La porte s'est remise à battre
Elle s'ouvre quand la nuit fuit
Que mes yeux dépolis se tournent
Ne fixent plus le noi
... [+]
L'astronef pénétra en douceur dans le sas conçu spécifiquement à cette fin, comme une cheville pour sa vis ou une bogue pour sa noix. Nul espace à gâcher vu que l'espace dans l'espace, c'est précieux !
- Ne tarde pas, dit la femme. C'est samedi soir, les astronefs vont se bousculer sur la rocade galactique. Si on part trop tard, on est bons pour les bouchons. Et puis les enfants vont chahuter si ça traîne.
- Juste un coup d'œil pour vérifier que tout va bien. C'était sur la route de toute façon. Je fais vite !
Le jardinier fourragea distraitement dans sa barbe de neige en attendant que se déploie le couloir d'accès, puis que la porte du vaisseau se ferme pour que celle du container spatio-gravitationnel puisse s'ouvrir. Il faudrait quand même qu'il prenne le temps de la tailler cette barbe, même si cet attribut viril faisait la fierté des mâles de sa race.
Sur le seuil, il marqua un temps d'arrêt, subjugué par la beauté paisible du paysage que la porte lui dévoilait en pschitant sa joie de l'accueillir, enfin... lui voyait de la joie dans le bruit que faisait la porte en s'ouvrant mais il était d'une nature plutôt optimiste.
Les premiers hectares étaient dévolus aux arbres majestueux, aux herbes hautes ondulant sous leur brise artificielle, aux champs de fleurs de toutes formes, de toutes tailles, de toutes couleurs. Le sol était d'herbe tendre et bien malin qui eût pu discerner les parois du vaisseau, estompées par le bleu du ciel artificiel et l'éclat de son faux soleil au zénith. Après le noir de l'espace, même chiuresdemouché de ses myriades d'étoiles, chaque venue en ces lieux sereins était pour lui un ravissement. Malgré sa hâte de retrouver la perfection de sa dernière culture, il ne put s'empêcher de ralentir le pas pour profiter de la senteur des roses et du bourdonnement affairé des insectes pollinisateurs. En tendant l'oreille, il avait même l'impression d'entendre les fouisseurs aérer la terre riche et brune. Il se secoua, impatient d'atteindre son but. Les cultures légumières donnaient à plein, les arbres fruitiers tendaient vers lui leurs rameaux fleuris plein de promesses de douceurs délicatement sucrées et parfumées. Il ne leur accorda qu'un bref regard satisfait. Il franchit le sas qui protégeait ses chers végétaux de l'appétit féroce et incontrôlable de ses autres protégés. Un faon hésitant vint l'accueillir, aussitôt chahuté par un chevreau bondissant suivi d'un girafon à la démarche titubante qui tendit vers lui son long cou pour une caresse amicale. La nouvelle récolte était décidément une réussite même si la génération précédente –il voyait au loin deux bisons brouter tranquillement au milieu d'un troupeau de zèbres à moitié endormis – n'était vraiment pas mal non plus. Ses jeunes protégés s'égaillèrent comme un nuage de moucherons dispersé par un éventail. Un lionceau et un louveteau, farceurs, étaient arrivés en catimini et s'amusaient à leur mordiller les chevilles pour les agacer. Tandis que le canidé, joueur et obstiné, poursuivait sa traque des fuyards, le félin vint se frotter à lui en ronronnant. Il le repoussa avec un sourire. « File ! Aujourd'hui je viens juste voir où en sont les nouvelles pousses, pas le temps de m'amuser ». Attendri par le regard craquant du fauve, il le gratifia néanmoins d'une caresse avant de le repousser pour franchir le dernier sas, qui donnait sur la zone à semis.
Il s'arrêta devant le Pommier Grand Nourricier, inspectant d'un regard satisfait les branches lourdes de leurs fruits, gorgées de leur sève nutritive et le tronc puissant qui envoyait ses racines vers les bacs de nourrissage. Il fronça les sourcils et ramassa vivement un fruit tombé au sol. C'était la seconde fois en un mois et le danger était grand. Qu'une pousse vienne à s'extraire prématurément de son couvoir et s'empare du fruit et, à terme, rien ne pourrait plus arrêter sa prolifération. Le container n'étant conçu que pour un nombre fini d'individus, il faudrait mettre fin à l'expérience illico, exfiltrer toutes les espèces et tout reprendre à zéro. Après tant d'années d'efforts, il y laisserait sa place et serait bon pour reprendre un travail de bureau.
