Une transition éclopée

Étudiant au sein de l'Université Catholique d'Afrique Centrale, situé au Cameroun, je me définis homme de culture. Bibliophile, cinéphile, mélomane et passionné de lettres. Découvrir et ... [+]

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » se disait-il.
Tapi dans la pénombre de sa chambre, Dika méditait sous sa couette bleue. Bercés par le ronflement du climatiseur, ses deux frères, avec qui il partageait la chambre,dormaient à poings fermés. Il ouvrit les yeux et regardait en direction des rideaux afin de voir si le jour s’était levé. Il se leva de son lit, sortit de sa chambre pour aller aux toilettes puis se dirigea vers le balcon attenant au salon. Le balcon était sa pièce préférée, idéale pour y prendre l’air et se projeter.
En effet, Dika était un amoureux des levers de soleil, il appréciait tout particulièrement ces instants de calme et sérénité, accompagnés par la mélodie de la nature. C’était le moment propice selon lui pour mettre de l’ordre dans ses idées, avoir une perception différente des incompréhensions de la veille, imaginer ses rêves réalisés.
Le vent du changement s’installait dans la vie de Dika. Dans une semaine, il quittera le nid et s’envolera vers sa nouvelle vie d’étudiant. Cet appartement du centre-ville de Sawa City, situé dans le quartier chic de Nanjo avait vu ses premières fois, ses premières expériences. Dès lundi prochain, il ne sera plus témoin des paliers qu’il franchira dans sa vie de jeune adulte. A l’aube de ce grand saut, Dika s’interrogeait comme seul un adolescent pouvait le faire face au changement : « Comment c’est de vivre seul ? Comment sera mon voisinage ? Y aura t-il de belles filles ? Vais-je réussir à entretenir ce studio ? Est-ce aussi dur de vivre seul ?... Non, j’ai brillamment réussi l’examen d’entrée au sein de l’Université Ruben Um Nyobe(URUM), la plus prestigieuse du pays. Mon parcours est prometteur, alors aucune inquiétude à avoir de ce côté là. J’espère faire des rencontres intéressantes durant mon passage à l’université, faire des voyages avec des passionnés d’aventure comme moi, intégrer l’équipe de l’Université, et pleins d’autres choses. Le jour se lève. Bientôt, maman se lèvera et fera sa ronde matinale. » Ces flux pensées allaient et venaient dans son esprit, à mesure que la lumière du jour pénétrait l’appartement
Il décida de retourner dans son lit. Il se souvint de cet échange avec Charles, cet ami qu’il considérait comme son grand frère. Après cinq années passées au sein de l’URUM, Charles entamait sa période d’essai au sein d’une multinationale qui venait tout juste de s’installer dans la sous-région. Charles avait insisté pour qu’ils puissent discuter avant son départ pour Ongola. Ils avaient convenu de se retrouver en fin d’après-midi dans un café situé à mi-distance de son lieu de travail et du domicile de Dika. Les propos de Charles résonnaient encore dans sa tête : « Devenir un étudiant, c’est pénétrer le vestibule du monde des adultes. » lui disait-il. « C’est le moment où l’on pose les fondations de sa vie personnelle et professionnelle. Vois-tu, c’est au cours de cette période que tu apprendras à mieux te connaître. Tu devras apprendre à manager tes démons. Tu auras l’occasion de faire la fête comme jamaisauparavant, mais sache aussi que personne ne sera à tes côtés pour veiller à ce que tu fasses ce qui est attendu de toi. Tu seras seul face à toi-même. Profite au maximum de chaque instant dans les bons comme dans les mauvais jours car sache que chacun d’eux est un moment d’éternité que tu ne retrouveras plus jamais, excepté dans tes souvenirs. Pour finir, embrasse l’école de la vie et repousse la vie de l’école, parce que la vie est imprévisible et pleine de surprises. Définir un plan et s’y tenir c’est bien, mais sois assez flexible pour t’adapter au gré du vent et revoir ton plan. »
Allongé, perplexe, les paroles de Charles intriguaient énormément Dika qui se posait des questions : « Qu’est ce que l’école de la vie ? Serait-ce une association ? Une fraternité ? ». Cependant, ses paupières s’alourdissaient puis se fermèrent.
Les derniers jours passèrent aussi fugaces qu’une brise matinale. Assommé par les interrogations et angoisses du départ, Dika appela ses amis pour organiser une dernière sortie. Se délester du poids de la solitude à laquelle il était désormais lié, était sa seule préoccupation pour ce dernier week-end « à la maison » Ils décidèrent de passer la journée du samedi précédent le départ, à la DSA. Ce parc de loisirs qui était le plus grand centre de formation des jeunes footballeurs du pays, accueillait le week-end les personnes désireuses de passer un moment de détente hors de la ville.
Dika était titulaire d’un permis de conduire et avait demandé la permission à sa mère d’emprunter son véhicule pour s’y rendre : une berline grise, Toyota, modèle E140, sortie en 2012. Dès le matin, Dika retrouva ses compagnons à l’Hôtel Santa Monica situé à quelques kilomètres de chez lui dans le quartier Bell, et se mirent en route. Ils discutèrent et chantèrent tout au long du voyage rendant le trajet plus jovial. Après une heure de chemin, ils arrivèrent à la DSA et profitèrent de ces activités : toboggan, karting, football savonneux, trampoline, etc. La journée se clôtura par un petit karaoké et ils reprirent la route pour Sawa City. Sur le chemin du retour, ils décidèrent de poursuivre cette jourée mémorable dans un club branché, nommé le « Mary-Jane ».
Après s’être débarbouillés et reposés, ils prirent la route du Mary-Jane Club. A cette période de l’année, le club n’était pas totalement plein mais suffisamment pour qu’on s’y amuse et prenne du bon temps. L’ambiance était au rendez-vous : musique, spiritueux, jeux de lumières, beau-monde...Tous les ingrédients pour passer une excellente soirée y étaient. Comme il était de coutume avant la rentrée académique, de nombreux étudiants étaient venus pour y faire la fête. C’était une magnifique soirée d’adieux.
Au petit matin, Dika et ses amis décidèrent de s’en aller. Ils firent un arrêt à la boulangerie Mboa, la meilleure de la ville, afin d’y prendre quelques viennoiseries. Soucieux de leur sécurité, Dika raccompagna ses amis jusqu’à leur domicile.« Mission accomplie » se disait-il. La journée touchait à sa fin et aucune des questions suscitées par le discours de Charles ne lui avaient traversé l’esprit. Il pouvait paisiblement se coucher en attendant son départ pour Ongola plus tard dans la journée, où sa nouvelle vie l’attendait.
Dika avait les yeux qui piquaient, la fatigue le gagnait peu à peu. Bien qu’ayant consommé peu d’alcool, Dika était très prudent sur la route et roulait à une allure modérée mais le mauvais éclairage des rues de Sawa City ne l’aidait pas. Et comme ci cela ne suffisait pas, une averse arriva. Dika avait horreur de conduire sous la pluie et encore moins la nuit. La visibilité réduite : le cauchemar des conducteurs.
Soudainement ébloui par une voiture surgissant devant de lui, Dika donna un coup de volant pour l’esquiver. Il percuta de plein fouet une autre voiture venant en sens inverse et s’enfonça dans un poteau électrique. La violence du choc fit voler en éclat le pare-brise. Dika, recouvert de sang et la tête écrasée sur le volant n’était pas en état de constater l’étendue des dégâts. Avant de perdre connaissance, il se demandait: « Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »