Le roi repousse de son front une mèche grisonnante et redresse le dos. Après la longue ascension de l'escalier du donjon, il vient enfin d'atteindre la terrasse. Il se sent las. Devant ses yeux ... [+]
Au coin de ma rue, il y a un lampadaire sous lequel, le soir, se rassemblent les rhinocéros. Fréquemment les gendarmes y patrouillent aussi deux par deux. Je me gare un peu plus loin, c'est préférable, et je rentre à pieds. Alors, à mon approche, les rhinocéros s'envolent, et se mettent à tournoyer lourdement sous le faisceau du lampadaire.
Le vieux mur de pierre qui fait l'angle abrite dans ses interstices un énorme crapaud aux pustules verdâtres, au ventre bouffi, aux sublimes yeux d'or. Lui aussi se range sous le lampadaire : il est à l'affût des éphémères, des phalènes, des lucanes, et des rhinocéros qu'il avale tout rond.
Dans le crépuscule qui s'assombrit, monte du jardin un bruit de feuilles remuées, de froissements, de fouissements, assortis d'un concert de petits grognements excités. Je sais qu'une famille de hérissons vit sous le lilas ; ils font festin des escargots qui infestent mon potager. Moi aussi, parfois, lassée des ravages sur mes salades et mes haricots, je prépare un aïoli, et je mange les escargots.
Du sentier en contrebas s'élève le chant des grillons et le faible vrombissement d'un moteur deux temps : les engoulevents sont en chasse.
Parce que le faisceau du lampadaire qui arrive jusque devant ma porte m'empêchait d'observer les étoiles, un jour, je suis montée avec la grande échelle pour en dévisser l'ampoule. Délivrée de cette nuisance lumineuse, j'ai retrouvé la clarté nocturne, et la lueur des vers luisants qui hantent mes vieux murs. Mais alors, où se sont rassemblés les rhinocéros ? Sous le lampadaire suivant, qui est au bord de la grand route. Les accidents de la circulation font tant de victimes. Je trouve au matin des crapauds aplatis aux entrailles répandues, des carabes aux carapaces broyées, de grands paons de nuit aux ailes écrasées, des hérissons agonisants. Cela ne m'amuse pas. J'ai dévissé l'ampoule du lampadaire sur la grand route et revissé celle du coin de ma ruelle.
Un couple d'hirondelles a fait son nid dans la remise qui me sert de débarras. Dès le printemps, je laisse la porte grande ouverte pour qu'elles puissent circuler à leur guise. En période de couvaison, je n'ose plus entrer dans la remise, de peur de déranger la mère, c'est pourquoi je laisse rouiller dehors bêche, binette, faucille et râteau.
Après la naissance, les allées et venues de parents qui nourrissent la nichée déclenchent, à chaque voyage, l'éclosion sonore d'un bouquet de becs jaunes écarquillés. Lorsque les services techniques ont creusé dans le secteur des tranchées pour enterrer les câbles électrique et les fils du téléphone, j'ai tendu une corde entre mon toit et la grange des voisins. Comme c'est à présent l'unique perchoir à hirondelles du village, toutes les nichées viennent s'y poser. J'observe depuis ma fenêtre les béjaunes encore maladroits, aux filets courts, qui piaillent pour continuer à se faire nourrir par leurs parents.
Les chardonnerets, eux, nichent dans le cèdre. Je ne sais où logent à présent les mésanges : des moineaux ont agrandi le trou du nichoir que j'avais posé et s'y sont installés.
Près de la vieille marmite qui sert de buvette aux oiseaux, la coronelle lisse fait la chasse aux jeunes lézards gris. Au sortir de chez moi, un jour d'été, j'ai du éviter de mettre le pied sur une grosse couleuvre verte et jaune qui faisait la sieste au soleil sur mon paillasson. Effrayée, la bestiole s'est jetée vers le premier refuge venu – ma porte ouverte. Après un tour complet de reptation affolée tout le long des murs de la cuisine, elle est ressortie par où elle était entrée et s'est faufilée sous le bois de chauffage. Quel dommage ! Je n'ai même pas eu le temps de saisir l'appareil photo.
