Une ombre de vengeance

Encore, encore une encre noire qui traine l'espoir par ses multiples mots et sa philosophie. J'aime écrire, et je crois qu'une once de changement peut provenir de la plume, et surtout de la pensée.

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Un bruit sourd, pareil à celui d’un essaim d’abeille, grouille dans mon cerveau par une vitesse inouïe.

Dans mes yeux, des petits points noirs et jaunes qui tourbillonnent et gargouillent frénétiquement comme un fourmillement de folie. J’ai mal, partout, très mal. De mes lèvres, de mes narines, de mon entrejambe, s’écoule un sang noir vif : le sang de l’humiliation. Me voilà humiliée, gisant à même le sol herbacé, la voix enrouée ; oh que la mort me vienne, il ne me reste plus rien que le suicide.

Pourquoi ? Je leur ai supplié de m’épargner, de me dispenser de cette honte, de cette indigne humiliation, mais ils ont ri, ce sont réjouis de mon affolement, de mon désespoir. Est-ce des hallucinations ? Peut-être que j’hallucine.

Dans les souvenirs qui me reviennent comme une vague de détresse, je les revoie encore, débout telles des ombres maléfiques, tenant leur massue, leur chicotte, leur ceinture. Ils fracassaient mon corps contre le mur, me manipulaient par les cheveux, me ballottaient ici et là entre eux, jouant de moi, jouant avec moi comme une chienne désœuvrée. Puis je sentais les coups de leurs instruments s’abattre sur ma chair par une affreuseté à outrance ; sans pitié aucune, les coups tombaient pour me briser, me craqueler, me tuer, telle une épée de Damoclès s'abat sur sa proie.

Par une sorte de douce rage que je croyais lire dans leurs yeux hideux, ils me tiennent fermement, déchirent mes vêtements d’une fraction de seconde, clouent mes bras contre le sol, amarrent mes jambes à deux meubles situés de part et d’autre de la pièce, et ricanent de ce qu’ils vont me faire. Alors je comprends enfin mon triste sort, ma damnation irrévocable. Je cris pourtant, j’implore pitié et grâce par tous les dieux, mais ma voix ne les atteint pas. Quoique j’aie coulé toutes les larmes de mon corps qui glissaient le long de mes joues creuses et balafrées, sans pitié, ils me malmenèrent par une passion impitoyable.

Après leur besogne, après avoir tiré leur réjouissance, ils m'abandonnèrent là où le guet-apens me fut tendu : dans une pièce aux murs nus et lézardés comme un zigzag d’éclair. Puis vint le goût amer de la déception, l’envie inébranlable de la mort, de mourir. Le dégoût me saisissait, le dégoût de moi-même, misérable chose, misérable chose. Il n'y a pour moi aucune vie à présent, aucun avenir, aucune espérance. J'ai été violée. Que le ciel tombe sur moi, que cette blessure continue de me lacérer jusqu'à ce qu’arrive ma fin, ici, maintenant, là est mon définitif souhait.

Saleté, pourriture, ordure, voilà ce que je suis à présent. Je ne peux ni ne veux revoir ce corps, mon corps, maintenant détruit par des plaies et des contorsions cruelles. Pourquoi me lever d'ici, puisque je ne suis plus rien ; pourquoi me battre, puisque j'ai tout perdu, jusqu'à ma dignité. Ma dignité que je préservais, jalousement, je l'ai perdue, dans l'humiliation affreuse. L’intérieur de moi est enflammé, difforme, malade.

Pourquoi, pourquoi cette haine mortifère, pourquoi moi, qu’ai-je fait en ce monde pour recevoir comme récompense l'humiliation et la violence ? Je suis une damnée, la vie m'est dorénavant inutile, il ne me reste que le suicide. Plus jamais je ne pourrai marcher la tête haute, le regard fixe, la mine enjouée. Je n'ai plus de vie, je n'ai plus rien.

Je les entends rire encore, s'esclaffer encore, bon sang, encore. Leurs voix me vient quatre à quatre, des voix réjouies de mon amertume, des voix implacables qui me brisent, me déchirent, m'outragent à mort.
Ils rient de moi, pauvre petite chose, pauvre petite femme, bonne uniquement à la violence et l'éternel rabaissement. Ils me lancent leurs salives au visage, me frappent à coups de massues, me défigurent à coups de poings. Ils sont trois, quatre. Des coups encore, des salives encore, des coups, des salives, coups, salives, tout cela sur moi, moi, pauvre petite femme, bonne pour la passion de la brutalité.

Orgie impitoyable, débauche macabre, sang noir, crachat, brutalité, souffrance, obscurité de violence, ignominie. Puis silence, ils rient, rient, rient...

Un homme apparaît, le cinquième, il est flou : ‘’ Bon travail, dit-il dans un dialecte que je connais, mais différent du mien. — Il crache sur mon visage. Quand ils la verront si bien maniée, ils seront révoltés.’’ Ces hommes rient alors et s'en vont, m’abandonnant dans la pièce. Ainsi, je suis la victime d'une vengeance, d'une vengeance ethnique. Parce que le Président est de leur ethnie, l'opposant, du nôtre ; parce que deux hommes courent au pouvoir, parce que deux ethnies courent au pouvoir, parce que deux hommes sèment le chaos. Je suis ainsi humiliée pour deux hommes, nous mourrons pour deux hommes, parce qu'ils soulèvent une ethnie contre une autre, par la manipulation. J'ai la haine, la haine qui me dévore à m'en faire perdre mon humanité. Je ne suis plus humaine, je ne le serai plus, car ils payeront de leur vie. La colère me monte, mes yeux me brûlent, mes mains tremblent d'impatience de les étrangler, de les écorcher vif. Ils payeront, tous jusqu'au dernier. Ha ha ! Pourquoi pleures-tu, petite Rosemonde, ris donc, car la mort ne te servira plus, la vengeance sera belle et vive comme une lave qui jaillit des profondeurs. Tu te lèveras d'ici, tu sortiras, tu vivras, tu te vengeras. »