Il faisait chaud, beaucoup trop chaud. Je sentais la sueur couler le long de mes épines dorsales et les gouttes tomber dans mon sous-vêtement, alors que mes muscles se tendaient, s’étiraient sous... [+]
Il est un pays où la lumière jaillit à flots. C'est un ensemble d'étoiles, une myriade de constellations. La nuit surtout, chaque état, chaque ville, chaque quartier, chaque rue, chaque lampadaire ne semble scintiller que par sa propre volonté.
Ce pays, j'en ai beaucoup entendu parler, mais à vrai dire je n'ai pu l'observer qu'à travers des cadres et des couleurs plus ou moins réalistes. Et c'est pour moi le seul moyen d'y accéder. Car ce pays a aujourd'hui disparu. Du moins, c'est ce que tout le monde dit. Depuis l'Evénement, nous n'avons plus de nouvelles de l'Amérique. Pauvre jour de deuil que celui-ci, où nous pleurons pour la cinquantième fois la perte d'une telle civilisation. Ne reste d'eux que des images, des tableaux et pour certains, des souvenirs.
Il y a de cela quelques années, j'avais eu la chance de rencontrer un Ancien, un des rares natifs de là-bas, qui avait migré peu de temps avant l'Evénement. Ce n'était qu'une rencontre fortuite, un hasard du destin, et pourtant… ! Cela avait bouleversé ma pensée.
Je suis né un an, jour pour jour, après l'Evénement. Je ne m'étais jamais senti vraiment concerné par la disparition de ce continent, tout comme la majorité des jeunes de ma génération. Pour nous qui n'avions jamais connu l'existence de cette partie du monde, cela ne représentait pas un changement inoubliable. A cette époque, les Anciens étaient très nombreux, mais l'intérêt qu'on leur portait était minime et la plupart moururent vite, de chagrin, de maladie ou de folie. En l'espace d'une dizaine d'années, la moitié d'eux avait péri et l'autre moitié périclitait doucement.
Alors que leur souvenir se faisait de plus en plus lointain, la vie continuait de tourner et ils avaient droit à une pensée par an, jour de naissance mais aussi de triste commémoration.
C'est à l'aube de mes dix-neuf ans que je le rencontrai : Ethan. Il avait soixante ans et vivait seul. Il avait pris l'avion pour un voyage d'affaire une semaine avant le drame, et… n'avait jamais pu rentrer. Il avait tout perdu et bien plus, en l'espace de quelques jours : sa famille, ses amis, mais aussi sa langue, sa culture, sa patrie… et sa ville. Qu'il l'aimait, sa ville ! Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi passionné, lorsqu'il en parlait. Des siècles de constructions, des prouesses techniques inégalées…
New York.
Ethan y était né. Il y avait grandi, étudié, travaillé, vécu, aimé, toute sa vie durant. Il n'avait connu que cette ville : à elle seule, elle lui suffisait et faisait son bonheur.
Je l'avais rencontré à Paris, lors de la vingtième commémoration. C'était en ce jour que l'on pouvait croiser le plus d'Anciens. Jusque là, je ne connaissais rien de cette ville. Son nom même semblait avoir été englouti. J'avais dix-neuf ans ce jour-là et ne trouvais rien de mieux à faire que flâner dans les rues, lorsque j'avais vu cet homme au regard triste plongé dans la contemplation d'une vitrine. Je m'étais approché et au travers de la glace du magasin d'antiquités, mon regard s'était instinctivement porté sur un ancien globe terrestre, jauni et froissé, qui représentait le monde tel qu'il l'était avant. Une immense terre en forme de S en occupait la moitié.
— Il est beau, n'est-ce pas ? avait demandé l'homme.
— Oui, avais-je fait. Mais quelle est cette terre ? avais-je questionné, pointant du doigt sa patrie.
