Ils étaient quatre. Quatre frères, de la même mère, et l'Éternel – loué soit son Nom – se moque bien qu'ils n'aient pas été du même père. La mère donne la vie, et les pères ne sont ... [+]
Peu importe d'où elle venait : c'était loin, c'était pauvre, c'était le chaos.
Peu importe pourquoi elle était partie, la misère des jours, la dureté du labeur, la cruauté des hommes.
Elle fuyait une contrée, où en plus d'être dure à vivre, la vie était encore plus dure à vivre pour les femmes. Ne cherchez pas trop : on n'en finirait pas d'énumérer les pays où il en va de la sorte.
Elle pleurait une contrée dont elle la langue résonnait en elle, une contrée dont les danses vibraient dans ses reins, une contrée dont elle sentait encore sur sa langue la caresse du thé brûlant, une contrée qui l'avait vue grandir. Une contrée dont elle avait dû fuir pour sauver sa peau.
Peu importe dans quelle langage, mais elle s'appelait fleur. Comme un mirage.
J'écrivais, assis à la terrasse d'un café, d'un coup de blanc à l' autre. Plus de coups que de pages. Heureusement il n'y avait pas beaucoup de pages. Une seule, en vérité, et tout juste à moitié remplie. Y a des jours comme ça. Faut avoir faim d'écrire pour écrire ; ce jour-là, je n'avais pas faim, voilà tout. Juste soif.
Elle glissait sur le trottoir. Comme une feuille tombée de sa branche que pousse le vent.
Elle surfait miraculeusement à travers la foule pressée, telle Moïse fendant les eaux de la Mer Rouge de son bâton.
Elle portait, au creux de son bras gauche, une brassée de jonquilles, comme on porte un bébé. Les passants s'écartaient instinctivement devant elle. On respecte la mère, même quand l'enfant qu'elle serre contre elle n'est qu'une brassée de fleurs des champs.
- Fleurs, j'ai lancé quand elle est passée à côté de ma table. Elle me dévisageait en écarquillant d'étonnement de grands yeux ronds, d'un noir insoutenable.
- Vos fleurs, j'aimerais vous les acheter.
- Vous les voulez ? Je vous les donne.
On ne refuse pas les cadeaux d'une apparition. Elle accepta un verre en échange. Elle accueillit ma proposition d'un café ou d'un thé d'un sourcil froncé d'indignation.
- Je veux un verre de vin blanc. Ma mère avait une photo d'elle, jeune, assise à une table semblable à la vôtre. Seule, les cheveux au vent et en robe légère, à siroter avec délices un verre de vin blanc. Sans que personne ne lui dise rien ou pire. Je veux voir l'effet que ça fait.
- Au moins vous ne serez pas seule.
- Oh vous...ce n'est pas la même chose : je ne vous connais pas. S'asseoir à côté de quelqu'un qu'on ne connaît pas, ça a déjà le parfum de l'aventure.
Va pour l'aventure et son parfum. Dans sa langue, elle s'appelait Fleur. Forcément. Elle avait chipé celles qu'elle coltinait contre son sein dans le jardin privé d'un immeuble. Je ne peux m'en empêcher, minaudait-elle en sirotant son riesling à petites léchées gourmandes de sa langue rose et pointue.
Va pour l'aventure et son parfum. Celle-ci avait mille fragrances : dans son pays, elle faisait fleuriste. Dans la boutique de sa mère. Jusqu'à ce que la boutique explose en une monstrueuse fleur de feu et de poussière. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de mère, plus de famille, plus de vie, plus rien que l'errance, la faim, les coups, les...STOP ! Il suffit avec les fleurs du mal.