Dans ce pays de soleil cuisant où il ne pleut pas pendant quatre mois d'affilée, j'ai abandonné toute velléité de faire croître au potager les ingrédients de la ratatouille provençale. Une tradition du reste très récente, tomates, aubergines, courgettes et poivrons, ces nouveaux venus, n'étant arrivés que depuis peu de leurs continents d'origine. Renonçant à ces légumes avides d'une eau que je ne peux pas leur fournir, je me cantonne aux cultures de printemps et d'automne. Jardinage est un bien grand mot pour ma présence peu interventionniste sur ce lopin peuplé d'asperges qui pointent fidèlement tous les printemps sans que je m'en occupe, de blettes et de salades qui se ressèment toutes seules, de topinambours qui se multiplient plus vite que je n'en mange, de choux arborescents. Un jardin de feignant.
En été, les épeires tendent leurs toiles entre les troncs de ces choux, qui me dépassent de leur tête, et les tiges de roses trémières qui poussent où elles veulent. Cela m'oblige à des détours pour apporter les épluchures au compost, où mon approche fait fuir les musaraignes, et j'ai l'impression que je ne peux jamais circuler sans déranger quelqu'un. Lorsque les choux grandissent encore, et que leur tête en forme de palmier commence à dépasser du muret, le mistral les couche. Ils s'abattent sur les artichauts que je néglige parfois de manger pour le plaisir de voir s'épanouir leur vaste fleur mauve, où les papillons et les abeilles viennent s'enivrer.
A l'heure du repas je glane parmi le mouron ou les coquelicots quelques feuilles de persil, d'oseille ou d'estragon, un poireau malingre ou un épinard monstrueux. A la fin de l'hiver, quand les pommes de terre germent au fond du cellier, je leur trouve au jardin un petit coin disponible où les enfouir d'un coup de binette. Puis, pour les prémunir des doryphores, les entourer d'un semis de lin bleu.
Mon bout de pelouse n'a rien d'un gazon anglais. Sur un tapis bleu de véroniques de Perse, s'épanouissent à leur guise les pâquerettes et les pissenlits, le lamier, la cardamine, la garance voyageuse et la stellaire étoilée. Les violettes et les cyclamens ont envahi tous les coins d'ombre. Mais au soleil, tout le long de l'année, s'ouvrent ces pétales d'un orange éclatant : mon jardin me donne beaucoup de soucis.
De saison en saison je vois éclore pivoines de Chine et pavots d'Islande, iris de Hollande et roses de Provins, nigelles de Damas et glaïeuls byzantins, voler dans mon jardin Mars et Vulcain, la belle dame et le flambé, le citron de Provence et le tabac d'Espagne, le clairon, la mordelle, le graphosome italien et la punaise à damier, la réduve irascible et l'éristale obstinée.
Les valérianes qui s'épanouissent dans les murs attirent le vol stationnaire du moro-sphinx : il plonge sa trompe de corolle en corolle. Tout à l'inverse du vol lourdaud et tapageur des xylocopes qui s'abattent en vrombissant sur les aubriettes, j'aime observer le vagabondage gracieux des petites tortues voltigeant parmi les ombelles. C'est pour elles, et pour le petit paon de nuit, que je laisse croître orties et ronciers. Au printemps, je fais des soupes d'orties. Et en automne je mange les mûres.
Une grosse tortue, venue je ne sais d'où, prend parfois ses quartiers dans le coin chaud et abrité des artichauts, où elle côtoie un orvet tacheté de bleu, amateur de l'épaisse couche de paille que je répands à leur pied. Je sais qu'elle mange mes salades. Je la laisse faire, car elle se régale aussi d'escargots. Elle n'est pas la seule ici à dévorer mes plantations. Une énorme chenille vert pomme, tachée de noir et de rouge, ronge mes fenouils : c'est celle du somptueux machaon. La cétoine dorée grignote les feuilles de menthe, et le criocère du lys dévore les hémérocalles en émettant une faible stridulation de satisfaction. Je reste pantoise devant les élytres vert et or de l'un, le magnifique habit vermillon de l'autre. Sales bêtes ! Vous pourriez quand même m'en laisser un peu ! Moi aussi, j'habite dans ce jardin.
