Vengeance !

Recommandé

Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections


Histoires Jeunesse :
  • 11-14 ans (cycle 4)
  • 8-11 ans (cycle 3)
Collections thématiques :
  • Au collège - Jeunesse
  • Aventure & suspense - Jeunesse
  • Aventure & suspense - cycle 3
  • Aventure & suspense - cycle 4
  • Humour - Jeunesse
  • Humour - cycle 3
  • Humour - cycle 4
  • Héros / Héroïne - Jeunesse
  • Héros / Héroïne - cycle 2 & 3
  • Héros / Héroïne - cycle 3 & 4
  • La ville - cycle 4

La cloche sonne, je mets mon sac sur le dos, resserre mes lacets et m'élance. Du collège à chez moi, il y a 1,6 kilomètres. 1600 mètres, c'est peu, mais parfois ça peut paraître beaucoup plus long. Et aujourd'hui, je voudrais que ça passe vite, parce que j'ai un rendez-vous. Avec elle. Si elle est là. Mais la journée est parfaite, toutes les conditions sont réunies pour qu'elle le soit, je ne suis pas vraiment inquiet.
Premier obstacle, le boulevard et ses deux passages cloutés. Le trafic est dense à cette heure-ci, je ne peux compter que sur les feux verts. De loin, j'aperçois le bonhomme rouge, mais certaines voitures commencent à freiner. Si j'allonge ma foulée, je peux arriver au moment opportun. Traverser sans même ralentir. Hop, hop, hop ! Pardon les gens, laissez passer l'éclair ! Timing parfait ! Me voilà de l'autre côté sans encombre. Finger in the noze !
Difficulté suivante : la boulangerie de Claude. Dilemme : soit je perds quelques précieuses minutes et je me régale d'une savoureuse chocolatine, soit je file comme le vent et j'accepte d'avoir faim jusqu'au dîner. 
Le problème est réglé quand Claude, qui est en train de balayer le pas de sa porte, m'interpelle pour me signaler la sortie du four imminente de cakes aux myrtilles. De toute façon, est-il raisonnable pour un enfant en pleine croissance de parcourir une telle distance le ventre vide ? La question mérite d'être posée...
Le gâteau m'a revigoré, mais je ne peux plus me permettre de perdre une seule minute. Je dois donc impérativement passer sous le pont de la voie ferrée, avec les risques que ça comporte. L'endroit en lui-même n'a rien de dangereux, non, c'est juste qu'il est fréquenté par des garçons que je préfère éviter. Je croise les doigts pour qu'ils ne soient pas là. La météo est mauvaise, ils sont peut-être restés chez eux.
En m'approchant du tunnel, j'entends le rire de Chabord, le chef de la bande, qui se répercute sur la pierre et anéantit tous mes espoirs. Christophe Chabord, dix kilos de plus que moi, est l'archétype de la brute épaisse, mais, comme dit mon père, il n'a pas la lumière à tous les étages, ce qui signifie qu'on le berne facilement. 
Je m'ébouriffe les cheveux, défais un peu mes affaires et ouvre mon sac pour avoir l'air débraillé. Je me précipite dans le tunnel, à bout de souffle. En les apercevant, je fais mine d'être apeuré et j'écarquille les yeux (souvenir ému de mes cours de théâtre avec M. Duflot), ils n'en attendent pas moins de moi.
— Tiens, mais c'est mon petit lapin  !
Chabord m'appelle comme ça parce que je rentre souvent en courant du collège. Je ne crois pas qu'il comprenne que me nommer ainsi ne m'effraie pas vraiment...
— Qu'est-ce qui t'arrive, lapinou ? T'as rencontré un chasseur ?
Chabord et ses deux copains éclatent d'un rire bruyant, un peu forcé. J'attends qu'ils se calment avant de répondre, d'une voix pleine de sanglots (M. Duflot serait fier de moi) :
— C'est la bande à Guisson, ils m'embêtent...
Évoquer le pire ennemi de Christophe suffit à le faire sortir de ses gonds. 
— Quoi ?! Quand ? Où ?
— Là, juste au coin de la rue, ils ont essayé...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que la voie est libre. Ils ont décampé comme... des lapins ! Je vais sûrement payer ce mensonge tôt ou tard, mais aujourd'hui, je n'ai pas d'autre solution.
Coup d'œil à ma montre, il me reste encore cinq minutes. Je suis presque arrivé dans ma rue. Si je ne croise pas un de mes voisins en train de promener son chien, je serai à l'heure. Plus qu'une centaine de mètres, mais les pavés sont glissants, je ralentis un peu.
Annette sort de sa maison avec son chien Pamplemousse. Elle est rigolote Annette. J'aime bien discuter avec elle. Elle répète toujours les mêmes histoires, mais comme elles sont amusantes, ça ne me dérange pas. Le petit bichon aboie à mon passage, mais la vieille dame, toujours occupée à batailler avec sa serrure pour fermer la porte, ne me voit pas. Je passe derrière les voitures garées et me fais la promesse d'aller au parc avec elle dimanche.

Soudain, au coin de la rue, mon rendez-vous est là : Mme Duval ; Astrid de son prénom. Elle est si ponctuelle, si prévisible. Comme tous les jours à la même heure, elle va à la boulangerie chercher une baguette (pas trop cuite surtout, sinon le boulanger en prendra pour son grade et la vendeuse et les clients aussi). Je suis certain qu'elle va faire quelques remarques mesquines à Annette, qui heureusement n'en entendra pas la moitié. Et elle répandra ainsi sa méchanceté tout au long de son chemin.
Mais pas aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui, Astrid et moi avons un rendez-vous. Aujourd'hui, je vais venger Annette, le boulanger et tous les habitants du quartier qui subissent constamment sa malveillance. Aujourd'hui, il a plu toute la journée et, comme je m'y attendais, entre la rue de la Paix et la rue des Pommiers, s'est formée une flaque gigantesque. 
Elle avance sur le trottoir, elle y sera bientôt et ô joie, elle n'a pas son parapluie. Je pose mon sac et, ce faisant, je vois mes chaussures. Mince ! Mes nouvelles baskets, j'avais complètement oublié ! Je n'ai vraiment pas le temps d'aller mettre mes bottes. Tant pis. Quand Maman et Papa sauront pour quelle noble cause j'ai sacrifié mes tennis, ils ne se mettront pas en colère (ou alors si, mais les héros ne peuvent pas toujours être en train de se demander si leurs parents approuveraient leurs actions, sinon ils ne feraient rien).
Je me mets en position, à côté de la flaque, prêt pour le top départ. J'attends qu'Astrid soit juste à côté de l'endroit où l'étendue d'eau croupie est la plus profonde, et je démarre comme une fusée. Je cours comme je n'ai jamais couru de ma vie. Je prends mon élan et je saute très haut. Alors que je suis en l'air, je capte le regard de l'impitoyable Mme Duval qui va de la flaque à moi et vice versa. Et la tête qu'elle fait, quand elle réalise qu'elle va être trempée comme une souche, vaut largement une engueulade de mes parents et une paire de baskets neuves !

© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation

Image de Vengeance !
Illustration : Pablo Vasquez

Recommandé