Au carrefour de la Motte, il avait calé. Malgré plusieurs tentatives, la Renault 8 avait refusé de démarrer. Pourtant, il avait fait le plein la veille. Il parvint à la pousser sur le ... [+]
La lettre à Qian
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Port de Douvres, dimanche 18 juin – 12:30 p.m.
Le lieutenant Howard McGuffin s'épongea le front. Déjà 30 °C. Un dimanche, qui plus est. Il aurait préféré aller à la plage avec Suzanne et les mômes ou regarder le Championnat d'Europe de foot à la télé, mais il avait dû renoncer à ses congés. La direction des douanes exigeait de doubler les effectifs.
Un regain d'activité était signalé du côté des migrants. Les Triades, les mafias chinoises qui organisaient les passages de clandestins s'activaient. Les collègues français de Calais et les Belges de Zeebrugge étaient aussi sur les dents. On ne pouvait pas tout vérifier, surtout en plein mois de juin. En cette saison, les importations de fruits et légumes en provenance d'Europe qui représentaient le gros du trafic, doublaient quasiment.
Ma chère Qian, j'espère que notre calvaire va bientôt prendre fin. Le voyage a été très éprouvant. Notre camion a débarqué du ferry dans lequel il était monté à Zeebrugge, en Belgique après avoir traversé les Pays-Bas. Auparavant nous avons traversé plein d'autres pays, cachés dans des trains ou des vans. Cela fait des heures que nous sommes immobilisés. On doit attendre le contrôle des douanes ou quelque chose comme ça. La chaleur est terrible. Quand j'ai dit à mon cousin Tao que j'allais en Angleterre, il s'est moqué de moi, parce que c'est un pays où il pleut tout le temps...
Port de Douvres, dimanche 18 juin – 8:15 p.m.
— Bon, les gars, la nuit va être longue, il faut me contrôler tous ces bahuts. Vous faites ouvrir tout ce qui vous paraît suspect, n'hésitez pas à faire descendre une partie du chargement pour voir si y a pas des trucs derrière...
— Quels trucs, chef ? demanda la sergente Kate Monroe.
— Des T-shirts de contrebande, banane ! lança un des douaniers.
— T'es nouvelle, toi, ça se voit, coupa McGuffin. On cherche des migrants, des Turcs, des Chinois, qui demandent l'asile...
— L'asile, tu parles, les filles viennent faire les putes et les mecs le trafic de drogue... Comment j'te foutrais tout ça à la mer, maugréa un jeune brigadier.
— Ferme-la Finn ! Tu lis trop certains canards. On n'est pas là pour juger, mais pour contrôler, OK ? Allez au boulot, les gars.
... On ne s'attendait pas à être aussi nombreux. On nous avait parlé d'une vingtaine ou d'une trentaine maxi, on est presque trois fois plus... 60, je crois. Les passeurs sont vraiment des gangsters. Ils nous exploitent, nous redemandent de l'argent sinon ils nous abandonnent. Dis-le au pays. Il ne faut pas leur faire confiance. On est traités comme des bêtes, pire, comme des marchandises. Je crains qu'on finisse par manquer d'air. Ils ont fermé la seule trappe qui permettait d'aérer ce maudit conteneur. On a beau hurler, taper sur les cloisons, aucune réponse. L'odeur est insoutenable, les excréments, le vomi et la transpiration. On a eu droit à un seul seau d'eau. Des hommes se sont précipités et en ont renversé la moitié. Les quatre femmes n'ont même pas pu boire. Vivement que le camion reparte et nous libère, n'importe où pourvu qu'on sorte de cette boîte...
Port de Douvres, lundi 19 juin – 4:45 a.m.
— Chef, vous pouvez venir ? lança la sergente Monroe en ouvrant brusquement la porte du bureau de McGuffin.
Ce dernier s'étira et regarda sa montre, encore quatre heures avant la relève.
— C'est loin ?
— En G14, au terminal des arrivées de Zeebrugge.
— Putain c'est à perpète, j'espère que tu me fais pas déplacer pour rien...
— Vous avez bien dit de repérer les trucs bizarres ? Un camion frigo qui est censé transporter des denrées périssables et dont la clim ne tourne pas, c'est pas normal...
— Bien vu ! Vous avez contrôlé les papiers ?
— Ils indiquent un chargement de tomates en provenance des Pays-Bas.
Port de Douvres, lundi 19 juin – 5:15 a.m.
— Trouvez-moi le chauffeur, bordel ? hurla McGuffin.
— Oui, chef, c'est moi... Y a problème ?
— Tu transportes des tomates ? Pourquoi ton frigo tourne pas ?
— Frigo panne, moi faire réparer vite...
— Ouvre-moi ça en vitesse...
— Chef, moi transporter tomates pour Anglais.
— Je sais lire, grouille-toi, on n'a pas que ça à faire.
... On ne sait plus si c'est le jour ou la nuit... penser fort à toi pour trouver du courage. Je t'imagine en train de prendre le frais devant la maison de tes parents. J'ai tellement envie... te revoir... te serrer...