Elle, elle les aimait toutes, les fleurs. Depuis le plus humble coquelicot des prés de notre enfance, jusqu' à la plus orgueilleuse des roses ornant le corsage d'une impératrice. Elles les aimait toutes, à l'exception des orchidées. Plantes carnivores, crachait-elle, bourgeonnant dans la moiteur assassine d'une jungle, attirant insectes et même petits oiseaux de leurs couleurs bariolées et les enivrant de leurs parfums capiteux, pour mieux les digérer. Elle avait une dent contre les orchidées. Les orchidée auraient sa peau. Elle le savait, elle savait tout.
Elle a posé son bagage sur ma moquette. Un petit sac, capable de contenir tout ce qui restait de sa vie. Le migrant voyage léger.
Elle a posé ses pénates dans les miennes ; cela ne la dérangeait nullement de troquer sa piaule dans un foyer pour personnes déplacées contre un deux-pièces-cuisine-salle de bains muni de tout le confort moderne. J'ai proposé proposé mon meilleur fauteuil. Le vieux Chippendale au cuir craquelé et qui grince en rythme avec tes pensées.
Elle a posé son cul sur le parquet, sur un coussin chipé au canapé.
- Je préfère comme ça. Fleur a besoin du sol.
La brassée de jonquilles trouva sa place dans mon vase de verre bleu. Bientôt rejointe par des bouquets de violettes, de primevères, de pervenches, que sais-je encore, de tournesols, elle avait le chic pour glaner le pistil dans les parcs municipaux. Je l'admirais s'activer avec ses vases. Jamais eu le chic avec les plantes, ma ciboulette jaunissait dans son pot en deux jours, mon persil noircissait en une nuit, mes carottes pâlissaient et ramollissaient à vue d'œil. Bref, j'étais une catastrophe écologique à moi tout seul.
Elle attendait son autorisation de séjour. Elle avait l'habitude : quand on a vécu ce qu'elle avait vécu, la première chose qu'on apprend est d'attendre. J'attendais avec elle.
En attendant, nous vivions d'amour et ses fleurs d'eau fraîche. Elle en plantait toujours une dans son interminable chevelure aux reflets d'acajou. Entre mes quatre murs blancs, elle promenait sa silhouette d'antilope et sous son pas plus léger que la caresse d'un pétale fleurissaient buissons de roses, massifs de magnolias et parterres de tulipes. Elle me faisait gravement la leçon, son regard vrillé au mien :
- Les roses, tu dois les couper délicatement à la base, elle s'abandonneront à toi, mais si tu les empoigne par la tige, leurs épines te mordront cruellement.
Elle avait la tête d'une fleur qui sait mordre. C'était sans doute pour cela qu'elle avait dû s'exiler. Les soldats et les bourreaux aiment les fleurs dociles, pas les plantes épineuses. Elle n'avait peur de rien, pas même des orchidées, elle avait tort.
Elle avait la tête d'une fleur qui sait embrasser. Ceux qu'elle avait fui n'aimaient pas cela non plus. Les soldats et les bourreaux aiment les fleurs qu'on force, pas les fleurs qui se donnent.
Elle avait la tête d'une fleur qui voulait refaire sa vie. Parmi les fleurs. Mais on ne refait pas sa vie, c'est elle qui vous refait. Moi, je le savais déjà, elle n'aurait pas le temps de l'apprendre.
On l'a fauchée en pleine floraison, comme il se doit, avant d'avoir eu le temps de faner, mais elle était de celles qui ne fanent pas, de celles que chaque printemps refait éclore, de celles qu'il faut arracher de force au sol nourricier, elle n'était pas une plante verte qu'on serre en pot, mais une sauvage semence ne s'épanouissant qu'en liberté. Un mot qui suffi à mettre en rage les soldats et les bourreaux.
On l'a fauchée en pleine floraison, un jour, qu'elle était sortie botaniser, seule, comme elle y tenait, et, eussé-je été présent, je ne serais plus là pour pour vous conter cela.
Ceux qui haïssent les fleurs sauvages, celles qui piquent et ne poussent qu'en liberté, ceux-là l'avaient rattrapée.