Il avait paru offensé, mais ne s'était pas offusqué. Il avait répondu doucement, de cette voix qui trahissait son manque, mais aussi une certaine fierté :
— C'est l'Amérique, mon garçon. Et vois-tu cette partie bombée, au Nord ? Regarde donc le plus à l'Est possible, et là, tu pourras imaginer une ville atteignant les cieux, une ville magistrale et illuminée comme jamais Paris ne l'a été. Imagine-toi des gratte-ciel plus hauts que ceux de la Défense, si hauts que le ciel semble envahi par eux et qu'il te faut te tordre le cou pour arriver au bout de certains. Mais imagine-toi aussi des quartiers cloisonnés renfermant différentes ethnies, une mixité sociale plus vaste encore que celle de Paris. Représente-toi les longues avenues, les parcs, la grandeur…
Sur ces mots, il avait souri, d'un sourire triste plein de réminiscences. Mes pensées s'étaient agitées à l'idée d'une pareille civilisation que je ne pourrais jamais observer de mes yeux. New York m'attirait, incontestablement. Je passai l'après-midi entier avec Ethan, et j'en appris bien plus sur l'Amérique et sur New York que je n'en connaissais sur ma propre patrie. Nous nous revîmes bien souvent après cela et nous parlions beaucoup, gambadant dans les rayons des apothicaires. C'était pour moi comme une seconde naissance, une découverte fondamentale : je me sentais tel Christophe Colomb pensant être arrivé en Inde après avoir découvert la terre de la future Amérique.
Même sans Ethan, j'avais tendance à parcourir les rayons des bibliothèques les plus anciennes en espérant y trouver quelques précieux renseignements. Mais mon compagnon était heureux d'avoir enfin trouvé une nouvelle raison d'espérer, un jeune compatriote avide de sauver ses mémoires et il ne se privait pas de me donner le plus de détails possible sur son pays et ce qu'il s'en rappelait. Je prenais autant de notes que je le pouvais et rentrais souvent chez moi le poignet endolori. Jamais je ne m'étais autant passionné pour quelque chose : je sentais le flux de la vie s'élancer. C'était comme si Ethan m'avait légué, en plus de ses expériences et souvenirs, sa passion.
Ethan me quitta le jour de la quarantième commémoration, de mon trente-neuvième anniversaire, à l'âge de quatre-vingts ans. Il m'avait donné tout son savoir et mes pensées étaient emplies d'images mirobolantes et fantasques. A sa mort, étant déjà journaliste, je devins spécialiste de l'histoire de l'Amérique, et notamment de New York.
Il est une ville où la lumière jaillit à flots. C'est un ensemble d'étoiles, une myriade de constellations.
Ce pays, j'en ai beaucoup entendu parler, mais à vrai dire je n'ai pu l'observer qu'à travers des cadres et des couleurs plus ou moins réalistes. Et c'est pour moi le seul moyen d'y accéder. Car ce pays a aujourd'hui disparu. Du moins, c'est ce que tout le monde dit. Depuis l'Evénement, nous n'avons plus de nouvelles de l'Amérique. Pauvre jour de deuil que celui-ci, où nous pleurons pour la cinquantième fois la perte d'une telle civilisation. Ne reste d'eux que des images, des tableaux et pour certains, des souvenirs.
Il y a de cela quelques années, j'avais eu la chance de rencontrer un Ancien, un des rares natifs de là-bas, qui avait migré peu de temps avant l'Evénement. Ce n'était qu'une rencontre fortuite, un hasard du destin, et pourtant… ! Cela avait bouleversé ma pensée.
Je suis né un an, jour pour jour, après l'Evénement. Je ne m'étais jamais senti vraiment concerné par la disparition de ce continent, tout comme la majorité des jeunes de ma génération. Pour nous qui n'avions jamais connu l'existence de cette partie du monde, cela ne représentait pas un changement inoubliable. A cette époque, les Anciens étaient très nombreux, mais l'intérêt qu'on leur portait était minime et la plupart moururent vite, de chagrin, de maladie ou de folie. En l'espace d'une dizaine d'années, la moitié d'eux avait péri et l'autre moitié périclitait doucement.
Alors que leur souvenir se faisait de plus en plus lointain, la vie continuait de tourner et ils avaient droit à une pensée par an, jour de naissance mais aussi de triste commémoration.
