Cornélian observait la mer. Immobile, pensif, véritable statue sur son rocher, le cormoran était en proie à un singulier conflit interne. Un conflit de cormoran. Avait-il fait le bon choix ... [+]
Gus, la prime, il s'en fout. Tout ce qui l'intéresse c'est la traque et son aboutissement fatal. Nuisible ou pas, c'est pareil. Un tueur à gages de pacotilles. La honte du métier.
Le soleil a déjà dépassé l'horizon et la nuit ne va pas tarder. Ciel de traîne, temps instable. Un quart d'heure qu'il cherche. Il a tout retourné, persuadé d'être au bon endroit. Comment aurait-il pu se tromper ? La pluie s'intensifie mais ne freine en rien ses ardeurs. Mieux, elle aiguise ses sens. L'urgence guette. Il est moins bon dans l'obscurité. Il est moins bon tout court.
Là-bas, son binôme l'attend avec impatience. Avec les années, ils ont atteint une complicité qui se passe de mots. Il ne compte plus les sorties, à l'aube ou à l'aurore, leur connivence toujours renouvelée. Il voit cependant parfois, depuis quelque temps, la déception dans son regard, quelque chose qui s'étiole. Alors il continue à chercher.
À une centaine de mètres à peine Gus écoute. Il a encore perdu un peu d'audition, sa dernière visite à la médecine du travail le lui a confirmé. Dans le silence qui règne ici, ce n'est pas très important. Gus vieillit. Il n'est pas le seul, mais ça le touche ces petits rappels à l'ordre. Dans sa tête, il a toujours trente ans. Il perçoit au loin les bruissements de son acolyte. Il a laissé le soin à Bobby de récupérer le fuyard, même s'il considère qu'il a de plus en plus tendance à traîner. Ils vont encore rentrer à pas d'heures.
Bobby a déniché le trésor. Il l'avait vu tomber moins loin. Il s'en saisit fermement et peut se diriger vers le point de rendez-vous. La journée a été longue, la charge est pesante. Il fatigue. Enfin, il lâche son butin dont Gus s'empare et comme un vieux couple, ils s'en retournent en silence rejoindre la camionnette. Mission accomplie.
Bobby jette un œil à Gus, concentré derrière son volant. S'il entend mal, il ne voit pas beaucoup mieux. Il se refuse à consulter. Il préfère s'en tenir aux loupes de lecture à cinq euros qu'il déniche à droite à gauche. Avant de démarrer, Gus l'a gratifié d'une tape sur l'épaule, signe d'une amorce de satisfaction. Bobby s'en contente. Il commence à avoir faim.
Gus est attentif à la route. Sur ces petites départementales, dans l'obscurité, il vaut mieux. Dans l'habitacle exigu de la guimbarde, malgré la vitre ouverte, il se fait la remarque que Bobby pue. Il ne va rien lui dire. D'une part ce ne serait pas d'une grande utilité, et d'autre part il est persuadé que Bobby n'en a rien à foutre. Fini le temps où il courrait les filles. Au final, ils sont pareils pense-t-il. Lui aussi en a terminé avec les galipettes. La différence ne tient qu'à l'odeur, au respect de soi-même.
Avant même le dernier virage, Bobby devine qu'ils atteignent leur camp de base. En pleine nuit, comme maintenant, il a cette faculté de savoir avant les autres. Au moins, il n'a pas perdu ça. Lorsqu'ils partent en vadrouille, c'est toujours Gus qui conduit. Il ne comprend pas comment il fait pour s'y retrouver. Chacun sa méthode. Lui, il regarde à droite, à gauche. Il est paumé tout le long du trajet, sauf à l'arrivée, et ça l'excite. Gus, lui, ne donne jamais aucun signe.
Dans un crissement de graviers, l'utilitaire bien pourri par la rouille s'immobilise. Gus envoie un coup d'épaule pour ouvrir la portière récalcitrante, souvenir d'un retour tumultueux. Il n'a senti qu'une petite pointe au creux des reins, mais sait que les faux mouvements sont traîtres pour son dos. Il retrouve la terre ferme et se redresse doucement. Bobby le suit, vigilant. Gus traîne le cadavre encore souple jusqu'à l'intérieur.
