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départ de l'aimée
La vieille dame qui lisait pour ne pas mourir
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Lauréat
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Chaque matin à son réveil, la vieille dame habille son visage d'un sourire. Elle ne se lasse pas de la promesse d'une journée qui commence, elle qui en a vécu tant et tant, depuis sa naissance. Quatre-vingt-dix-huit ans qui ont passé si vite ! Ce sourire est un remerciement à la vie. Un jour de plus vient s'ajouter à la très longue cohorte de ceux qui le précèdent dans la vie de Louise. Elle jette un œil à sa table de chevet sur laquelle trône un court roman, dont dépasse un long marque-page jaune. Elle était trop fatiguée, hier soir, pour terminer le livre, qu'elle choisit de plus en plus court.
C'est un sentiment d'angoisse qui la torture, quand elle éteint la lampe, avant de partir pour une nuit sans rêves. Rejoindre le ciel dans son sommeil, sans avoir pu terminer le roman posé là, elle ne se le pardonnerait pas. Cela explique les romans trop courts, écrits en gros caractères par cette romancière, toute de noir vêtue, comme son extravagant chapeau, son ultime signature. Le nom lui échappe dans l'instant. C'est un peu normal, songe-t-elle. Comment une seule tête pourrait-elle conserver les souvenirs d'une si longue vie. Les noms, les lieux et les dates, mais aussi toutes ces histoires lues, depuis sa tendre enfance, et dont le souvenir flotte parfois à la surface de sa mémoire, lui donnant l'envie de se replonger dans ces pages tant appréciées.
Sa lecture sera achevée avant l'heure du déjeuner. Elle sait déjà quel roman prendra la relève, roman dans lequel elle glissera, avec angoisse et appréhension, le même marque-page qu'elle désire si fort retrouver le lendemain. Marque-page comme le relais qui permet le passage vers demain...
Je l'ai remarquée, l'angoisse de Louise, au moment de poser à regret son roman pour la nuit. La peur de ne pas le terminer, de rejoindre le ciel, comme elle dit, dans son sommeil. Louise, je la connais depuis toujours. Enfin depuis le jour de sa naissance, dans cette vie. Alors cette angoisse m'attriste. Elle ne mérite pas ça, la vieille dame qu'elle est devenue.
Cette petite main décharnée qui glisse le bout de carton entre deux pages, avec l'espoir de le retrouver à son réveil... de pouvoir reprendre sa lecture. Je ferai tout pour que toujours, elle puisse arriver à la dernière page de ces livres qu'elle aime tant... qui sont ses fidèles compagnons...
Une nouvelle matinée commence, qui met en joie Louise. Comme tous les matins, mais plus que les autres jours. Il s'est passé quelque chose d'étrange cette nuit, quelque chose qu'elle veut raconter à Émilie, la jeune femme qui vient l'aider pour sa toilette et les gestes qui lui permettent de démarrer sa journée, sa lecture...
Elle ne sait pas trouver les bons mots. Elle ne rêve plus ou bien elle ne se souvient plus de ses rêves à son réveil, mais ce matin, c'est différent ! Alors, elle explique à Émilie, d'un ton léger avec l'air de ne pas y toucher, qu'elle a rêvé cette nuit. Un beau jeune homme l'a rassurée, il est son Ange gardien. Elle sentait une bienveillance à son égard, comme jamais elle n'en avait connu. Il lui fit la promesse que, jamais, elle ne partirait pour le ciel dans son sommeil. À ces mots, le visage de Louise s'éclaira, elle retrouva ses yeux rieurs de petite fille espiègle. Elle faisait toute confiance à cette apparition porteuse d'une si belle nouvelle... mais la jeune femme haussa imperceptiblement les épaules. Elle ne la croyait pas, c'était évident, elle mettait cette rencontre rêvée sous le signe du grand âge...
La vieille dame parla également de son rêve merveilleux, qui lui ôtait l'angoisse du sommeil, à sa fille. Fille, qui se contenta d'un léger soupir, qui rejoignait le geste d'Émilie dans la même appréciation...