Port de Douvres, lundi 19 juin – 8:25 a.m.
— C'est quoi ? Un crash aérien ?
— Non, un chargement dans un camion !
— Quoi comme chargement ?
— Des Chinois... apparemment...
— Merde ! tous morts ?
— Négatif, deux survivants, mais pas en bon état.
— Le problème c'est que j'ai pas autant de housses à vous refiler. Entre les accidents de la route et les vieux qui passent l'arme à gauche dans les maisons de retraite. Voyez avec les chambres froides du coin en attendant.
McGuffin raccrocha. Ses études de logistique ne l'avaient pas préparé à gérer ce genre de catastrophe. La sergente Monroe les yeux pleins de larmes entra et déposa une caisse sur le bureau.
— Chef, vous avez pu voir pour les housses ?
— J'ai pu en dégoter à peine une trentaine, c'est pas suffisant. C'est quoi ces cochonneries ?
— Ces cochonneries, comme vous dîtes, ce sont des objets personnels qui traînaient sous les cadavres. On ne sait pas à qui ça appartient, y a des papiers d'identité, apparemment faux pour la plupart, du fric, des photos de parents, de fiancées, des lettres...
— Mets-moi tout sous scellés et puis dégage-moi ça, ça pue...
— Euh... je me suis permis de faire traduire une de ces lettres pour savoir d'où venaient ces gens, connaître leur histoire quoi... j'ai demandé à une des traductrices du port, elle vient de me faire parvenir le texte en anglais, c'est... c'est terrible... tenez...
Après avoir lu le document, McGuffin leva les yeux vers la sergente Monroe.
— Bon, oui d'accord, mais c'était pas à toi de faire traduire cette lettre. C'est pas ton boulot. Tu ferais mieux de faire le tour des supermarchés du coin pour voir s'ils ont de la place dans leurs frigos, ça sera plus utile. 58 housses, tu crois que ça se trouve d'un claquement de doigts ?
Il attendit que la sergente sorte, puis déchira la traduction et la mit au panier.
Port de Douvres, lundi 19 juin – 9:05 a.m.
Les sirènes de police n'en finissaient pas de hurler. La sergente Monroe replia le double du fax envoyé par la traductrice et le remit dans sa poche.
Le lieutenant Howard McGuffin s'épongea le front. Déjà 30 °C. Un dimanche, qui plus est. Il aurait préféré aller à la plage avec Suzanne et les mômes ou regarder le Championnat d'Europe de foot à la télé, mais il avait dû renoncer à ses congés. La direction des douanes exigeait de doubler les effectifs.
Un regain d'activité était signalé du côté des migrants. Les Triades, les mafias chinoises qui organisaient les passages de clandestins s'activaient. Les collègues français de Calais et les Belges de Zeebrugge étaient aussi sur les dents. On ne pouvait pas tout vérifier, surtout en plein mois de juin. En cette saison, les importations de fruits et légumes en provenance d'Europe qui représentaient le gros du trafic, doublaient quasiment.
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Ma chère Qian, j'espère que notre calvaire va bientôt prendre fin. Le voyage a été très éprouvant. Notre camion a débarqué du ferry dans lequel il était monté à Zeebrugge, en Belgique après avoir traversé les Pays-Bas. Auparavant nous avons traversé plein d'autres pays, cachés dans des trains ou des vans. Cela fait des heures que nous sommes immobilisés. On doit attendre le contrôle des douanes ou quelque chose comme ça. La chaleur est terrible. Quand j'ai dit à mon cousin Tao que j'allais en Angleterre, il s'est moqué de moi, parce que c'est un pays où il pleut tout le temps...
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Port de Douvres, dimanche 18 juin – 8:15 p.m.
— Bon, les gars, la nuit va être longue, il faut me contrôler tous ces bahuts. Vous faites ouvrir tout ce qui vous paraît suspect, n'hésitez pas à faire descendre une partie du chargement pour voir si y a pas des trucs derrière...
— Quels trucs, chef ? demanda la sergente Kate Monroe.
— Des T-shirts de contrebande, banane ! lança un des douaniers.
— T'es nouvelle, toi, ça se voit, coupa McGuffin. On cherche des migrants, des Turcs, des Chinois, qui demandent l'asile...
— L'asile, tu parles, les filles viennent faire les putes et les mecs le trafic de drogue... Comment j'te foutrais tout ça à la mer, maugréa un jeune brigadier.
— Ferme-la Finn ! Tu lis trop certains canards. On n'est pas là pour juger, mais pour contrôler, OK ? Allez au boulot, les gars.
