Jean s'immobilisa pour observer les étagements de verts qui se perdaient à l'horizon dans une brume grise, pâle et opaque. Droit au cœur du vaste paysage, il émergeait, à nouveau présent au ... [+]
Lulu s'était roulé en boule dans son lit. Il se demandait si tout roulé, tout serré comme ça, on pourrait l'y mettre dans une boîte. Il y avait des gens bien plus grands que lui à qui cela arrivait. Sa maman, par exemple et pas qu'une fois. La pauvre à son bureau, ils la mettaient en boîte. Certains soirs à table, avec des yeux pleins de larmes, (Lulu l'avait bien vu) il lui arrivait de se plaindre de Joubert et Laval, deux méchants messieurs qui semblaient aimer ça, mettre sa maman en boîte. Dans le monde que Lulu découvrait du haut de ses trois ans les bizarreries infinies des adultes avaient de quoi surprendre. Mettre sa maman en boîte ? Ils n'avaient pas mieux à faire ? Heureusement qu'elle n'y restait pas dans la boîte : elle était maligne, sa maman. Dès qu'ils avaient le dos tourné, le Joubert et le Laval, il imaginait que hop, elle sortait de la boîte.
Et sa grande sœur Noémie! Elle aussi. Des gens à son collège l'avaient mise en boîte. C'était arrivé ! Même qu'elle en avait pleuré, vraiment pleuré. Papa-maman avaient essayé de la consoler, sans succès, alors lui, il avait promis qu'il irait leur donner un bon bourre-pif quand il aurait quatre ans. A quatre ans on est fort. Noémie ça l'avait fait sourire qu'il veuille la venger. Elle lui avait fait un petit câlin malgré sa tristesse.
Il plia les doigts en cornes de diable pour éloigner le mauvais sort. Il ne supporterait pas d'être mis en boîte. Il imaginait qu'on était tout coincé dans le noir, à s'ennuyer, à ressasser, à attendre, à mourir d'attendre. Et, qui sait, à force d'attendre, cela devait arriver, ils devenaient sans force. Tout mous. Ils n'avaient plus envie de sortir de la boîte et décidaient d'y rester pour toujours.
Lulu ne dormait pas ; il passait en revue toutes les boîtes qu'il connaissait. Le monde, soudain, lui sembla peuplé de boîtes, il y en avait tellement que c'était incroyable, c'était même terrifiant. Lulu cogitait ferme. A bien y réfléchir les gens qu'on mettait en boîte, sûrement, on leur préparait une boîte assez grande, à leur taille. Il essaya d'imaginer des tailles de boîtes plus ou moins adaptées, des boîtes plus ou moins confortables, et réfléchit aux endroits où on les rangeait.
Il ne dormait toujours pas. Il moulinait des pensées compliquées. Il en vint à se demander si on pouvait aimer être mis en boîte. La question n'était pas absurde. N'avait-il pas entendu dire que certaines personnes allaient en boîte le samedi soir. Aller en boîte ? Choisir d'y aller ? Des fous ! Même Noémie avait demandé, une fois, la permission d'y aller.
- Tu es beaucoup trop jeune ! Tu n'as pas idée de ce qui peut s'y passer. Non !
C'était vraiment bizarre. Sa sœur, en général, n'aimait pas être mise en boîte mais le samedi elle voulait bien. Elle y serait allée de son plein gré. Lulu soupira, décidément ce monde était bien étrange et il n'y comprenait rien. Sur cette pensée empreinte d'un grand bon sens, il s'endormit enfin.
Le lendemain c'était dimanche. La famille devait se réunir pour l'anniversaire de Papa. Tout le monde s'activait. Il faut ranger ta chambre avait dit sa maman. Il fallait toujours ranger quand Grand-mère arrivait. Noémie était venue l'aider.
-Tu as un cadeau pour Papa, Lulu ?
Bien sûr qu'il avait un cadeau pour son papa. A l'école, il avait fabriqué un petit cœur en argile auto-durcissante. Il l'avait peint avec du rouge et caché dans une ancienne boîte à biscuits un peu rouillée que sa maman lui avait donnée.
– Regarde dans ma boîte, sous mon lit.
