Un matin d'éveil

"Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux." Un matin de printemps je me réveille, il est six heures. Le peintre tout puissant qui colorie les éternités écourtées apparut à peine, sans faire usage de pinceau il versa son encre, et sur mon visage il dessinait déjà son phrasé matinal. La brise qui chatouillait les branches s'harmonisait avec les cris des oiseaux et l'aboiement des chiens; la poésie naquit dans mon âme. Ce matin n'était plus pareil aux autres. C'est comme si l'univers m'avait invité à venir prendre part à son festin éternel. Je restais là assis dans un calme profond observant les merveilles du silence. Les gens n'étaient plus les mêmes dans mon entendement, la beauté n'avait plus la même saveur pour mon âme. Je remarquai que depuis ma naissance j'étais ivre de cette illusion sans borne créée par les parties sombres des âmes, que l'ignorance consomme pour nourrir tous ceux et toutes celles se réfugiant sous son toit.

J'assistais au parcours du soleil immobile. Je me sentais noyer dans la cadence harmonieuse des planètes avec une mélodie captivante du croisement de toutes les énergies célestes. Mes sens percevaient différemment. Je sentis les vibrations des paroles des gens: tout l'amour, toute la haine, toute la jalousie et tout le désir. Je pus remarquer que l'amour pousse à tout faire et à tout ressentir; il engendre tout et rien. Je voyais des foux sensés gravir les échelons de l'infini négatif pour chercher l'amour sans pourtant se chercher.
Levant les yeux, je ne connaissais ni ciel ni enfer, ni Dieu ni Diable, seul le tissus frais des frissons m'enveloppait. J'eus comme l'impression d'être plongé dans un océan de rêves d'où la phobie de réintégrer le monde infernal des consciences endormies m'assommait.

Ce matin d'éveil s'aventurait vers le monde musical des astres. La sombriture des arbres dans le noir enflammait la froideur de mes sensations de poète nouveau-né. Je brûlais d'envie d'écrire pour expliquer cette douceur qui s'exprimait en moi, fabriquant de la pâmoison.
L'encre froide fut mon inspiration. Comme une vapeur je me fonds dans les nuages des mots pour déverser une pluie sauvage de phrases sur une feuille altérée de vers. Les mouvements de mon stylo vagabondaient comme des éclairs pour dessiner les images les plus vives de ma pensée. Au fond de moi se trouvait une verdure dans un paradis de verbes et de paragraphes, mais les langages aberrants qu'avaient accouchés les raisonnements de beaucoup d'autres ainsi que leurs actions me faisaient questionner les deux réalités contradictoires dont la réalité dogmatique est une illusion.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés quand je regarde les humains? Ceux qui portent les montagnes sur leur dos en traversant d'autres montagnes dévastées - étant les proies de l'érosion de leur incompréhension de la vie - qu'ils créent eux-mêmes; ceux qui pensent avoir tout mais qui portent la mer dans leur visage et la fureur des orages à l'intérieur de leur tête qui leur gueulent pendant qu'ils se trempent avec le sang de la peur, du chagrin et de l'amertume; ceux qui se rabaissent jusque dans les poudres et les nuages de l'animalité pour évacuer une simple ondée de la vie pour qu'après, le pire puisse s'installer à son aise prononçant son discours si verbeux? Peut-être les deux hein? Ou... Peut-être aucun? Oui! Aucun des deux car dans ce que les autres appellent le noir je ne remarque pas la noirceur des raisonnements et des actions des hommes, je ne vois que les sourires et le bonheur grimpant sur mon cœur d'éponge pour assouplir la lame tranchante de mon mental. J'entends la chorale des astres toujours ponctuels. Assis dans mon silence, je reste là à contempler cette merveille qu'est la nature, à la laisser me pénétrer sainement par les narines; par la vue pendant que mon âme sirote les vibrations positives qu'elle capte à profusion.
Lorsque mes yeux sont fermés, la poésie se matérialise dans mon imagination et dans ma respiration. Le silence et l'amour sont les deux plus grandes divinités que je côtoie. Je m'évade complètement pour me réfugier entre le concert du silence et la symphonie de l'amour qui rayonne tout autour.

Avant mon éveil lorsque mes yeux étaient fermés, je ne faisais que m'éclipser dans un sommeil sous forme de ratures, mais le jour de mon éveil, j'ai goûté à la vie en me plongeant profondément dans l'imagination. Avant, je pensais que le noir était vraiment couvert d'une voile qui barrait la vérité, et mon subconscient se régalait gaiement dans ce repas empoisonné provenant du monde illusoire qui alimentait ma conscience perdue, de là il se permettait de se croire être dans la lumière du savoir de cette noirceur gigantesque. Mais ce matin a pu me révéler un secret et je pus aboutir à cette grande découverte: un monde où seul le néant persiste, d'où ni le noir ni rien n'existe et que tout est beau.

Entretemps les pauvres riches gens se sont ancrées dans le monde illusoire où presque toutes les perceptions sont en guerre, ignorant toutes les richesses qu'ils portent en eux pouvant les éveiller un bon matin à jouir pleinement de la vie.