Le vieux mur de pierre qui fait l'angle abrite dans ses interstices un énorme crapaud aux pustules verdâtres, au ventre bouffi, aux sublimes yeux d'or. Lui aussi se range sous le lampadaire : il est à l'affût des éphémères, des phalènes, des lucanes, et des rhinocéros qu'il avale tout rond.
Dans le crépuscule qui s'assombrit, monte du jardin un bruit de feuilles remuées, de froissements, de fouissements, assortis d'un concert de petits grognements excités. Je sais qu'une famille de hérissons vit sous le lilas ; ils font festin des escargots qui infestent mon potager. Moi aussi, parfois, lassée des ravages sur mes salades et mes haricots, je prépare un aïoli, et je mange les escargots.
Du sentier en contrebas s'élève le chant des grillons et le faible vrombissement d'un moteur deux temps : les engoulevents sont en chasse.
Parce que le faisceau du lampadaire qui arrive jusque devant ma porte m'empêchait d'observer les étoiles, un jour, je suis montée avec la grande échelle pour en dévisser l'ampoule. Délivrée de cette nuisance lumineuse, j'ai retrouvé la clarté nocturne, et la lueur des vers luisants qui hantent mes vieux murs. Mais alors, où se sont rassemblés les rhinocéros ? Sous le lampadaire suivant, qui est au bord de la grand route. Les accidents de la circulation font tant de victimes. Je trouve au matin des crapauds aplatis aux entrailles répandues, des carabes aux carapaces broyées, de grands paons de nuit aux ailes écrasées, des hérissons agonisants. Cela ne m'amuse pas. J'ai dévissé l'ampoule du lampadaire sur la grand route et revissé celle du coin de ma ruelle.
Un couple d'hirondelles a fait son nid dans la remise qui me sert de débarras. Dès le printemps, je laisse la porte grande ouverte pour qu'elles puissent circuler à leur guise. En période de couvaison, je n'ose plus entrer dans la remise, de peur de déranger la mère, c'est pourquoi je laisse rouiller dehors bêche, binette, faucille et râteau.
Après la naissance, les allées et venues de parents qui nourrissent la nichée déclenchent, à chaque voyage, l'éclosion sonore d'un bouquet de becs jaunes écarquillés. Lorsque les services techniques ont creusé dans le secteur des tranchées pour enterrer les câbles électrique et les fils du téléphone, j'ai tendu une corde entre mon toit et la grange des voisins. Comme c'est à présent l'unique perchoir à hirondelles du village, toutes les nichées viennent s'y poser. J'observe depuis ma fenêtre les béjaunes encore maladroits, aux filets courts, qui piaillent pour continuer à se faire nourrir par leurs parents.
Les chardonnerets, eux, nichent dans le cèdre. Je ne sais où logent à présent les mésanges : des moineaux ont agrandi le trou du nichoir que j'avais posé et s'y sont installés.
Près de la vieille marmite qui sert de buvette aux oiseaux, la coronelle lisse fait la chasse aux jeunes lézards gris. Au sortir de chez moi, un jour d'été, j'ai du éviter de mettre le pied sur une grosse couleuvre verte et jaune qui faisait la sieste au soleil sur mon paillasson. Effrayée, la bestiole s'est jetée vers le premier refuge venu – ma porte ouverte. Après un tour complet de reptation affolée tout le long des murs de la cuisine, elle est ressortie par où elle était entrée et s'est faufilée sous le bois de chauffage. Quel dommage ! Je n'ai même pas eu le temps de saisir l'appareil photo.