C'est à l'aube de mes dix-neuf ans que je le rencontrai : Ethan. Il avait soixante ans et vivait seul. Il avait pris l'avion pour un voyage d'affaire une semaine avant le drame, et… n'avait jamais pu rentrer. Il avait tout perdu et bien plus, en l'espace de quelques jours : sa famille, ses amis, mais aussi sa langue, sa culture, sa patrie… et sa ville. Qu'il l'aimait, sa ville ! Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi passionné, lorsqu'il en parlait. Des siècles de constructions, des prouesses techniques inégalées…
New York.
Ethan y était né. Il y avait grandi, étudié, travaillé, vécu, aimé, toute sa vie durant. Il n'avait connu que cette ville : à elle seule, elle lui suffisait et faisait son bonheur.
Je l'avais rencontré à Paris, lors de la vingtième commémoration. C'était en ce jour que l'on pouvait croiser le plus d'Anciens. Jusque là, je ne connaissais rien de cette ville. Son nom même semblait avoir été englouti. J'avais dix-neuf ans ce jour-là et ne trouvais rien de mieux à faire que flâner dans les rues, lorsque j'avais vu cet homme au regard triste plongé dans la contemplation d'une vitrine. Je m'étais approché et au travers de la glace du magasin d'antiquités, mon regard s'était instinctivement porté sur un ancien globe terrestre, jauni et froissé, qui représentait le monde tel qu'il l'était avant. Une immense terre en forme de S en occupait la moitié.
— Il est beau, n'est-ce pas ? avait demandé l'homme.
— Oui, avais-je fait. Mais quelle est cette terre ? avais-je questionné, pointant du doigt sa patrie.
Il avait paru offensé, mais ne s'était pas offusqué. Il avait répondu doucement, de cette voix qui trahissait son manque, mais aussi une certaine fierté :
— C'est l'Amérique, mon garçon. Et vois-tu cette partie bombée, au Nord ? Regarde donc le plus à l'Est possible, et là, tu pourras imaginer une ville atteignant les cieux, une ville magistrale et illuminée comme jamais Paris ne l'a été. Imagine-toi des gratte-ciel plus hauts que ceux de la Défense, si hauts que le ciel semble envahi par eux et qu'il te faut te tordre le cou pour arriver au bout de certains. Mais imagine-toi aussi des quartiers cloisonnés renfermant différentes ethnies, une mixité sociale plus vaste encore que celle de Paris. Représente-toi les longues avenues, les parcs, la grandeur…
Sur ces mots, il avait souri, d'un sourire triste plein de réminiscences. Mes pensées s'étaient agitées à l'idée d'une pareille civilisation que je ne pourrais jamais observer de mes yeux. New York m'attirait, incontestablement. Je passai l'après-midi entier avec Ethan, et j'en appris bien plus sur l'Amérique et sur New York que je n'en connaissais sur ma propre patrie. Nous nous revîmes bien souvent après cela et nous parlions beaucoup, gambadant dans les rayons des apothicaires. C'était pour moi comme une seconde naissance, une découverte fondamentale : je me sentais tel Christophe Colomb pensant être arrivé en Inde après avoir découvert la terre de la future Amérique.
Même sans Ethan, j'avais tendance à parcourir les rayons des bibliothèques les plus anciennes en espérant y trouver quelques précieux renseignements. Mais mon compagnon était heureux d'avoir enfin trouvé une nouvelle raison d'espérer, un jeune compatriote avide de sauver ses mémoires et il ne se privait pas de me donner le plus de détails possible sur son pays et ce qu'il s'en rappelait. Je prenais autant de notes que je le pouvais et rentrais souvent chez moi le poignet endolori. Jamais je ne m'étais autant passionné pour quelque chose : je sentais le flux de la vie s'élancer. C'était comme si Ethan m'avait légué, en plus de ses expériences et souvenirs, sa passion.
Ethan me quitta le jour de la quarantième commémoration, de mon trente-neuvième anniversaire, à l'âge de quatre-vingts ans. Il m'avait donné tout son savoir et mes pensées étaient emplies d'images mirobolantes et fantasques. A sa mort, étant déjà journaliste, je devins spécialiste de l'histoire de l'Amérique, et notamment de New York.
Il est une ville où la lumière jaillit à flots. C'est un ensemble d'étoiles, une myriade de constellations.