Assassin Valentin

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L'aube se lève sur une nouvelle journée de bataille. Je passe mon arsenal en revue pour apaiser ma tension croissante. Quel métier ! Ce n'était pas ma guerre, je leur avais dit : les sentiments et moi, ça a toujours fait deux. Mais mes dons pour la destruction et le carnage avaient été remarqués en haut lieu et on m'avait offert ce poste soi-disant prestigieux. Ils m'avaient vendu ça comme une « promotion exceptionnelle » et un « insigne honneur ». Tu parles, Charles ! En planque devant ce lycée miteux à me geler les burnes depuis deux heures, j'ai du mal à sentir le prestige lié à ma situation. Foutue vie.

Pas le temps de ressasser mon fiel plus avant car ma cible vient apparaître dans ma ligne de mire. C'est un ado boutonneux et couillon comme il en existe des millions. Tous les ans à cette date, c'est le même refrain : mes supérieurs savent que c'est ma fête, alors ils s'arrangent toujours pour me refiler une mission pourrie. Là, ils ont fait fort. Les deux sujets que je dois « traiter » différent en tout : religion, classe sociale, réputation en classe et cercles d'amis. Un vrai parcours du combattant. Il va y avoir du sport.

Ne vous laissez pas bourrer le mou par les rom-coms d'Hollywood et les romans de la collection Harlequin : l'amour ne naît pas dans un contexte de paix et de petits nuages roses. L'amour c'est une guerre, la romance, un job de mercenaires, et le coup de foudre, un massacre en règle. L'erreur éternelle des romantiques, c'est de croire que le sentiment peut apparaître spontanément dans n'importe quel cœur, comme par magie. Quel bobard ! Pour faire naître l'amour dans un cœur, il faut d'abord vaincre un tas d'adversaires. Tenez, je vais vous montrer.

Ici, nous avons mon ado ciblé, Raoul. Vous voyez ce grand type habillé en gris avec cette allure de gredin, et ce regard chafouin qui marche à ses côtés ? C'est la somme de ses préjugés. Il est encore jeune l'ami Raoul, mais ça n'empêche pas ses préjugés d'être déjà grands et forts. Et si je veux qu'il tombe amoureux d'une gonzesse aussi différente de lui, je n'ai pas le choix, il faut que je les supprime. Momentanément, je vous rassure, les préjugés ont la peau dure. Fusil de sniper rivé dans le creux de l'épaule, j'ajuste l'escogriffe en gris dans mon viseur et le dégomme d'une balle de bienveillance pile entre les deux yeux. C'est radical, la bienveillance : il s'effondre sur le macadam. Je lui balance encore une balle de neutralité et une autre d'objectivité pour être sûr qu'il ne se relève pas. Et d'un.

Mes tirs ont donné l'alerte et les autres se sont dispersés comme une volée de moineaux. Les autres, c'est le reste de mes adversaires, d'autres entités liées à la psyché de Raoul qui vont vouloir me mettre des bâtons dans les roues. Je vais devoir les traquer un par un dans tout le lycée. C'est la partie la plus dangereuse du job, mais aussi celle où je m'exprime le mieux, c'est mon côté sadique. D'ailleurs, j'ai vite fait de débusquer Religion, elle a cru pouvoir échapper à mon jugement en se planquant dans un buisson, l'andouille. Elle n'a pas l'air bien fortiche, c'est plutôt normal à cet âge, mais on ne sait jamais : c'est un adversaire qui adore s'enflammer, et devoir se coltiner Fanatisme brûlant est une toute autre paire de manches. Je lui balance une bombe artisanale de ma fabrication qui lui explose à la tronche. Le résultat n'est pas beau à voir, il faut dire que je n'ai pas lésiné sur le rationalisme parmi les ingrédients. Et de deux. À chaque adversaire vaincu, le cœur de ma cible devient plus accessible. Mais il ne faut pas traîner.

J'ai à peine le temps de me délecter du spectacle de Religion éparpillée façon puzzle que deux grands gusses me tombent sur le râble à bras raccourcis. Je les reconnais : Timidité et Complexe physique, deux adversaires redoutables chez les ados. Je me suis laissé surprendre comme un bleu. Timidité tente de m'écraser de tout son poids avec sa force d'inertie impressionnante. Complexe physique, lui, a le don d'appuyer là où ça fait mal et il prend un malin plaisir à cibler mes points faibles. Ils sont coriaces, ces cons, et j'ai clairement le dessous. Si ça continue...

Heureusement, il me reste un atout dans la manche, un allié déjà dans la place. Je n'aime pas faire appel à lui mais je n'aime pas non plus me faire tabasser par des adversaires en surnombre. Je le vois dans le lointain. C'est qu'il rigole cet abruti, ça l'amuse de me voir roué de coups. Je lui hurle : « Bon sang, Hormones, c'est pour aujourd'hui ou pour demain !? » Il finit par se bouger et, d'une pichenette, envoie valdinguer Timidité et Complexe physique. Ils ne s'en relèveront pas. Et de quatre.

Hormones est toujours une force de la nature à cet âge-là. C'est un être rustre et bas de plafond, mais il sait où est son intérêt : s'il veut satisfaire ses pulsions libidineuses, il a plutôt intérêt à ce que ma mission réussisse.

Je vous passe la description du reste du massacre : avec l'aide d'Hormones nous avons vite fait de venir à bout de nos adversaires. Puis nous nous attaquons à ceux de la fille, en nous faisant aider du pendant féminin d'Hormones. Quand notre travail est fini, c'est un véritable spectacle de carnage qui s'offre à nos yeux. Maintenant que les cœurs de mes cibles sont enfin exposés et vulnérables, je leur réserve le coup de grâce. D'une flèche bien placée – me demandez pas pourquoi une arme aussi archaïque, c'est la tradition –, je les transperce. Ils ne le savent pas encore, mais ils sont déjà in love.

Enfin un peu de répit. Accompagné des deux Hormones, je m'installe sur un muret pour assister au cours de badminton où les deux tourtereaux vont finalement se rencontrer et fondre l'un pour l'autre. La naïveté de ce début de romance nous arracherait presque une larme. Allez, on n'est pas de pierre.

Mes deux compères empestent la testostérone et l'œstrogène à des lieux à la ronde. Je m'en tamponne pas mal.

À vrai dire, j'aime l'odeur des hormones au petit matin... C'est l'odeur de la victoire.

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