Gus pose son arme, se libère de ses bottes collantes de boues et enfile une paire de charentaises. Il apprécie leur confort. Bobby n'a pas ce genre d'attention. Il se précipite pour boire une bolée, en attendant mieux, et plus consistant. Il se tourne vers Gus qui s'est affalé dans son fauteuil et n'a pas l'air pressé de rejoindre la cuisine. Il reste là, perdu dans la contemplation de ses trophées. Chacun ses priorités. Bobby patiente, il sait faire.
Gus recompte une dernière fois, il n'est plus qu'à une unité du premier palier. C'est bien déjà, même s'il vise le record. La prime, il s'en fout. Tout le monde le sait. Il allume le vieux poste à transistors calé depuis toujours sur la radio locale. C'est l'heure des infos. Bobby trépigne. Deux jours qu'il n'a rien avalé.
Gus n'en revient pas de ce qu'il vient d'entendre. Les couilles molles de la fédé ont renoncé*. Il se redresse et abat un poing rageur sur la table à côté de lui. Une douleur fulgurante lui traverse le corps et le plie en deux. Il renverse tout et effraie Bobby.
Gus est très fier se son fusil. Il l'a équipé d'un stecher. C'est sensible ces petites bêtes. Peu respectueux des usages en matière de sécurité, son arme est restée chargée. Elle valdingue, et le coup part. En pleine tronche. Fin de partie.
Bobby a mis quelques heures à sortir de sa cachette. Il s'est approché, a flairé, puis, tiraillé par ses intestins, il a fini par goûter.
_____
* En 2018, la fédération de chasse de Charente-Maritime eut la bonne idée d'instaurer une prime au mérite pour inciter ses adhérents aux « prélèvements » des renards. Devant le tollé suscité par cette annonce, elle retira sa proposition dès le lendemain. Trop tard pour Gus...
Le soleil a déjà dépassé l'horizon et la nuit ne va pas tarder. Ciel de traîne, temps instable. Un quart d'heure qu'il cherche. Il a tout retourné, persuadé d'être au bon endroit. Comment aurait-il pu se tromper ? La pluie s'intensifie mais ne freine en rien ses ardeurs. Mieux, elle aiguise ses sens. L'urgence guette. Il est moins bon dans l'obscurité. Il est moins bon tout court.
Là-bas, son binôme l'attend avec impatience. Avec les années, ils ont atteint une complicité qui se passe de mots. Il ne compte plus les sorties, à l'aube ou à l'aurore, leur connivence toujours renouvelée. Il voit cependant parfois, depuis quelque temps, la déception dans son regard, quelque chose qui s'étiole. Alors il continue à chercher.
À une centaine de mètres à peine Gus écoute. Il a encore perdu un peu d'audition, sa dernière visite à la médecine du travail le lui a confirmé. Dans le silence qui règne ici, ce n'est pas très important. Gus vieillit. Il n'est pas le seul, mais ça le touche ces petits rappels à l'ordre. Dans sa tête, il a toujours trente ans. Il perçoit au loin les bruissements de son acolyte. Il a laissé le soin à Bobby de récupérer le fuyard, même s'il considère qu'il a de plus en plus tendance à traîner. Ils vont encore rentrer à pas d'heures.
Bobby a déniché le trésor. Il l'avait vu tomber moins loin. Il s'en saisit fermement et peut se diriger vers le point de rendez-vous. La journée a été longue, la charge est pesante. Il fatigue. Enfin, il lâche son butin dont Gus s'empare et comme un vieux couple, ils s'en retournent en silence rejoindre la camionnette. Mission accomplie.
Bobby jette un œil à Gus, concentré derrière son volant. S'il entend mal, il ne voit pas beaucoup mieux. Il se refuse à consulter. Il préfère s'en tenir aux loupes de lecture à cinq euros qu'il déniche à droite à gauche. Avant de démarrer, Gus l'a gratifié d'une tape sur l'épaule, signe d'une amorce de satisfaction. Bobby s'en contente. Il commence à avoir faim.