Noémie se pencha et ramena la boîte. Lulu savait très bien ce qu'elle contenait : une carte pokémon trouvée sur un banc de l'école, un bouton bleu, un lacet blanc, un morceau de gomme, un petit dinosaure, un bout de chocolat donné par sa copine Marie. Tous ses trésors. Et le cœur rouge pour son papa.
–Et bien ouvre!
Lulu hésitait. Et si quelqu'un s'était mis dedans? Quelqu'un d'assez malin pour passer par le trou de la serrure comme Alice dans le pays de Merveilles. Il avait beau se dire que l'histoire d'Alice c'était un bobard, que les gens ne peuvent pas changer de taille, dans un coin de son esprit, si, cela se pouvait.
–Noémie, tu peux ouvrir pour moi ?
Noémie s'exécuta en protestant que c'était sa boîte à lui et qu'il savait bien l'ouvrir. Lulu se tenait à distance. Il ne se passa rien quand Noémie souleva le couvercle. Elle attrapa le coeur et referma la boîte.
–C'est joli, mon Lulu. Il va être content Papa. Tu veux qu'on fasse un joli paquet ?
A bien la regarder, la boîte avait quelque chose de menaçant. Lulu se leva et d'un coup de pied rageur l'envoya valdinguer sous le lit. Est-ce que cela suffirait ? Se tiendrait-elle coite sous le lit, ou bien tapie, sournoise, attendrait-elle son heure, celle de l'engloutir pour le mettre, à son tour, en boîte ? Lulu sentait que sa raison flanchait, un flot de terreur l'avait envahi. Toutes les choses, même sa boîte à trésors, avaient une face maléfique. On découvrait ça en grandissant. Dans l'instant de cette révélation Lulu se mit à pleurer. Il fut tiré de son immense tristesse par le bruit de la sonnette à la porte d'entrée.
Grand-mère venait d'arriver. Elle lui avait apporté des chocolats dans un sachet transparent. Il précipita vers elle. Elle sentait les fleurs blanches de la haie. Puis Tata fit son entrée, elle n'avait pas de cadeau pour lui. Elle était toute excitée. Elle parlait, parlait. On avait l'impression que sa vie avait changé. Je vais changer de boîte, disait-elle. Lulu lui demanda si elle n'aimait plus sa boîte d'avant et si la nouvelle serait mieux. Il faisait son malin, genre, je m'y connais en boîtes. Tata resta floue comme si elle n'était pas sûre d'être bien à son aise dans sa future boîte. Lulu assis sur les genoux de sa grand-mère se demandait pourquoi Tata ne pouvait pas vivre sans boîte, librement, comme elle voulait. Il comprenait petit à petit que les gens avaient des rapports ambigus avec les boîtes. On en avait besoin, mais on les détestait aussi. On voulait les quitter mais on aimait aussi s'y faire enfermer, être leur prisonnier. Chacun avait la sienne, choisie ou imposée, pleine ou vide. Quant à lui, c'était décidé. Il vivrait sans boîte. Il fallait qu'il se débarrasse de la sienne.
Le repas lui plut. Maman avait fait des pâtes et il y avait de la glace au citron. Il était assis à côté de Grand-mère et de temps en temps il lui prenait la main pour regarder le réseau des veines bleues qui la parcouraient. Au dessert Papa fit une photo. On s'était mis en rang sur le canapé et derrière.
–Clic clac, c'est fait, c'est dans la boîte.
Lulu tressaillit
– Quelle boîte Papa ?
Papa sourit.
–On dit « boîte » pour parler de l'appareil photo.
Cela lui parut étonnant mais il n'eut pas le temps de poser la question parce que Grand-mère avait basculé sur le côté. Elle était tout blanche et tout molle. Elle ne voulait plus lui parler.
Tout monde se mit à crier. Lulu fut envoyé dans sa chambre. Il s'assit sur son lit, pieds en l'air pour éviter toute agression de la boîte.