Sans perdre de temps il fonça, impatient, vers le dernier couvoir qui abritait son chef d'œuvre ! La racine alimentaire qui en assurait le développement était en train de se racornir. Bientôt elle tomberait et l'être serait viable et autonome. Le jardinier contempla avec émotion la boule de chair palpitante qui, sentant sans doute sa présence, se déplia lentement, déployant ses appendices en produisant un bruit étouffé par son orifice buccal. Les yeux s'ouvrirent et les traits de la créature se peignirent d'un mélange complexe de crainte, de respect, d'amour.
« Pè...è...re », balbutia sa création.
Emu malgré lui, l'homme évalua que l'acquisition du langage était en bonne voie. On lui avait pourtant dit qu'il tentait l'impossible. « Réaliser un greffon à partir de cet ADN incomplet récupéré sur une planète totalement ravagée, c'est de l'utopie », lui répétaient les tenants de l'orthodoxie. Et pourtant il l'avait fait. Au-delà de tout espoir même, car de l'abdomen de sa création, avait poussé un rejet si vigoureux que, comme l'original, il était proche de sa maturité. Tellement proche que ses yeux s'ouvrirent à leur tour et se fixèrent sur leur créateur avec une intensité telle qu'il en fut troublé. Il y avait dans ce regard un mélange complexe de séduction, de malice et d'ingénuité qui le laissait impuissant.
Mal à l'aise, il préféra s'adresser au plan souche.
- Eh bien, tu as produit un rejet magnifique. Il va falloir lui donner un nom. Quel nom veux-tu lui donner ? »
- E...ve...
- Eve ? C'est un bien joli prénom. D'accord ce sera Eve. Bien ! Il faut que je me sauve rapidement sinon je vais me faire gronder, le dimanche on ne travaille pas, c'est sacré ! Mais je reviens lundi sans faute !
Laborieusement, la créature tenta de finir sa phrase mais l'homme était déjà loin.
- E...ve...E...veut... Elle...veut...une... pomme ! ».
C'est à ce moment que la longue racine serpentine lâcha, libérant le greffon et son rejet. Ils se levèrent maladroitement mais c'est d'un pas décidé qu'ils se dirigèrent vers l'arbre.
- Ne tarde pas, dit la femme. C'est samedi soir, les astronefs vont se bousculer sur la rocade galactique. Si on part trop tard, on est bons pour les bouchons. Et puis les enfants vont chahuter si ça traîne.
- Juste un coup d'œil pour vérifier que tout va bien. C'était sur la route de toute façon. Je fais vite !
Le jardinier fourragea distraitement dans sa barbe de neige en attendant que se déploie le couloir d'accès, puis que la porte du vaisseau se ferme pour que celle du container spatio-gravitationnel puisse s'ouvrir. Il faudrait quand même qu'il prenne le temps de la tailler cette barbe, même si cet attribut viril faisait la fierté des mâles de sa race.
Sur le seuil, il marqua un temps d'arrêt, subjugué par la beauté paisible du paysage que la porte lui dévoilait en pschitant sa joie de l'accueillir, enfin... lui voyait de la joie dans le bruit que faisait la porte en s'ouvrant mais il était d'une nature plutôt optimiste.