Le soir d'après notre rêve, je contemplais Louise. Elle avait du mal à conserver ses paupières ouvertes, partagée entre l'envie de terminer son roman et le relent d'angoisse qui subsistait. Le souvenir de son rêve la rassura. Et c'est en confiance qu'elle glissa le carton entre les pages, sans plus aucune appréhension. Elle s'endormit vite ce soir-là. J'étais ravi de constater qu'elle n'avait pas ôté le charmant sourire qui habillait son visage. Cela faisait longtemps qu'il la quittait dès la lampe éteinte.
Louise s'était réveillée en pleine forme pour quelqu'un de son âge, impatiente de reprendre sa lecture. Elle était songeuse et contempla longuement le mur qui faisait face à son lit, qui disparaissait sous les empilements de livres. Ils étaient rangés dans un classement que seule la vieille dame connaissait. Selon ses goûts, une certaine bienséance également, pour ne pas respecter un ordre alphabétique qui pouvait faire cohabiter des auteurs, trop différents, pour bien voisiner.
Elle jeta à ses livres un regard plein d'une gourmandise ressuscitée... À quatre-vingt-dix-huit ans, Louise avait une entière confiance en la vie et l'avenir...
L'Ange constata très vite un changement dans les lectures de Louise. Terminés les romans qui ne dépassaient pas les cent trente pages. La vieille dame replongeait avec gourmandise dans les ouvrages... de poids... « Guerre et Paix » de Tolstoï, « Les frères Karamazov » de Dostoïevski, mais aussi « les mémoires d'Hadrien » de Yourcenar. Il la voyait lorgner avec envie vers les tomes de « La Recherche... ». Elle ne rechignait plus à lire simplement pour frissonner d'une bonne intrigue, les thrillers de ses jeunes contemporains, qui pourraient être ses petits-enfants, et dont la crudité de certaines scènes la laissait perplexe. L'Ange avait réussi à l'apaiser au-delà de ses propres espérances.
Je l'observais chaque soir, quand Louise posait son roman dans lequel elle avait glissé en toute confiance le carton jaune comme les tournesols, certaine de le retrouver le lendemain à son réveil. Elle s'endormait, un sourire encore accroché à son visage apaisé. Elle était pénétrée d'une énergie qui était capable de lui faire relire toute sa bibliothèque. Je songeais que notre « pacte » allait faire d'elle la nouvelle doyenne de l'humanité...
C'est un sentiment d'angoisse qui la torture, quand elle éteint la lampe, avant de partir pour une nuit sans rêves. Rejoindre le ciel dans son sommeil, sans avoir pu terminer le roman posé là, elle ne se le pardonnerait pas. Cela explique les romans trop courts, écrits en gros caractères par cette romancière, toute de noir vêtue, comme son extravagant chapeau, son ultime signature. Le nom lui échappe dans l'instant. C'est un peu normal, songe-t-elle. Comment une seule tête pourrait-elle conserver les souvenirs d'une si longue vie. Les noms, les lieux et les dates, mais aussi toutes ces histoires lues, depuis sa tendre enfance, et dont le souvenir flotte parfois à la surface de sa mémoire, lui donnant l'envie de se replonger dans ces pages tant appréciées.
Sa lecture sera achevée avant l'heure du déjeuner. Elle sait déjà quel roman prendra la relève, roman dans lequel elle glissera, avec angoisse et appréhension, le même marque-page qu'elle désire si fort retrouver le lendemain. Marque-page comme le relais qui permet le passage vers demain...
Je l'ai remarquée, l'angoisse de Louise, au moment de poser à regret son roman pour la nuit. La peur de ne pas le terminer, de rejoindre le ciel, comme elle dit, dans son sommeil. Louise, je la connais depuis toujours. Enfin depuis le jour de sa naissance, dans cette vie. Alors cette angoisse m'attriste. Elle ne mérite pas ça, la vieille dame qu'elle est devenue.
Cette petite main décharnée qui glisse le bout de carton entre deux pages, avec l'espoir de le retrouver à son réveil... de pouvoir reprendre sa lecture. Je ferai tout pour que toujours, elle puisse arriver à la dernière page de ces livres qu'elle aime tant... qui sont ses fidèles compagnons...