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... On ne s'attendait pas à être aussi nombreux. On nous avait parlé d'une vingtaine ou d'une trentaine maxi, on est presque trois fois plus... 60, je crois. Les passeurs sont vraiment des gangsters. Ils nous exploitent, nous redemandent de l'argent sinon ils nous abandonnent. Dis-le au pays. Il ne faut pas leur faire confiance. On est traités comme des bêtes, pire, comme des marchandises. Je crains qu'on finisse par manquer d'air. Ils ont fermé la seule trappe qui permettait d'aérer ce maudit conteneur. On a beau hurler, taper sur les cloisons, aucune réponse. L'odeur est insoutenable, les excréments, le vomi et la transpiration. On a eu droit à un seul seau d'eau. Des hommes se sont précipités et en ont renversé la moitié. Les quatre femmes n'ont même pas pu boire. Vivement que le camion reparte et nous libère, n'importe où pourvu qu'on sorte de cette boîte...
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Port de Douvres, lundi 19 juin – 4:45 a.m.
— Chef, vous pouvez venir ? lança la sergente Monroe en ouvrant brusquement la porte du bureau de McGuffin.
Ce dernier s'étira et regarda sa montre, encore quatre heures avant la relève.
— C'est loin ?
— En G14, au terminal des arrivées de Zeebrugge.
— Putain c'est à perpète, j'espère que tu me fais pas déplacer pour rien...
— Vous avez bien dit de repérer les trucs bizarres ? Un camion frigo qui est censé transporter des denrées périssables et dont la clim ne tourne pas, c'est pas normal...
— Bien vu ! Vous avez contrôlé les papiers ?
— Ils indiquent un chargement de tomates en provenance des Pays-Bas.
***
... Je pense à ces bons moments que je ne reverrai peut-être plus, nos baignades dans la rivière, la fête des bateaux-dragons. J'espérais trouver ici mon nouveau pays, je sais qu'ils ont besoin de main-d'œuvre. En Angleterre, le travail ne manque pas. Tu as bien fait de ne pas me suivre dans cette folie, tu me l'avais pourtant dit qu'un de tes cousins n'avait plus donné de nouvelles, mais je me croyais plus fort, rien ne pouvait me vaincre... ***
Port de Douvres, lundi 19 juin – 5:15 a.m.
— Trouvez-moi le chauffeur, bordel ? hurla McGuffin.
— Oui, chef, c'est moi... Y a problème ?
— Tu transportes des tomates ? Pourquoi ton frigo tourne pas ?
— Frigo panne, moi faire réparer vite...
— Ouvre-moi ça en vitesse...
— Chef, moi transporter tomates pour Anglais.
— Je sais lire, grouille-toi, on n'a pas que ça à faire.
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... On ne sait plus si c'est le jour ou la nuit... penser fort à toi pour trouver du courage. Je t'imagine en train de prendre le frais devant la maison de tes parents. J'ai tellement envie... te revoir... te serrer...
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Port de Douvres, lundi 19 juin – 8:25 a.m.
— C'est quoi ? Un crash aérien ?
— Non, un chargement dans un camion !
— Quoi comme chargement ?
— Des Chinois... apparemment...
— Merde ! tous morts ?
— Négatif, deux survivants, mais pas en bon état.
— Le problème c'est que j'ai pas autant de housses à vous refiler. Entre les accidents de la route et les vieux qui passent l'arme à gauche dans les maisons de retraite. Voyez avec les chambres froides du coin en attendant.
McGuffin raccrocha. Ses études de logistique ne l'avaient pas préparé à gérer ce genre de catastrophe. La sergente Monroe les yeux pleins de larmes entra et déposa une caisse sur le bureau.
— Chef, vous avez pu voir pour les housses ?
— J'ai pu en dégoter à peine une trentaine, c'est pas suffisant. C'est quoi ces cochonneries ?
— Ces cochonneries, comme vous dîtes, ce sont des objets personnels qui traînaient sous les cadavres. On ne sait pas à qui ça appartient, y a des papiers d'identité, apparemment faux pour la plupart, du fric, des photos de parents, de fiancées, des lettres...
— Mets-moi tout sous scellés et puis dégage-moi ça, ça pue...
— Euh... je me suis permis de faire traduire une de ces lettres pour savoir d'où venaient ces gens, connaître leur histoire quoi... j'ai demandé à une des traductrices du port, elle vient de me faire parvenir le texte en anglais, c'est... c'est terrible... tenez...
Après avoir lu le document, McGuffin leva les yeux vers la sergente Monroe.
— Bon, oui d'accord, mais c'était pas à toi de faire traduire cette lettre. C'est pas ton boulot. Tu ferais mieux de faire le tour des supermarchés du coin pour voir s'ils ont de la place dans leurs frigos, ça sera plus utile. 58 housses, tu crois que ça se trouve d'un claquement de doigts ?
Il attendit que la sergente sorte, puis déchira la traduction et la mit au panier.
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... Je suis inquiet... certains ne bougent plus. Boire, boire... ma vue se brouille... peux plus tenir... crayon... je t'emb... ***
Port de Douvres, lundi 19 juin – 9:05 a.m.
Les sirènes de police n'en finissaient pas de hurler. La sergente Monroe replia le double du fax envoyé par la traductrice et le remit dans sa poche.
Bravo
excellente en la forme et au fond comme d'habitude .bises