Une championne de virtualball

Je suis prospectiviste, intéressé par les relations entre la science-fiction et l'innovation. J'ai publié plusieurs livres universitaires sur le sujet. Je m'essaie aussi à l'écriture de romans et ... [+]

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Sylvia est une championne de virtualball, un sport nécessitant adresse et puissance. Elle joue pour l'équipe de France depuis trois ans et s'apprête cette année à disputer les championnats du monde. Ce sport se déroule dans le métavers. Il faut être équipé d'une tenue haptique et d'un casque de réalité virtuelle. Le but est de projeter une balle virtuelle sur des cibles mouvantes le plus rapidement possible, en évitant des obstacles lancés sur soi. Les participantes s'entrainent plusieurs heures par jour, et il est préférable d'avoir une condition physique irréprochable pour espérer réaliser des performances remarquables. Toutefois, l'enjeu de la compétition à venir s'annonce particulièrement important. La joueuse qui gagnera remportera 100 000 bitcoins qu'elle pourra invertir dans la cause qui lui plaira. La sœur de Sylvia, Monica est une ancienne joueuse de handball professionnelle. Elle a dû renoncer à sa carrière à la suite d'un accident de voiture qui l'a privée de l'usage de sa jambe droite. Elle a appris à Sylvia les différentes techniques pour lancer la balle, pour se mouvoir et pour pratiquer le virtualball, un sport très largement inspiré par le handball. Sylvia s'est promis de l'aider dans sa reconversion. Avec les 100 000 bitcoins, elle pourrait créer une association visant à aider les anciennes sportives victimes de handicaps, à s'équiper, et à retrouver une activité professionnelle. L'engagement de Sylvia et Monica en faveur de leur sport et des athlètes handicapées était devenu une évidence au fil des années. Monica avait même envisagé de créer une fédération d'handi virtualball, permettant à des personnes handicapées, vivant chez elles, de pratiquer ce sport malgré leurs limites physiques. Le virtualball avait l'intérêt d'être adaptable à toutes sortes de handicaps. Il était possible d'y jouer assis, même couché, sans qu'il soit nécessaire de sortir de chez soi. De même, ce sport donnait l'occasion de rencontrer de nouvelles personnes dans le monde virtuel, d'échanger, et de partager des moments conviviaux plusieurs fois par semaine. Le métavers avait un réel intérêt pour les personnes handicapées, car il leur permettait de s'affranchir de leurs limites physiques ou psychiques pour évoluer grâce à leurs avatars dans des simulations très réalistes. Le virtualball handisport est bien moins physique que celui des valides. Il était toutefois un formidable outil de rééducation, d'entretien corporel, et de lien social entre des personnes souvent isolées.

Sylvia était consciente de la nécessité de porter ces valeurs lors de la compétition. La somme en jeu permettrait de créer de multiples simspaces, ces espaces virtuels dans lesquels se pratique ce sport. Un des problèmes du métavers est en effet le coût parfois trop élevé de certaines activités. Cette technologie n'existe que depuis une dizaine d'années, et les entreprises qui l'ont créée ont dû investir des sommes considérables en recherche et développement pour proposer des applications suffisamment réalistes et stimulantes. Afin de rentabiliser leurs investissements, elles ont dû facturer les services rendus à un prix très élevé au début. Le marché des simspaces est devenu un enjeu économique crucial. Pour éviter de devoir louer des simspaces pour pratiquer son sport, l'idéal est d'en créer un. Pour cela, plusieurs dizaines de bitcoins sont nécessaires, mais l'investissement peut être rentabilisé rapidement, si un grand nombre de joueurs participent.

Monica savait ce qu'elle ferait des 100 000 bitcoins promis à sa sœur en cas de victoire. Elle créerait un club d'handi virtualball constitué de plusieurs simpspaces qu'elle rendrait accessibles à très bas prix. Les personnes en situation de handicap sont en effet souvent victimes de difficultés pour trouver un emploi et ne disposent que de ressources limitées. Il convient donc de les aider pour ne pas en plus les marginaliser du métavers, qui doit demeurer un espace de partage et de lien social.

L'adversaire principale de Sylvia était une Américaine, Jennifer Hilton. Particulièrement douée, elle était numéro une mondiale depuis trois ans et avait annoncé qu'elle s'engageait à consacrer la somme en jeu à l'achat d'une propriété sur la Lune pour y construire un complexe de spaceball, nouveau sport se pratiquant dans l'espace et dont les Américains étaient particulièrement friands.

Jennifer avait passé les premiers tours brillamment, réalisant à chaque fois les meilleurs scores de la compétition. Sylvia avait failli être éliminée au deuxième tour, mais avait pu compter sur les conseils de sa sœur pour se sortir de ce mauvais pas. En demi-finale, elle avait dû affronter une Russe, qui s'était toutefois blessée en voulant réaliser un geste technique très difficile. Le virtualball exige à un haut niveau de la coordination, une dextérité et une précision redoutable. Arrivées en finale, les deux athlètes se saluèrent. Les hymnes des deux pays retentirent. L'Américaine débuta et réalisa un sans-faute. Elle semblait toutefois un peu lente sur ses appuis. La Française n'en profita pas et perdit la première manche de justesse 103 points à 101. La deuxième manche était déjà décisive. Si Jennifer l'emportait, elle gagnait le match et la compétition. Elle rata pourtant deux cibles apparemment faciles, ce qui n'était pas dans ses habitudes, ce qui offrit le deuxième set à Sylvia, qui apparaissait comme la plus motivée des deux compétitrices. Lors du troisième set, les règles étaient particulières. Il fallait lancer le plus fort possible les balles sur des cibles mouvantes. En cas d'égalité, un jury déclarerait la gagnante en fonction de son style, avec une note artistique. Les deux athlètes se rendirent coup pour coup. Leur adresse, leur puissance et leur précision étaient redoutables. Le record du monde de puissance, de 102 km/h, fut porté à 104, puis 105. Sylvia parvint même à dépasser son adversaire en touchant une cible furtive décisive à 106 km/h, à la dernière seconde, égalisant à 110 points partout. Le public était en délire. L'évènement était retransmis sur le métavers et de nombreux sponsors étaient présents. L'affrontement entre Sylvia et Jennifer atteignait une telle intensité que les commentateurs frôlaient l'hystérie. Finalement, grâce à son coup de maitre de dernière minute, les juges attribuaient la meilleure note artistique à la Française, qui devenait championne du monde pour la première fois, concrétisant le rêve de sa vie.

Sa sœur la félicita dans le métavers rapidement, mais était surtout satisfaite de pouvoir la serrer dans ses bras une fois déconnectées du monde virtuel, après la cérémonie de remise des médailles et de la prime. Sylvia, conformément à son engagement, donna les 100 000 bitcoins à Monica, avec laquelle elles s'engagèrent en faveur du handisport. La popularité de Sylvia lui attira de nombreux sponsors, qui aidèrent aussi Monica, dont l'humour et la beauté étaient des atouts pour la promotion du virtualball. Lors des prochains Jeux olympiques du métavers, censés se dérouler en 2045, le virtualball sera une discipline majeure et Sylvia en sera une des stars annoncées. Monica sera sa coache particulière. Les deux sœurs, fidèles à leur passion pour le sport, sont aussi les symboles du succès d'une union familiale au service d'une cause commune.