La Parole aux chiffres oubliés

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An 228 ap. U.T. : découverte d’un vaisseau à la dérive, au milieu des abysses spatiaux… L’univers SF est posé, et le lecteur aborde

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Ecrivain amateur en herbe, je suis preneur de toutes réflexions / critiques et/ou remarques pour m'améliorer, notamment sur le thème de la science-fiction et de l'aventure !

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Rapport de mission du commandant John Corvet, consigné le douzième jour du premier mois de l'année deux cent vingt-huit après l'Union Terrestre :

« Je dois faire vite... Il me reste une dizaine de minutes à vivre, et si quelqu'un découvre cet enregistrement, je veux qu'il comprenne ce qu'il s'est produit ici, et pourquoi nous sommes tous morts... L'exploration du vaisseau terrien retrouvé errant dans notre portion du système solaire, en provenance d'une de nos colonies éloignées, était une mission inédite.
Dès que notre équipe eut eu pénétré dans le vaisseau, les neurosenseurs portables de nos combinaisons confortèrent les observations préalables : pas de traces de vies. Aucune trace de lutte, aucun corps dans les couloirs. Mêmes constatations lorsque nous avions atteint la salle de contrôle, une centaine de mètres plus loin. Les commandes répondaient cependant parfaitement, selon le modèle en vigueur il y a deux siècles, utilisant les données biométriques humaines pour l'activation des consoles et la « parole télépathique » développée par les ingénieurs terrestres pour communiquer avec l'ordinateur. Même le clavier archaïque, apparaissant comme un hologramme en face des consoles, s'illuminait encore, affichant les vingt-six lettres classiques ainsi que les symboles utilisés dans les standards de l'Union Terrestre. Une dizaine de symboles étonnants figurait cependant sur la partie supérieure du clavier, que seul notre officier scientifique avait reconnu comme étant des chiffres, les dix chiffres utilisés par l'Union jusqu'au siècle dernier, radiés ensuite du Terrien standard. Rien d'étonnant à cela, la construction de l'appareil datait de près de deux cents ans.
Notre groupe, constitué de notre officier scientifique, notre médecin en chef, notre responsable de la sécurité et moi-même, eut tôt fait d'explorer la salle de contrôle. Les données autres que celles nécessaires au maintien des fonctions essentielles du vaisseau étaient inaccessibles, malgré les tentatives infructueuses de notre spécialiste scientifique pour y parvenir. Impossible d'accéder à la mémoire ou aux informations sur l'équipage et leur disparition. Cependant, il identifia rapidement l'unique salle du vaisseau qui consommait à elle seule la moitié de l'énergie de celui-ci : l'infirmerie. Celle-ci constitua donc la suite de notre exploration. Nous nous y rendîmes tous les quatre, et il ne nous fallut que quelques minutes pour atteindre sa porte, malgré nos lourdes combinaisons et l'absence d'oxygène ambiant lié au manque d'alimentation des systèmes de survie.
L'infirmerie était remplie d'incubateurs de survie, qui jonchaient le sol. Chacun d'entre eux était occupé par un être humain, et nous découvrîmes rapidement, en interrogeant l'interface principale, qu'ils étaient tous en cryothérapie. Je fis rapidement le tour de sa salle, quelquefois enjambant, quelquefois évitant les abris de nos compatriotes. Je pouvais lire sur certaines vitres, en langue ancienne de l'Union Terrestre : « Don't let them over -ISoC ».
Ce que l'interface automatique de nos combinaisons traduisit mentalement par : « Ne les laissez pas passer... »
Mais elle ne parvint pas à traduire de façon satisfaisante le dernier terme, ce qui nous aurait probablement avertis, voire sauvés. Elle proposa un acronyme comme « International Society of Cryopreservation », et aucun d'entre nous n'en douta.
L'idée de réveiller un des membres de l'équipage vint du capitaine Foreman. Nous avions alors choisi d'ouvrir le caisson hermétique contenant l'homme décrit dans la base de données de l'interface locale comme l'officier en chef du vaisseau, Inshee Loyd. Lorsque j'intimai mentalement à l'interface d'ouvrir sa capsule de survie, une main posée sur la reconnaissance biométrique, le message sibyllin – Don't let them over -ISoC – apparut à nouveau devant moi. Les lettres holographiques rougeoyantes flamboyaient comme un avertissement. Mais à défaut d'autres idées, j'ordonnai à la machine de continuer le processus d'ouverture et de réveil. Cela créa une fermeture automatique du point d'accès à l'infirmerie, qui se confina hermétiquement. Le sifflement caractéristique de l'arrivée d'oxygène se produisit, recréant une atmosphère respirable dans la pièce, et faisant grimper la température à un degré compatible avec la vie humaine. J'enlevai à cet instant mon casque et coupai mon environnement local de survie, immédiatement imité par mes trois compagnons. Au même moment, face à Foreman, le panneau recouvrant le corps cryoconservé de Loyd s'effaça pour laisser apparaitre le corps de l'officier.
Il fallut encore une minute à notre officier scientifique pour comprendre que les symboles situés sous l'avertissement de la capsule indiquaient en réalité la température de celle-ci, en numérique ancien de l'Union Terrestre. Il était le seul à avoir étudié et conservé dans sa base de données personnelle les informations sur ces unités dorénavant inusitées. Il murmura alors, d'une voix à peine audible tant il était concentré par la transcription :
« Il semble être conservé à moins quatre-vingts degrés Celsius... »
Ce qui se traduisait par le terme -BOoC inscrit sur la capsule.
Et alors que la température s'égrenait lentement pour revenir à la normale, et permettre au corps inanimé qu'abritait la capsule de reprendre vie, l'avertissement me revint en mémoire.
Don't let them over -ISoC.
Et si l'acronyme n'en était pas un ? s'il s'agissait en réalité de chiffres inusités et qu'ils signifiaient quelque chose ?
J'avais exprimé mon idée à haute voix, et notre officier scientifique m'avait répondu, se penchant sur l'inscription pour la décrypter, le front plissé par l'effort :