Faisant éclore sur sa chair bleuie des orchidées de sang.
A fleur de peau.
Peu importe pourquoi elle était partie, la misère des jours, la dureté du labeur, la cruauté des hommes.
Elle fuyait une contrée, où en plus d'être dure à vivre, la vie était encore plus dure à vivre pour les femmes. Ne cherchez pas trop : on n'en finirait pas d'énumérer les pays où il en va de la sorte.
Elle pleurait une contrée dont elle la langue résonnait en elle, une contrée dont les danses vibraient dans ses reins, une contrée dont elle sentait encore sur sa langue la caresse du thé brûlant, une contrée qui l'avait vue grandir. Une contrée dont elle avait dû fuir pour sauver sa peau.
Peu importe dans quelle langage, mais elle s'appelait fleur. Comme un mirage.
J'écrivais, assis à la terrasse d'un café, d'un coup de blanc à l' autre. Plus de coups que de pages. Heureusement il n'y avait pas beaucoup de pages. Une seule, en vérité, et tout juste à moitié remplie. Y a des jours comme ça. Faut avoir faim d'écrire pour écrire ; ce jour-là, je n'avais pas faim, voilà tout. Juste soif.
Elle glissait sur le trottoir. Comme une feuille tombée de sa branche que pousse le vent.
Elle surfait miraculeusement à travers la foule pressée, telle Moïse fendant les eaux de la Mer Rouge de son bâton.
Elle portait, au creux de son bras gauche, une brassée de jonquilles, comme on porte un bébé. Les passants s'écartaient instinctivement devant elle. On respecte la mère, même quand l'enfant qu'elle serre contre elle n'est qu'une brassée de fleurs des champs.
- Fleurs, j'ai lancé quand elle est passée à côté de ma table. Elle me dévisageait en écarquillant d'étonnement de grands yeux ronds, d'un noir insoutenable.
- Vos fleurs, j'aimerais vous les acheter.
- Vous les voulez ? Je vous les donne.
On ne refuse pas les cadeaux d'une apparition. Elle accepta un verre en échange. Elle accueillit ma proposition d'un café ou d'un thé d'un sourcil froncé d'indignation.
- Je veux un verre de vin blanc. Ma mère avait une photo d'elle, jeune, assise à une table semblable à la vôtre. Seule, les cheveux au vent et en robe légère, à siroter avec délices un verre de vin blanc. Sans que personne ne lui dise rien ou pire. Je veux voir l'effet que ça fait.
- Au moins vous ne serez pas seule.
- Oh vous...ce n'est pas la même chose : je ne vous connais pas. S'asseoir à côté de quelqu'un qu'on ne connaît pas, ça a déjà le parfum de l'aventure.
Va pour l'aventure et son parfum. Dans sa langue, elle s'appelait Fleur. Forcément. Elle avait chipé celles qu'elle coltinait contre son sein dans le jardin privé d'un immeuble. Je ne peux m'en empêcher, minaudait-elle en sirotant son riesling à petites léchées gourmandes de sa langue rose et pointue.
Va pour l'aventure et son parfum. Celle-ci avait mille fragrances : dans son pays, elle faisait fleuriste. Dans la boutique de sa mère. Jusqu'à ce que la boutique explose en une monstrueuse fleur de feu et de poussière. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de mère, plus de famille, plus de vie, plus rien que l'errance, la faim, les coups, les...STOP ! Il suffit avec les fleurs du mal.
Elle, elle les aimait toutes, les fleurs. Depuis le plus humble coquelicot des prés de notre enfance, jusqu' à la plus orgueilleuse des roses ornant le corsage d'une impératrice. Elles les aimait toutes, à l'exception des orchidées. Plantes carnivores, crachait-elle, bourgeonnant dans la moiteur assassine d'une jungle, attirant insectes et même petits oiseaux de leurs couleurs bariolées et les enivrant de leurs parfums capiteux, pour mieux les digérer. Elle avait une dent contre les orchidées. Les orchidée auraient sa peau. Elle le savait, elle savait tout.