Grand-mère avait la plus belle boîte qu'il ait jamais vue. Elle était en bois foncé et brillant avec des poignées en or, assez longue pour qu'elle puisse allonger les jambes et tout plein de petits coussins blancs et de dentelles. On l'avait posée sur la table de la salle à manger, sans le couvercle, pour qu'on puisse la regarder. Lulu était monté sur une chaise pour voir son visage. Il lui sembla qu'elle était contente de sa boîte, qu'elle devait s'y trouver bien. Elle se reposait, tranquille, avec un léger sourire aux lèvres. Il alla chercher sa petite boîte à lui, un peu rouillée, avec tous les trésors qu'elle contenait. Il la plaça sur la robe blanche de sa grand-mère, entre ses deux mains blanches. Elle lui dit merci mon chéri. J'en prendrai soin, à ton âge on n'a pas besoin de boîte.
Et sa grande sœur Noémie! Elle aussi. Des gens à son collège l'avaient mise en boîte. C'était arrivé ! Même qu'elle en avait pleuré, vraiment pleuré. Papa-maman avaient essayé de la consoler, sans succès, alors lui, il avait promis qu'il irait leur donner un bon bourre-pif quand il aurait quatre ans. A quatre ans on est fort. Noémie ça l'avait fait sourire qu'il veuille la venger. Elle lui avait fait un petit câlin malgré sa tristesse.
Il plia les doigts en cornes de diable pour éloigner le mauvais sort. Il ne supporterait pas d'être mis en boîte. Il imaginait qu'on était tout coincé dans le noir, à s'ennuyer, à ressasser, à attendre, à mourir d'attendre. Et, qui sait, à force d'attendre, cela devait arriver, ils devenaient sans force. Tout mous. Ils n'avaient plus envie de sortir de la boîte et décidaient d'y rester pour toujours.
Lulu ne dormait pas ; il passait en revue toutes les boîtes qu'il connaissait. Le monde, soudain, lui sembla peuplé de boîtes, il y en avait tellement que c'était incroyable, c'était même terrifiant. Lulu cogitait ferme. A bien y réfléchir les gens qu'on mettait en boîte, sûrement, on leur préparait une boîte assez grande, à leur taille. Il essaya d'imaginer des tailles de boîtes plus ou moins adaptées, des boîtes plus ou moins confortables, et réfléchit aux endroits où on les rangeait.
Il ne dormait toujours pas. Il moulinait des pensées compliquées. Il en vint à se demander si on pouvait aimer être mis en boîte. La question n'était pas absurde. N'avait-il pas entendu dire que certaines personnes allaient en boîte le samedi soir. Aller en boîte ? Choisir d'y aller ? Des fous ! Même Noémie avait demandé, une fois, la permission d'y aller.
- Tu es beaucoup trop jeune ! Tu n'as pas idée de ce qui peut s'y passer. Non !
C'était vraiment bizarre. Sa sœur, en général, n'aimait pas être mise en boîte mais le samedi elle voulait bien. Elle y serait allée de son plein gré. Lulu soupira, décidément ce monde était bien étrange et il n'y comprenait rien. Sur cette pensée empreinte d'un grand bon sens, il s'endormit enfin.
Le lendemain c'était dimanche. La famille devait se réunir pour l'anniversaire de Papa. Tout le monde s'activait. Il faut ranger ta chambre avait dit sa maman. Il fallait toujours ranger quand Grand-mère arrivait. Noémie était venue l'aider.
-Tu as un cadeau pour Papa, Lulu ?
Bien sûr qu'il avait un cadeau pour son papa. A l'école, il avait fabriqué un petit cœur en argile auto-durcissante. Il l'avait peint avec du rouge et caché dans une ancienne boîte à biscuits un peu rouillée que sa maman lui avait donnée.
– Regarde dans ma boîte, sous mon lit.
Noémie se pencha et ramena la boîte. Lulu savait très bien ce qu'elle contenait : une carte pokémon trouvée sur un banc de l'école, un bouton bleu, un lacet blanc, un morceau de gomme, un petit dinosaure, un bout de chocolat donné par sa copine Marie. Tous ses trésors. Et le cœur rouge pour son papa.
–Et bien ouvre!
Lulu hésitait. Et si quelqu'un s'était mis dedans? Quelqu'un d'assez malin pour passer par le trou de la serrure comme Alice dans le pays de Merveilles. Il avait beau se dire que l'histoire d'Alice c'était un bobard, que les gens ne peuvent pas changer de taille, dans un coin de son esprit, si, cela se pouvait.