« Oui, c'est bien possible... Cela signifierait -15 °C, et non une traduction alphabétique par -ISoC comme nous le croyions ! »
Le sens de l'avertissement nous avait alors frappés comme un éclair.
« Ne les laissez pas dépasser -15 °C »
Ce qui s'était produit en même temps sur le décompte face à nous, à l'instant où le scientifique terminait sa phrase. Et nos senseurs s'étaient affolés. Une vague de radiations avait été émise depuis le corps de l'humain réchauffé, qui s'était mis à hurler et à se tortiller en tous sens. Cette radiation avait empli la pièce comme une onde de choc, et nous avons tous été atteints. Un diagnostic rapide de nos senseurs personnels confirma nos pires craintes ; il s'agissait de radiations nocives, qui avaient atteint nos organes et détruit les fonctions principales de ceux-ci ; nous mourrions...
Face à nous, Loyd s'éteignit en quelques dizaines de secondes de ce mal inconnu et étrange. La remontée de la température avait réveillé la maladie qui couvait en lui, et l'avait tué. Tous les membres de l'équipage s'étaient probablement mis en cryocongélation pour survivre et attendre que le vaisseau trouve des secours et de l'aide.
Les secours, c'était nous.
Et nous étions en train de mourir...

À l'instant, je viens de cracher du sang, et de subir de violentes douleurs abdominales. Foreman vient juste de perdre connaissance devant moi, alors que les corps de mes camarades gisent maintenant eux aussi sans vie, et j'espère que ceux qui viendront plus tard à notre secours écouteront ce rapport avant d'ouvrir ces cuves, qui se révèlent n'être guère plus que des tombes...
Et surtout, n'oubliez pas, les chiffres ; ils sont la clef de la compréhension de ce vaisseau...
Fin de rapport de mission du commandant John Corvet. »

Ces mots, prononcés avec difficulté et entrecoupés de quintes de toux, furent les derniers du commandant, le dernier membre de l'équipage à s'éteindre, dans un vaisseau silencieux, au sein d'un espace froid et agonique.

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