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Une belle déprime
Quelle belle déprime... Dix jours, y incluant les nuits... Ce n'est pas possible...
Habituellement, ça ne dure pas aussi longtemps ; mais cette fois... Bigre ! A un moment donné, j'ai cru que ça ne finirait jamais, que ça allait durer à perpète.
Fantastique de vivre cela.
Alors forcément, quand je ne déprime pas, ça ne va pas trop bien ; cafardeux au possible ; comme paralysé par un manque. Finalement, la déprime agit comme l'alcool et le tabac ; elle peut devenir addictive ; il serait malvenu d'affirmer le contraire.
Tel un bleu, je me suis laissé prendre à ce petit jeu, et depuis cette fameuse période d'apprentissage, organiser une déprime est devenu pour moi similaire à ce jour où, étant enfant, j'attendais dans mon petit lit douillet que le Père Noël me délivrât une multitude de cadeaux.
Certains croient qu'il est facile de se mettre à broyer du noir n'importe où, n'importe quand. A ceux-là, je dis : essayez donc ! Par exemple, tentez de déprimer un jour où il fait soleil, où tout le monde s'amuse autour de vous, se bousculant, se chamaillant, chacun faisant tinter son verre contre celui de sa voisine ou de son voisin. Pas évident du tout d'arborer la moue des grands jours, et j'en sais quelque chose ; que d'échecs ai-je essuyés à ce propos.
Ceux-là pensent aussi qu'il suffit de se remémorer l'image de celle ou de celui que l'on a aimé pour amener l'espoir à capituler. Et bien ! Je pense en toute honnêteté que ces énergumènes parlent sans connaissance de cause.
Car une bonne déprime se prépare, comme on envisage de régaler des convives en y mettant tout son cœur pour réussir au mieux un bœuf miroton ou un couscous.
Ainsi, avant de déguster ce plat de l'Afrique du Nord, ne lavez-vous pas les légumes, n'épluchez-vous pas les oignons, ne retirez-vous pas le cœur du poivron, tout en gardant un œil sur la marmite contenant la viande ? Quant à la semoule, elle se fait comme ça, en claquant des doigts ? Et ces aliments, les avez-vous déniché dans une pochette surprise ? N'avez-vous pas quitté votre domicile pour vous rendre chez un bon boucher afin de dénicher des morceaux de choix ?
Alors un conseil à l'apprenti que vous êtes : pour réussir une bonne déprime, il faut s'armer de patience, saler là où il faut et quand il le faut, et ne brûler aucune étape quant à la préparation. Sachez que la vie est un tissu de difficultés, que rien ne se fait à l'aveuglette ; tout un art de réussir une bonne déprime.
Une recette ? Admettons que vous vous apparentez au sexe masculin : ne vous rasez plus, omettez de changer de vêtements, de vous laver, oubliez de garnir vos poches d'un mouchoir. Au diable le peigne, vos cheveux sont bien comme ils sont, et grattez votre cuir chevelu s'il vous démange. Si vous disposez d'un jardin, afin de produire de la pluie, mettez le jet d'eau en fonction, savamment orienté vers l'une de vos persiennes fermées, disposez sur le sol des livres, des vieux journaux, des vêtements, des portes manteaux, piétinez la page de couverture d'un magazine people agrémenté du sourire de miss Alsace, et faites en sorte de disposer vos cadres de travers ; la vaisselle est bien là où elle est. Puis la cerise sur le gâteau : coupez le compteur électrique, et allumez deux ou trois bougies, noires de préférence.
Alors, et alors seulement, en train d'errer chez vous comme un mendiant sourd muet, une soudaine envie vous prendra de vous laisser choir sur cette chaise aux pieds étroits, contre laquelle vous venez de buter.
Les bras pendant dans le vide, ouvrez la bouche comme un poisson à moitié mort, et laissez vous imprégner par cette courte phrase : Je suis vraiment dans la merde.
Rendu à ce stade de déchéance morale, inutile de penser à votre collègue de travail qui vous fait tant rire à la pause café. Non, savourez cette déprime qui est en train de vous occasionner un "Choc Émotionnel Lumineux Durable" - un CELD -.
Là, quel plaisir de se voir inclus dans un monde composé d'une superbe palette de couleurs, s'étirant du gris clair au noir le plus pénétrant. Plus envie de rien ; le temps n'existe plus ; vous avez transformé toute nécessité en anti-nécessité. Loin de vous ce désir d'avaler toutes sortes de tranquillisants pour revenir au point de départ. Vous n'aurez qu'une seule pensée en tête : pourvu que ça dure, que ça dure encore deux ou trois jours ; quatre ce serait bien aussi ; six, ne rêvons pas trop. Car, méfiez-vous, la méforme, enfin la forme, vous guette, plus malicieuse, plus perverse que la peste.
Généralement, elle apparaît à l'improviste.
Ainsi, lorsque vous vous direz : j'en ai assez ! Ce sera fini, vous ne pourrez plus faire machine arrière ; et ce j'en ai assez peut survenir plus vite qu'on ne le croit.
C'est comme cela la vie, il y a des hauts et des bas, et il faut faire avec. Mais que la vie est belle, tout de même, quant on veut se donner les moyens de la bien bâtir, de considérer le rayon solaire comme un répugnant étron qu'on s'apprête à vous balancer en pleine figure.