Dans ce pays de soleil cuisant où il ne pleut pas pendant quatre mois d'affilée, j'ai abandonné toute velléité de faire croître au potager les ingrédients de la ratatouille provençale. Une tradition du reste très récente, tomates, aubergines, courgettes et poivrons, ces nouveaux venus, n'étant arrivés que depuis peu de leurs continents d'origine. Renonçant à ces légumes avides d'une eau que je ne peux pas leur fournir, je me cantonne aux cultures de printemps et d'automne. Jardinage est un bien grand mot pour ma présence peu interventionniste sur ce lopin peuplé d'asperges qui pointent fidèlement tous les printemps sans que je m'en occupe, de blettes et de salades qui se ressèment toutes seules, de topinambours qui se multiplient plus vite que je n'en mange, de choux arborescents. Un jardin de feignant.
En été, les épeires tendent leurs toiles entre les troncs de ces choux, qui me dépassent de leur tête, et les tiges de roses trémières qui poussent où elles veulent. Cela m'oblige à des détours pour apporter les épluchures au compost, où mon approche fait fuir les musaraignes, et j'ai l'impression que je ne peux jamais circuler sans déranger quelqu'un. Lorsque les choux grandissent encore, et que leur tête en forme de palmier commence à dépasser du muret, le mistral les couche. Ils s'abattent sur les artichauts que je néglige parfois de manger pour le plaisir de voir s'épanouir leur vaste fleur mauve, où les papillons et les abeilles viennent s'enivrer.
A l'heure du repas je glane parmi le mouron ou les coquelicots quelques feuilles de persil, d'oseille ou d'estragon, un poireau malingre ou un épinard monstrueux. A la fin de l'hiver, quand les pommes de terre germent au fond du cellier, je leur trouve au jardin un petit coin disponible où les enfouir d'un coup de binette. Puis, pour les prémunir des doryphores, les entourer d'un semis de lin bleu.
Mon bout de pelouse n'a rien d'un gazon anglais. Sur un tapis bleu de véroniques de Perse, s'épanouissent à leur guise les pâquerettes et les pissenlits, le lamier, la cardamine, la garance voyageuse et la stellaire étoilée. Les violettes et les cyclamens ont envahi tous les coins d'ombre. Mais au soleil, tout le long de l'année, s'ouvrent ces pétales d'un orange éclatant : mon jardin me donne beaucoup de soucis.
De saison en saison je vois éclore pivoines de Chine et pavots d'Islande, iris de Hollande et roses de Provins, nigelles de Damas et glaïeuls byzantins, voler dans mon jardin Mars et Vulcain, la belle dame et le flambé, le citron de Provence et le tabac d'Espagne, le clairon, la mordelle, le graphosome italien et la punaise à damier, la réduve irascible et l'éristale obstinée.
Les valérianes qui s'épanouissent dans les murs attirent le vol stationnaire du moro-sphinx : il plonge sa trompe de corolle en corolle. Tout à l'inverse du vol lourdaud et tapageur des xylocopes qui s'abattent en vrombissant sur les aubriettes, j'aime observer le vagabondage gracieux des petites tortues voltigeant parmi les ombelles. C'est pour elles, et pour le petit paon de nuit, que je laisse croître orties et ronciers. Au printemps, je fais des soupes d'orties. Et en automne je mange les mûres.
Une grosse tortue, venue je ne sais d'où, prend parfois ses quartiers dans le coin chaud et abrité des artichauts, où elle côtoie un orvet tacheté de bleu, amateur de l'épaisse couche de paille que je répands à leur pied. Je sais qu'elle mange mes salades. Je la laisse faire, car elle se régale aussi d'escargots. Elle n'est pas la seule ici à dévorer mes plantations. Une énorme chenille vert pomme, tachée de noir et de rouge, ronge mes fenouils : c'est celle du somptueux machaon. La cétoine dorée grignote les feuilles de menthe, et le criocère du lys dévore les hémérocalles en émettant une faible stridulation de satisfaction. Je reste pantoise devant les élytres vert et or de l'un, le magnifique habit vermillon de l'autre. Sales bêtes ! Vous pourriez quand même m'en laisser un peu ! Moi aussi, j'habite dans ce jardin.
Moi se sont les suricates qui ont squatté ma pelouse pour épier mes macareux domestiques qui commencent a m'énerver.