–Noémie, tu peux ouvrir pour moi ?
Noémie s'exécuta en protestant que c'était sa boîte à lui et qu'il savait bien l'ouvrir. Lulu se tenait à distance. Il ne se passa rien quand Noémie souleva le couvercle. Elle attrapa le coeur et referma la boîte.
–C'est joli, mon Lulu. Il va être content Papa. Tu veux qu'on fasse un joli paquet ?
A bien la regarder, la boîte avait quelque chose de menaçant. Lulu se leva et d'un coup de pied rageur l'envoya valdinguer sous le lit. Est-ce que cela suffirait ? Se tiendrait-elle coite sous le lit, ou bien tapie, sournoise, attendrait-elle son heure, celle de l'engloutir pour le mettre, à son tour, en boîte ? Lulu sentait que sa raison flanchait, un flot de terreur l'avait envahi. Toutes les choses, même sa boîte à trésors, avaient une face maléfique. On découvrait ça en grandissant. Dans l'instant de cette révélation Lulu se mit à pleurer. Il fut tiré de son immense tristesse par le bruit de la sonnette à la porte d'entrée.
Grand-mère venait d'arriver. Elle lui avait apporté des chocolats dans un sachet transparent. Il précipita vers elle. Elle sentait les fleurs blanches de la haie. Puis Tata fit son entrée, elle n'avait pas de cadeau pour lui. Elle était toute excitée. Elle parlait, parlait. On avait l'impression que sa vie avait changé. Je vais changer de boîte, disait-elle. Lulu lui demanda si elle n'aimait plus sa boîte d'avant et si la nouvelle serait mieux. Il faisait son malin, genre, je m'y connais en boîtes. Tata resta floue comme si elle n'était pas sûre d'être bien à son aise dans sa future boîte. Lulu assis sur les genoux de sa grand-mère se demandait pourquoi Tata ne pouvait pas vivre sans boîte, librement, comme elle voulait. Il comprenait petit à petit que les gens avaient des rapports ambigus avec les boîtes. On en avait besoin, mais on les détestait aussi. On voulait les quitter mais on aimait aussi s'y faire enfermer, être leur prisonnier. Chacun avait la sienne, choisie ou imposée, pleine ou vide. Quant à lui, c'était décidé. Il vivrait sans boîte. Il fallait qu'il se débarrasse de la sienne.
Le repas lui plut. Maman avait fait des pâtes et il y avait de la glace au citron. Il était assis à côté de Grand-mère et de temps en temps il lui prenait la main pour regarder le réseau des veines bleues qui la parcouraient. Au dessert Papa fit une photo. On s'était mis en rang sur le canapé et derrière.
–Clic clac, c'est fait, c'est dans la boîte.
Lulu tressaillit
– Quelle boîte Papa ?
Papa sourit.
–On dit « boîte » pour parler de l'appareil photo.
Cela lui parut étonnant mais il n'eut pas le temps de poser la question parce que Grand-mère avait basculé sur le côté. Elle était tout blanche et tout molle. Elle ne voulait plus lui parler.
Tout monde se mit à crier. Lulu fut envoyé dans sa chambre. Il s'assit sur son lit, pieds en l'air pour éviter toute agression de la boîte.
Grand-mère avait la plus belle boîte qu'il ait jamais vue. Elle était en bois foncé et brillant avec des poignées en or, assez longue pour qu'elle puisse allonger les jambes et tout plein de petits coussins blancs et de dentelles. On l'avait posée sur la table de la salle à manger, sans le couvercle, pour qu'on puisse la regarder. Lulu était monté sur une chaise pour voir son visage. Il lui sembla qu'elle était contente de sa boîte, qu'elle devait s'y trouver bien. Elle se reposait, tranquille, avec un léger sourire aux lèvres. Il alla chercher sa petite boîte à lui, un peu rouillée, avec tous les trésors qu'elle contenait. Il la plaça sur la robe blanche de sa grand-mère, entre ses deux mains blanches. Elle lui dit merci mon chéri. J'en prendrai soin, à ton âge on n'a pas besoin de boîte.