Habituellement, ça ne dure pas aussi longtemps ; mais cette fois... Bigre ! A un moment donné, j'ai cru que ça ne finirait jamais, que ça allait durer à perpète.
Fantastique de vivre cela.
Alors forcément, quand je ne déprime pas, ça ne va pas trop bien ; cafardeux au possible ; comme paralysé par un manque. Finalement, la déprime agit comme l'alcool et le tabac ; elle peut devenir addictive ; il serait malvenu d'affirmer le contraire.
Tel un bleu, je me suis laissé prendre à ce petit jeu, et depuis cette fameuse période d'apprentissage, organiser une déprime est devenu pour moi similaire à ce jour où, étant enfant, j'attendais dans mon petit lit douillet que le Père Noël me délivrât une multitude de cadeaux.
Certains croient qu'il est facile de se mettre à broyer du noir n'importe où, n'importe quand. A ceux-là, je dis : essayez donc ! Par exemple, tentez de déprimer un jour où il fait soleil, où tout le monde s'amuse autour de vous, se bousculant, se chamaillant, chacun faisant tinter son verre contre celui de sa voisine ou de son voisin. Pas évident du tout d'arborer la moue des grands jours, et j'en sais quelque chose ; que d'échecs ai-je essuyés à ce propos.
Ceux-là pensent aussi qu'il suffit de se remémorer l'image de celle ou de celui que l'on a aimé pour amener l'espoir à capituler. Et bien ! Je pense en toute honnêteté que ces énergumènes parlent sans connaissance de cause.
Car une bonne déprime se prépare, comme on envisage de régaler des convives en y mettant tout son cœur pour réussir au mieux un bœuf miroton ou un couscous.
Ainsi, avant de déguster ce plat de l'Afrique du Nord, ne lavez-vous pas les légumes, n'épluchez-vous pas les oignons, ne retirez-vous pas le cœur du poivron, tout en gardant un œil sur la marmite contenant la viande ? Quant à la semoule, elle se fait comme ça, en claquant des doigts ? Et ces aliments, les avez-vous déniché dans une pochette surprise ? N'avez-vous pas quitté votre domicile pour vous rendre chez un bon boucher afin de dénicher des morceaux de choix ?
Alors un conseil à l'apprenti que vous êtes : pour réussir une bonne déprime, il faut s'armer de patience, saler là où il faut et quand il le faut, et ne brûler aucune étape quant à la préparation. Sachez que la vie est un tissu de difficultés, que rien ne se fait à l'aveuglette ; tout un art de réussir une bonne déprime.
Une recette ? Admettons que vous vous apparentez au sexe masculin : ne vous rasez plus, omettez de changer de vêtements, de vous laver, oubliez de garnir vos poches d'un mouchoir. Au diable le peigne, vos cheveux sont bien comme ils sont, et grattez votre cuir chevelu s'il vous démange. Si vous disposez d'un jardin, afin de produire de la pluie, mettez le jet d'eau en fonction, savamment orienté vers l'une de vos persiennes fermées, disposez sur le sol des livres, des vieux journaux, des vêtements, des portes manteaux, piétinez la page de couverture d'un magazine people agrémenté du sourire de miss Alsace, et faites en sorte de disposer vos cadres de travers ; la vaisselle est bien là où elle est. Puis la cerise sur le gâteau : coupez le compteur électrique, et allumez deux ou trois bougies, noires de préférence.
Alors, et alors seulement, en train d'errer chez vous comme un mendiant sourd muet, une soudaine envie vous prendra de vous laisser choir sur cette chaise aux pieds étroits, contre laquelle vous venez de buter.
Les bras pendant dans le vide, ouvrez la bouche comme un poisson à moitié mort, et laissez vous imprégner par cette courte phrase : Je suis vraiment dans la merde.
Rendu à ce stade de déchéance morale, inutile de penser à votre collègue de travail qui vous fait tant rire à la pause café. Non, savourez cette déprime qui est en train de vous occasionner un "Choc Émotionnel Lumineux Durable" - un CELD -.
Là, quel plaisir de se voir inclus dans un monde composé d'une superbe palette de couleurs, s'étirant du gris clair au noir le plus pénétrant. Plus envie de rien ; le temps n'existe plus ; vous avez transformé toute nécessité en anti-nécessité. Loin de vous ce désir d'avaler toutes sortes de tranquillisants pour revenir au point de départ. Vous n'aurez qu'une seule pensée en tête : pourvu que ça dure, que ça dure encore deux ou trois jours ; quatre ce serait bien aussi ; six, ne rêvons pas trop. Car, méfiez-vous, la méforme, enfin la forme, vous guette, plus malicieuse, plus perverse que la peste.
Généralement, elle apparaît à l'improviste.
Ainsi, lorsque vous vous direz : j'en ai assez ! Ce sera fini, vous ne pourrez plus faire machine arrière ; et ce j'en ai assez peut survenir plus vite qu'on ne le croit.
C'est comme cela la vie, il y a des hauts et des bas, et il faut faire avec. Mais que la vie est belle, tout de même, quant on veut se donner les moyens de la bien bâtir, de considérer le rayon solaire comme un répugnant étron qu'on s'apprête à vous balancer en pleine figure.
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Oui on devrait donner des primes aux déprimés au lieu de les donner aux primés ...