Une nouvelle matinée commence, qui met en joie Louise. Comme tous les matins, mais plus que les autres jours. Il s'est passé quelque chose d'étrange cette nuit, quelque chose qu'elle veut raconter à Émilie, la jeune femme qui vient l'aider pour sa toilette et les gestes qui lui permettent de démarrer sa journée, sa lecture...
Elle ne sait pas trouver les bons mots. Elle ne rêve plus ou bien elle ne se souvient plus de ses rêves à son réveil, mais ce matin, c'est différent ! Alors, elle explique à Émilie, d'un ton léger avec l'air de ne pas y toucher, qu'elle a rêvé cette nuit. Un beau jeune homme l'a rassurée, il est son Ange gardien. Elle sentait une bienveillance à son égard, comme jamais elle n'en avait connu. Il lui fit la promesse que, jamais, elle ne partirait pour le ciel dans son sommeil. À ces mots, le visage de Louise s'éclaira, elle retrouva ses yeux rieurs de petite fille espiègle. Elle faisait toute confiance à cette apparition porteuse d'une si belle nouvelle... mais la jeune femme haussa imperceptiblement les épaules. Elle ne la croyait pas, c'était évident, elle mettait cette rencontre rêvée sous le signe du grand âge...
La vieille dame parla également de son rêve merveilleux, qui lui ôtait l'angoisse du sommeil, à sa fille. Fille, qui se contenta d'un léger soupir, qui rejoignait le geste d'Émilie dans la même appréciation...
Le soir d'après notre rêve, je contemplais Louise. Elle avait du mal à conserver ses paupières ouvertes, partagée entre l'envie de terminer son roman et le relent d'angoisse qui subsistait. Le souvenir de son rêve la rassura. Et c'est en confiance qu'elle glissa le carton entre les pages, sans plus aucune appréhension. Elle s'endormit vite ce soir-là. J'étais ravi de constater qu'elle n'avait pas ôté le charmant sourire qui habillait son visage. Cela faisait longtemps qu'il la quittait dès la lampe éteinte.
Louise s'était réveillée en pleine forme pour quelqu'un de son âge, impatiente de reprendre sa lecture. Elle était songeuse et contempla longuement le mur qui faisait face à son lit, qui disparaissait sous les empilements de livres. Ils étaient rangés dans un classement que seule la vieille dame connaissait. Selon ses goûts, une certaine bienséance également, pour ne pas respecter un ordre alphabétique qui pouvait faire cohabiter des auteurs, trop différents, pour bien voisiner.
Elle jeta à ses livres un regard plein d'une gourmandise ressuscitée... À quatre-vingt-dix-huit ans, Louise avait une entière confiance en la vie et l'avenir...
L'Ange constata très vite un changement dans les lectures de Louise. Terminés les romans qui ne dépassaient pas les cent trente pages. La vieille dame replongeait avec gourmandise dans les ouvrages... de poids... « Guerre et Paix » de Tolstoï, « Les frères Karamazov » de Dostoïevski, mais aussi « les mémoires d'Hadrien » de Yourcenar. Il la voyait lorgner avec envie vers les tomes de « La Recherche... ». Elle ne rechignait plus à lire simplement pour frissonner d'une bonne intrigue, les thrillers de ses jeunes contemporains, qui pourraient être ses petits-enfants, et dont la crudité de certaines scènes la laissait perplexe. L'Ange avait réussi à l'apaiser au-delà de ses propres espérances.
Je l'observais chaque soir, quand Louise posait son roman dans lequel elle avait glissé en toute confiance le carton jaune comme les tournesols, certaine de le retrouver le lendemain à son réveil. Elle s'endormait, un sourire encore accroché à son visage apaisé. Elle était pénétrée d'une énergie qui était capable de lui faire relire toute sa bibliothèque. Je songeais que notre « pacte » allait faire d'elle la nouvelle doyenne de l'humanité...

Pourquoi on a aimé ?
À travers le portrait de Louise, attachante et sensible vieille dame, ce récit nous parle du pouvoir de la lecture. Il nous rappelle l'importance
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Pourquoi on a aimé ?
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