Les premiers hectares étaient dévolus aux arbres majestueux, aux herbes hautes ondulant sous leur brise artificielle, aux champs de fleurs de toutes formes, de toutes tailles, de toutes couleurs. Le sol était d'herbe tendre et bien malin qui eût pu discerner les parois du vaisseau, estompées par le bleu du ciel artificiel et l'éclat de son faux soleil au zénith. Après le noir de l'espace, même chiuresdemouché de ses myriades d'étoiles, chaque venue en ces lieux sereins était pour lui un ravissement. Malgré sa hâte de retrouver la perfection de sa dernière culture, il ne put s'empêcher de ralentir le pas pour profiter de la senteur des roses et du bourdonnement affairé des insectes pollinisateurs. En tendant l'oreille, il avait même l'impression d'entendre les fouisseurs aérer la terre riche et brune. Il se secoua, impatient d'atteindre son but. Les cultures légumières donnaient à plein, les arbres fruitiers tendaient vers lui leurs rameaux fleuris plein de promesses de douceurs délicatement sucrées et parfumées. Il ne leur accorda qu'un bref regard satisfait. Il franchit le sas qui protégeait ses chers végétaux de l'appétit féroce et incontrôlable de ses autres protégés. Un faon hésitant vint l'accueillir, aussitôt chahuté par un chevreau bondissant suivi d'un girafon à la démarche titubante qui tendit vers lui son long cou pour une caresse amicale. La nouvelle récolte était décidément une réussite même si la génération précédente –il voyait au loin deux bisons brouter tranquillement au milieu d'un troupeau de zèbres à moitié endormis – n'était vraiment pas mal non plus. Ses jeunes protégés s'égaillèrent comme un nuage de moucherons dispersé par un éventail. Un lionceau et un louveteau, farceurs, étaient arrivés en catimini et s'amusaient à leur mordiller les chevilles pour les agacer. Tandis que le canidé, joueur et obstiné, poursuivait sa traque des fuyards, le félin vint se frotter à lui en ronronnant. Il le repoussa avec un sourire. « File ! Aujourd'hui je viens juste voir où en sont les nouvelles pousses, pas le temps de m'amuser ». Attendri par le regard craquant du fauve, il le gratifia néanmoins d'une caresse avant de le repousser pour franchir le dernier sas, qui donnait sur la zone à semis.
Il s'arrêta devant le Pommier Grand Nourricier, inspectant d'un regard satisfait les branches lourdes de leurs fruits, gorgées de leur sève nutritive et le tronc puissant qui envoyait ses racines vers les bacs de nourrissage. Il fronça les sourcils et ramassa vivement un fruit tombé au sol. C'était la seconde fois en un mois et le danger était grand. Qu'une pousse vienne à s'extraire prématurément de son couvoir et s'empare du fruit et, à terme, rien ne pourrait plus arrêter sa prolifération. Le container n'étant conçu que pour un nombre fini d'individus, il faudrait mettre fin à l'expérience illico, exfiltrer toutes les espèces et tout reprendre à zéro. Après tant d'années d'efforts, il y laisserait sa place et serait bon pour reprendre un travail de bureau.
Sans perdre de temps il fonça, impatient, vers le dernier couvoir qui abritait son chef d'œuvre ! La racine alimentaire qui en assurait le développement était en train de se racornir. Bientôt elle tomberait et l'être serait viable et autonome. Le jardinier contempla avec émotion la boule de chair palpitante qui, sentant sans doute sa présence, se déplia lentement, déployant ses appendices en produisant un bruit étouffé par son orifice buccal. Les yeux s'ouvrirent et les traits de la créature se peignirent d'un mélange complexe de crainte, de respect, d'amour.
« Pè...è...re », balbutia sa création.
Emu malgré lui, l'homme évalua que l'acquisition du langage était en bonne voie. On lui avait pourtant dit qu'il tentait l'impossible. « Réaliser un greffon à partir de cet ADN incomplet récupéré sur une planète totalement ravagée, c'est de l'utopie », lui répétaient les tenants de l'orthodoxie. Et pourtant il l'avait fait. Au-delà de tout espoir même, car de l'abdomen de sa création, avait poussé un rejet si vigoureux que, comme l'original, il était proche de sa maturité. Tellement proche que ses yeux s'ouvrirent à leur tour et se fixèrent sur leur créateur avec une intensité telle qu'il en fut troublé. Il y avait dans ce regard un mélange complexe de séduction, de malice et d'ingénuité qui le laissait impuissant.
Mal à l'aise, il préféra s'adresser au plan souche.
- Eh bien, tu as produit un rejet magnifique. Il va falloir lui donner un nom. Quel nom veux-tu lui donner ? »
- E...ve...
- Eve ? C'est un bien joli prénom. D'accord ce sera Eve. Bien ! Il faut que je me sauve rapidement sinon je vais me faire gronder, le dimanche on ne travaille pas, c'est sacré ! Mais je reviens lundi sans faute !
Laborieusement, la créature tenta de finir sa phrase mais l'homme était déjà loin.
- E...ve...E...veut... Elle...veut...une... pomme ! ».
C'est à ce moment que la longue racine serpentine lâcha, libérant le greffon et son rejet. Ils se levèrent maladroitement mais c'est d'un pas décidé qu'ils se dirigèrent vers l'arbre.
Merci pour votre passage Marie !
Je vous ai rendu visite aussi... avec grand bonheur !
Le tout est cohérent et charmant. Quelle créativité !