il avait vu une dinde se relever. Une dinde ! Déplumée qu'elle était, la dinde, avec l'étiquette encore collée sur le dos – c'était avant Noël, c'est pour ça –, et elle le regardait. Elle le narguait, même, c'est ce qu'il avait dit. Bon, sûrement le froid, là-dedans, qui l'avait perturbé. Le thermostat avait dû se dérégler, encore. C'était plus une chambre froide, ce truc, mais un congélateur ! C'était de pire en pire. Moins une et il y serait resté ! La fatigue et le froid, ça fait pas bon ménage, hein ?!
N'empêche, ça lui avait fichu une sacrée trouille, au patron. Il était plus pareil après. Il n'était pas si vieux pourtant, même s'il perdait la tête à force de fatigue. Assez vieux pour partir en retraite, en tout cas, et l'affaire s'était faite. Il n'en revenait pas de sa chance ! Bon, c'est sûr, la boucherie aurait eu besoin de sacrés travaux et là, tout de suite, il n'avait pas les moyens. Mais dès qu'il pourrait, le premier truc qu'il ferait, c'est installer un nouveau thermostat ! Il frissonna. Se demanda s'il couvait quelque chose.
Il haussa les épaules et attaqua la bête. Découpa proprement une première oreille. La seconde, ensuite. Travailla un moment avant de s'arrêter.
C'était quoi, ce bruit ? Il tendit l'oreille et parla au cochon, devant lui.
— C'est pas toi qui pourrais tendre l'oreille, maintenant, hein ?!
Il rit, mais se tourna, néanmoins, regarda par-dessus son épaule. Il pensa au patron et sa dinde revenante. Ricana, puis haussa les épaules, à nouveau. Non. Il n'y avait aucun bruit. La fatigue qui lui jouait des tours, à lui aussi. Ou alors, c'était juste l'immeuble qui craquait. Oui, c'était sûrement ça. Tout était tellement vieux, ici.
Il posa son couteau, saisit la tête à deux mains – même sans les oreilles, elle pesait son poids, la garce ! – et la tourna vers lui, cette fois. Au tour du museau, maintenant. Il reprit son couteau, le leva, et arrêta son geste. Le regard du cochon était posé sur lui. Ses yeux tellement vivants...
À cet instant précis, il sentit quelque chose dans son dos. Il sursauta et s'entailla le pouce.
— Merde !
Le sang coulait, chaud et poisseux. Du coin de l'œil, il crut voir une ombre glisser, mais la tête lui tourna et la pièce, autour, se troubla légèrement. À travers le flou, il aperçut la tête du cochon posée sur le billot. Nom d'un chien, on aurait vraiment dit qu'elle le regardait ! Perturbé, il jeta le couteau et d'un pas chancelant, alla vers l'évier en serrant fort son doigt. Attrapa un torchon, l'enroula autour de son pouce. Respira profondément. Il fallait qu'il se repose. À ce rythme, il ne tiendrait jamais...
C'est là qu'il entendit le bruit, à nouveau. Instinctivement, il leva la tête vers le plafond. Mais non, le bruit ne venait pas d'en haut. Il se redressa.
— Manquerait plus que j'aie des souris, maintenant !
Se précipitant vers la boutique, il passa devant la chambre froide et s'immobilisa. La porte était entrouverte. Il l'avait bien fermée, pourtant, en sortant le cochon. La fatigue, encore ? Il fronça les sourcils. L'ombre qu'il avait aperçue lui revint en mémoire et l'histoire de la dinde, ensuite. Il se souvint alors de ce lapin qu'il était sûr d'avoir sorti du carton, mais qui, pourtant, avait disparu. L'agneau, aussi, qu'il avait retrouvé près de la porte d'entrée. Ils étaient morts, pourtant, aussi morts qu'on peut l'être... Alors quoi ? Il secoua la tête. Écarta d'un geste nerveux toutes les images qui venaient malgré lui. D'un geste brusque, il saisit la poignée. Entra.
Le froid le saisit instantanément. Il devait faire moins quinze, là-dedans ! Il jura entre ses dents, tâtonna pour trouver la lumière et puis s'arrêta net. Devant lui, les têtes alignées sur l'étagère étaient tournées vers lui. Leurs regards le fixaient. Des regards de cochons, de lapins, moutons et autres volailles. Saisi, il ne fit aucun geste. Même lorsqu'ils se redressèrent, tous. Même lorsque, derrière lui, la porte se referma.

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