Edith et le monstre

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Elle n'arrive pas à dormir, comme tous les soirs. Pour une fois, ce n'est pas à cause du monstre sous son lit. Les angoisses, les petits tracas, les faux pas et les maladresses qu'elle a commis dans la journée, tout tourne dans sa tête en un manège infernal. Lui, au contraire, dort comme un bienheureux... Il n'a pas à se préoccuper de comment payer le loyer, de son copain qui l'a quitté ou de la fois où, en troisième, il a appelé la prof d'histoire comparative des créatures magiques « maman ». Il n'a pas de problèmes d'anxiété, ou de dépression. Il est heureux, et paisible, ou du moins c'est l'impression qu'elle a en entendant son souffle tranquille en dessous d'elle. Il ne s'endort pas si tôt, généralement, et c'est son bavardage incessant qui tient Édith éveillée. Elle se demande souvent comment il trouve autant de choses à dire, lui qui passe son temps tapi au milieu des moutons de poussière, à grignoter des miettes de gâteaux et des rognures d'ongles. Quoique, peut-être qu'il fait autre chose, quand elle n'est pas là. Peut-être qu'il se couche sur le canapé du salon pour regarder les informations à la télévision, même si elle a du mal à imaginer comment il pourrait manier une télécommande avec ses longs doigts griffus. Peut-être qu'il invite les monstres des voisins pour prendre le thé, et qu'ils discutent de leurs humains respectifs.
Quoi qu'il en soit, quand elle rentre, il est toujours à sa place : sous le lit, avec parfois son museau pointu qui dépasse un peu parce qu'il est grand, trop grand pour rentrer entièrement sous un lit une place – à moins de se rouler en boule. Comment font les monstres des gens qui ont un matelas posé directement sur le sol ? C'est une question qu'elle se pose souvent. Peut-être qu'ils sont tous plats, ou qu'ils se mettent dans une armoire à la place. Après tout, si tout le monde a son monstre, aucune règle ne les oblige à se cacher sous le lit. C'est une sorte de tradition, une convention fixée entre monstres sans doute, mais la logistique doit en obliger certains à y déroger.
Elle s'en plaint beaucoup, mais au fond elle l'aime bien, son monstre. Elle sait qu'elle aurait pu tomber sur bien pire : il est gentil, quoiqu'un peu trop bavard, tandis que certains sont désagréables ou carrément hargneux. Et puis c'est comme ça, on ne choisit pas, il est là depuis toujours et il sera toujours là. On s'habitue, et on finit par s'y attacher. D'ailleurs, pour une fois qu'il s'endort avant elle, elle s'aperçoit que son bavardage n'est pas aussi agaçant qu'elle aime à le penser. L'écouter parler l'empêche de songer à elle, à ce qui ne va pas dans sa vie. C'est reposant, d'une certaine façon, plus reposant que de se concentrer sur ses propres pensées.
Comme s'il avait lu dans son esprit – et c'est peut-être le cas, les monstres ont des pouvoirs inconnus des humains –, il sort sa tête, semblable à celle d'un alligator, de sous le lit. Il pose son menton poilu sur le bord du matelas et, de ses yeux rouge et jaune, pose un regard bienveillant sur Édith. Elle s'est toujours demandé comment ses yeux de serpent, aux pupilles fendues, pouvaient contenir tant de gentillesse.
— Tu ne dors pas ? il demande, de sa voix un peu croassante.
— Non, répond-elle. Je pensais à toi. Et avant ça, à Luc. Rien n'est plus pareil, depuis qu'il m'a quittée.
Ygyaarr – c'est son nom – reste silencieux quelques instants. Il n'est pas très doué pour trouver les bons mots, dans ces cas-là, ce n'est plus une surprise pour Édith. Mais elle ne lui en veut pas.
— Je sais, finit-il par dire, de sa voix la plus douce. Mais tu trouveras mieux, tu verras. Il ne te méritait pas.
Ce ne sont pas des mots de réconfort très originaux, mais elle avait besoin de les entendre. Pour le meilleur et pour le pire, Ygyaarr sera toujours là pour elle. Un nouveau silence s'installe, puis c'est elle qui prend la parole :
— Tu me racontes une histoire ?
Il ne lui refuserait jamais ça, elle le sait. Alors, la tête toujours posée sur le bord du lit, il se met à lui parler d'un autre monde où les monstres n'existent que dans l'imagination des humains. Un monde où les gens n'utilisent pas de calèches tirées par des licornes pour se déplacer, mais de petites boîtes en fer montées sur roues. Ça l'a fait rire, un peu, parce que c'est complètement insensé. Ygyaarr a toujours été doué pour inventer des histoires improbables. Il lui raconte les aventures des habitants de ce monde imaginaire, comment se passent leurs vies, en quoi elles sont différentes et en quoi elles sont semblables à la sienne.
Quand il la sent apaisée, prête à s'endormir, il se tait. Il se laisse glisser sous le lit, elle entend le bruit de ses écailles qui frottent contre la moquette lorsqu'il se roule en boule sur le sol. Quelques secondes s'écoulent, puis, juste au moment où elle se sent glisser dans le sommeil, il murmure :
— Bonne nuit, Édith.
— Bonne nuit, Ygyaarr, répond-elle, la voix ensommeillée.
Elle sourit et ferme les yeux. Il peut être agaçant, c'est vrai, mais pour rien au monde elle n'échangerait son monstre contre un autre.

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