Ma mère n'avait rien lâché, mon père pas davantage. Comme sur un champ de bataille, chacun campait sur ses positions, excluant toute idée de retraite. Alors que je venais de naître, ils ... [+]
Chaque année comme un rituel, ils participent à cette course parisienne. Ils se sont peu entraînés, laissant les fractionnés aux débutants. Rue Réaumur, le son puissant sortant des enceintes électrise les corps et les esprits. Les regards glissent sur les silhouettes fines et musclées qui expriment le même désir, celui de se prouver que l'on peut le faire, l'effort fourni révélant un peu de soi aux autres. Ils partent du même sas, celui des 42 minutes, ambitieux tous les deux. Ils commencent à courir d’une même foulée atteignant ensemble le 13km/h. Il aime la regarder du coin de l’œil, appréciant ses jambes plus fuselées depuis quelques mois. Il l’a remarqué mais ne l’a pas complimentée. Il aurait dû sans doute. Elle prend plaisir à entendre son souffle régulier, sentir son excitation à rester dans la roue du meneur. Son corps aminci lui plaît. Elle l’a remarqué mais ne l’a pas complimenté. Elle aurait dû sans doute. Sur quelques kilomètres, ils avancent côte à côte. A ce rythme effréné, elle sent son cœur se serrer. En maîtrise, elle fait baisser la pression et le laisse filer devant elle. Il s’éloigne lui jetant un clin d'œil et, par-dessus son épaule, lui crie un je t’attends à l'arrivée, mon amour. Bien sûr, elle sait qu’il sera là, comme pour tout depuis toujours. Elle n’arrivera jamais à combler la distance qui les sépare et finit par le perdre de vue. Elle se dit que ce n’est pas grave, qu’il ne disparaît que le temps d’un 10km. Elle s’autorise alors à lâcher prise se promettant qu’elle fera mieux. L’année prochaine.