Elle a posé son bagage sur ma moquette. Un petit sac, capable de contenir tout ce qui restait de sa vie. Le migrant voyage léger.
Elle a posé ses pénates dans les miennes ; cela ne la dérangeait nullement de troquer sa piaule dans un foyer pour personnes déplacées contre un deux-pièces-cuisine-salle de bains muni de tout le confort moderne. J'ai proposé proposé mon meilleur fauteuil. Le vieux Chippendale au cuir craquelé et qui grince en rythme avec tes pensées.
Elle a posé son cul sur le parquet, sur un coussin chipé au canapé.
- Je préfère comme ça. Fleur a besoin du sol.
La brassée de jonquilles trouva sa place dans mon vase de verre bleu. Bientôt rejointe par des bouquets de violettes, de primevères, de pervenches, que sais-je encore, de tournesols, elle avait le chic pour glaner le pistil dans les parcs municipaux. Je l'admirais s'activer avec ses vases. Jamais eu le chic avec les plantes, ma ciboulette jaunissait dans son pot en deux jours, mon persil noircissait en une nuit, mes carottes pâlissaient et ramollissaient à vue d'œil. Bref, j'étais une catastrophe écologique à moi tout seul.
Elle attendait son autorisation de séjour. Elle avait l'habitude : quand on a vécu ce qu'elle avait vécu, la première chose qu'on apprend est d'attendre. J'attendais avec elle.
En attendant, nous vivions d'amour et ses fleurs d'eau fraîche. Elle en plantait toujours une dans son interminable chevelure aux reflets d'acajou. Entre mes quatre murs blancs, elle promenait sa silhouette d'antilope et sous son pas plus léger que la caresse d'un pétale fleurissaient buissons de roses, massifs de magnolias et parterres de tulipes. Elle me faisait gravement la leçon, son regard vrillé au mien :
- Les roses, tu dois les couper délicatement à la base, elle s'abandonneront à toi, mais si tu les empoigne par la tige, leurs épines te mordront cruellement.
Elle avait la tête d'une fleur qui sait mordre. C'était sans doute pour cela qu'elle avait dû s'exiler. Les soldats et les bourreaux aiment les fleurs dociles, pas les plantes épineuses. Elle n'avait peur de rien, pas même des orchidées, elle avait tort.
Elle avait la tête d'une fleur qui sait embrasser. Ceux qu'elle avait fui n'aimaient pas cela non plus. Les soldats et les bourreaux aiment les fleurs qu'on force, pas les fleurs qui se donnent.
Elle avait la tête d'une fleur qui voulait refaire sa vie. Parmi les fleurs. Mais on ne refait pas sa vie, c'est elle qui vous refait. Moi, je le savais déjà, elle n'aurait pas le temps de l'apprendre.
On l'a fauchée en pleine floraison, comme il se doit, avant d'avoir eu le temps de faner, mais elle était de celles qui ne fanent pas, de celles que chaque printemps refait éclore, de celles qu'il faut arracher de force au sol nourricier, elle n'était pas une plante verte qu'on serre en pot, mais une sauvage semence ne s'épanouissant qu'en liberté. Un mot qui suffi à mettre en rage les soldats et les bourreaux.
On l'a fauchée en pleine floraison, un jour, qu'elle était sortie botaniser, seule, comme elle y tenait, et, eussé-je été présent, je ne serais plus là pour pour vous conter cela.
Ceux qui haïssent les fleurs sauvages, celles qui piquent et ne poussent qu'en liberté, ceux-là l'avaient rattrapée.
Faisant éclore sur sa chair bleuie des orchidées de sang.
A fleur de peau.
Je vouinvite la lire ma fiction sur la gurre en Ukraine Resistance (Josie Marsan), vous allez l’adorer…