Une nuit d'enfer

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Assise depuis trois heures du matin dans cette voiture j'attends le retour de Raoul mon époux. Il est sorti pour chasser les esprits qui nous pourchassaient. Les minutes, pour moi, ne comptent plus. Je sens mon corps me lâcher. Je sens mon esprit s'en aller. Sans doute engloutis par Morphée. À ma montre cinq heure et demi.
Pour nos congés de pâques, nous avons décidé Raoul et moi, d'aller les passer chez ses parents, au nord de pays, à plus de huit cents kilomètres. Nous démarrâmes aux environs de huit heures. Après dix heures de route, nous ne fîmes que la moitié de la route. Alors, Raoul voulut qu'on fît escale dans le premier village que nous rencontrassions. Mon GPS montra une ville à plus de dix kilomètres. Mais à peine avions nous dépassé les cinq cents mètres qu'un village se présentait à nous. Les rayons de soleil disparaissaient à grande vitesse. Et la nuit ne tarda pas à tomber. Malgré nous, nous nous arrêtâmes.
Un village sans nom, sans électricité, sans eau potable, sans avancé technologique, avec pour obligation de respecter certaines règles, qu'on jugeait superficielles et rétrogrades. Les habitants du village connurent le sens de l’hospitalité. Les gens furent gentils. Ils nous accueillirent avec tout le respect du monde. On fut nourri et logé dans une chambre construite en terre battue. Nous fîmes la connaissance d'un jeune homme qui nous expliqua les interdits. On avait l'obligation de dormir tôt, de se laver avant vingt heures, de fermer les yeux lorsque nous constaterions quelque chose d'anormal et de ne pas sortir avant le lever du soleil.
Notre chambre était très vieille mais avec un lit confortable. La douche était à notre goût...
À vingt heures. Un silence de cimetière envahit tout le village. Plus aucun bruit ne s'entendait. On comprit qu'ils respectaient vraiment leur tradition. À nous de faire pareil.
Raoul s'endormit en premier. J'écoutais de la musique afin de pouvoir dormir. Je comptais les moutons mais toujours rien. Impossible de dormir. Ma montre sonna vingt-et-une heure. Un bruit me parvint du dehors. Apparemment le bruit a dû être tellement fort que mon mp4 se bousillât. Je me levai pour voir d’où provenait le bruit. La fenêtre donnait une vue panoramique du village. C'était la pleine lune. Je ne vus rien vu. Alors je revins me coucher. Le tic-tac de ma montre me servait de berceuse. Mais nada...
À vingt-deux heures, j'entendis des bruits de pas. Puis les pleurnichements d'une fillette juste à côté de moi. Nous étions dans l'obscurité. Les bougies s'étaient soudainement éteintes. J'allumai la lampe de mon portable et je vis la fillette, les yeux embués de sang. Elle m'appela par mon nom et dit : Ida, sauve-moi. J'ai peur. Elle s'approcha de moi tout doucement. Se jeta sur mon cou. Mon débattement réveilla Raoul. La fillette avait disparu. Raoul crut que j'hallucinais. Mais j'eus une trace de blessure sur mon cou. Je n'avais jamais eu autant peur. On se croirait dans un film d'horreur. Raoul me donna des somnifères. J'en pris quatre. Juste après on s'endormit.
Le grincement de la porte me réveilla. Les somnifères ne faisaient plus effet mais Raoul dormait profondément. La porte s'ouvrait et se refermait toute seule. La porte resta entrouverte. Je me levai et la fermai. Lorsque je me retournai, j'étais nez à nez avec une femme en robe de mariée tachetée de sang. Avec un visage vraiment affreux. Mon souffle se coupa. La femme me poussa vers la porte et essaya de m'étrangler. J'hurlai de toutes mes forces en essayant de me libérer. Raoul se réveilla à nouveau et me vit suspendu au plafond. Il aperçut cette fois ci la femme avant qu'elle ne s'évaporât comme un fantôme. Je m'écrasai au sol et perdis connaissance. À mon réveil, il sonnait déjà minuit. On eut une peur bleu. On ne pouvait plus fermer l'œil. J'eus envie de prendre un bain, une douche de cinq minutes.
L'eau était froide. Raoul m'éclairait avec la lampe de son téléphone. Soudain la batterie lâcha et mon pouls se mit à battre. Je sentis quelque chose de très lisse grimpé sur moi. Un serpent deux têtes lapait les mousses sur mon corps. Raoul me demanda de ne pas paniquer. Le serpent essuya toutes les mousses de mon corps et s'en alla. J'étais terrifié. Je m'habillai et suggérai à Raoul de prendre nos jambes au cou.
On s’apprêtait à partir quand la pluie s'annonça. La lune avait laissé place aux nuages. Un grand vent souffla. Une averse drue. On pouvait voir dehors, grâce aux éclairs, des esprits se promener. D'autres rentraient même dans la chambre. On fermait nos yeux pour ne pas qu'ils nous aperçussent.
À trois heures du matin la pluie cessa. Ce fut le moment propice pour partir. Il n'y avait plus d'esprit qui rodaient. On eut juste faire quelques mètres que la bagnole s'enlisât dans la boue. On descendit pour pousser jusqu'à la sortie du village. C'est là que nous avions vu un attroupement d'esprit vêtus en blanc. Raoul m'ordonna de monter dans la voiture. Lui aussi fit pareil. C'était les protecteurs du village. Ils essayaient de nous barrer la route. L'un d'eux s'exprimait en langue aborigènes. Langue que je comprenais bien. Il disait : Vous n'avez pas respecté nos valeurs et nos règles. Le prix à payer sera le don d'une âme. Raoul voulut faire demi-tour mais la voiture s'éteint et ne se ralluma plus. Les esprits s'approchèrent vers nous. Raoul prit son courage à deux mains et descendit. J'implorai, les larmes aux yeux, tous les dieux de la terre pour nous venir en aide. Raoul allait à l’abattoir. Il ne pouvait les chasser parce que, eux voulaient son âme...
Je trouvai dans mon sac un cahier plus un stylo. Je me mis à écrire, pour immortaliser notre nuit d'enfer, dans ce village. Au milieu de nul part. Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Assise depuis trois heures du matin dans cette voiture j'attends le retour de Raoul mon époux. Il est sorti pour chasser les esprits qui nous pourchassaient. Les minutes, pour moi, ne comptent plus. Je sens mon corps me lâcher. Je sens mon esprit s'en aller. Sans doute engloutis par Morphée. À ma montre cinq heure et demi. L'obscurité n'est pas encore dissiper. Je crois que je suis en train de m'endormir. Raoul, Raoul, Raoul...
Je sentis les rayons de soleil éclairer mon visage, je sentis le confort d'un lit, je sentis le parfum de Raoul et de la chambre... je me levai, tout était revenu à la normale. Sans plus tarder, je m'accrochai à son cou et l'embrassai. Étonné de ce geste, il me demanda ce que j'avais. J'étais heureux de le revoir sain et sauf. Je lui racontai notre aventure de cette nuit mais il m'affirma que j'avais rêvé... On fit nos bagages et continua notre voyage.

Rêver? Peut-être est-ce vrai. Mais j'avais toujours à mon cou une blessure d'ongles qui me fait un mal de chien.