Gus est attentif à la route. Sur ces petites départementales, dans l'obscurité, il vaut mieux. Dans l'habitacle exigu de la guimbarde, malgré la vitre ouverte, il se fait la remarque que Bobby pue. Il ne va rien lui dire. D'une part ce ne serait pas d'une grande utilité, et d'autre part il est persuadé que Bobby n'en a rien à foutre. Fini le temps où il courrait les filles. Au final, ils sont pareils pense-t-il. Lui aussi en a terminé avec les galipettes. La différence ne tient qu'à l'odeur, au respect de soi-même.
Avant même le dernier virage, Bobby devine qu'ils atteignent leur camp de base. En pleine nuit, comme maintenant, il a cette faculté de savoir avant les autres. Au moins, il n'a pas perdu ça. Lorsqu'ils partent en vadrouille, c'est toujours Gus qui conduit. Il ne comprend pas comment il fait pour s'y retrouver. Chacun sa méthode. Lui, il regarde à droite, à gauche. Il est paumé tout le long du trajet, sauf à l'arrivée, et ça l'excite. Gus, lui, ne donne jamais aucun signe.
Dans un crissement de graviers, l'utilitaire bien pourri par la rouille s'immobilise. Gus envoie un coup d'épaule pour ouvrir la portière récalcitrante, souvenir d'un retour tumultueux. Il n'a senti qu'une petite pointe au creux des reins, mais sait que les faux mouvements sont traîtres pour son dos. Il retrouve la terre ferme et se redresse doucement. Bobby le suit, vigilant. Gus traîne le cadavre encore souple jusqu'à l'intérieur.
Gus pose son arme, se libère de ses bottes collantes de boues et enfile une paire de charentaises. Il apprécie leur confort. Bobby n'a pas ce genre d'attention. Il se précipite pour boire une bolée, en attendant mieux, et plus consistant. Il se tourne vers Gus qui s'est affalé dans son fauteuil et n'a pas l'air pressé de rejoindre la cuisine. Il reste là, perdu dans la contemplation de ses trophées. Chacun ses priorités. Bobby patiente, il sait faire.
Gus recompte une dernière fois, il n'est plus qu'à une unité du premier palier. C'est bien déjà, même s'il vise le record. La prime, il s'en fout. Tout le monde le sait. Il allume le vieux poste à transistors calé depuis toujours sur la radio locale. C'est l'heure des infos. Bobby trépigne. Deux jours qu'il n'a rien avalé.
Gus n'en revient pas de ce qu'il vient d'entendre. Les couilles molles de la fédé ont renoncé*. Il se redresse et abat un poing rageur sur la table à côté de lui. Une douleur fulgurante lui traverse le corps et le plie en deux. Il renverse tout et effraie Bobby.
Gus est très fier se son fusil. Il l'a équipé d'un stecher. C'est sensible ces petites bêtes. Peu respectueux des usages en matière de sécurité, son arme est restée chargée. Elle valdingue, et le coup part. En pleine tronche. Fin de partie.
Bobby a mis quelques heures à sortir de sa cachette. Il s'est approché, a flairé, puis, tiraillé par ses intestins, il a fini par goûter.
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* En 2018, la fédération de chasse de Charente-Maritime eut la bonne idée d'instaurer une prime au mérite pour inciter ses adhérents aux « prélèvements » des renards. Devant le tollé suscité par cette annonce, elle retira sa proposition dès le lendemain. Trop tard pour Gus...
Une fin atroce, Gus met fin à ses jours pour ne pas continuer à assister à sa propre déchéance physique (ou bien c’est un accident ressemblant beaucoup à un acte manqué ?)
Le dénouement (…..) m’a surprise. Je salue le style et le sujet.
Quant à Bobby, si vous avez découvert trop vite son secret, c'est que j'ai un peu raté mon coup. Dommage...