Il y eut un temps où sorciers et moldus se côtoyaient quotidiennement. Durant l’Age Sombre, les seconds commencèrent à se méfier des premiers. Cela s’était déjà produit à de nombreuses... [+]
Je me souviens de ce jeudi soir où je fis sa rencontre. Il n’était ni très grand, ni très beau. Ses cheveux se dégarnissaient, sa barbe blanchissait déjà et seuls ses yeux paraissaient dotés de vie. Quoiqu’il en soit, dès que je croisais son regard je compris que je ne l’oublierai jamais.
A cette époque, j’étais mariée depuis huit ans, et je vivais un véritable enfer. J’avais progressivement été éloignée de mes proches, à mesure que mon corps se gravait de stigmates indélébiles. Hector, qui avait été mon héros des premières amours, était désormais le démon de mon existence et je ne savais pas comment lui échapper.
J’étais de ces femmes qui s’engluent dans une spirale infernale, sans penser que tourner la poignée ou composer un numéro pourrait les en sortir. Voilà longtemps pourtant que j’avais compris qu’il n’était en rien l’homme de ma vie. Je restais quand même à ses côtés, incapable de prendre mon envol.
Ce jeudi-là, lorsque j’ouvrais la porte à Gaétan, je ne savais pas vraiment ce que cet homme allait changer dans ma vie. Il était venu me vendre un calendrier pour l’équipe de rugby junior. Mon fils en faisait partie, mais je n’avais jamais vu le terrain, ses camarades ou son entraîneur. Je devais rester à la maison, m’assurer de sa propreté et ne pas montrer au monde à quel point j’étais une épave.
Gaétan était nouveau dans la ville. Il ne savait pas que sonner chez moi était proscrit, car la dingue à l’intérieur aurait pu l’attaquer. Voilà ce qu’il en était de ma réputation, entérinée par mes propres enfants, bien dressés par leur père.
Aussitôt qu’il me vit, il comprit. Dans son regard, je vis un mélange de dégoût, de haine et d’indignation. En aucun cas il ne compatit à ma situation.
Nous n’échangeâmes que des mots d’usage, lui avec l’enthousiasme du vendeur, moi hésitante, apeurée par un hypothétique retour impromptu de mon époux. Tandis que je sortais un porte-monnaie pas bien rempli – il n’aurait pas fallu que je puisse fuir très loin –, je perçus les rires moqueurs de voisins qui passaient dans la rue.
Gaétan frissonna en entendant ces moqueries, et perdit brutalement de sa verve en me voyant pâlir. Un instant, il resta raide, indécis. Puis il tira tout l’argent qu’il avait dans sa sacoche et me le tendit. Je voulus le lui rendre, lui dire que je volais ainsi des donateurs, mais il était déjà reparti.
Dans les semaines qui suivirent, tandis que mon butin dormait bien au chaud dans un manteau que mon mari ne mettait plus, mais auquel il tenait, je recroisais souvent Gaétan. Jamais nous ne nous sommes parlés. C’est à peine si j’osais croiser son regard, mais quand je le faisais je n’y lisais que du mépris.
Alors que les coups continuaient à pleuvoir et que mes enfants m’humiliaient sans même s’en apercevoir, un germe d’indépendance reprenait vie en moi. Je ne voulais plus voir ce mépris dans le regard d’un homme qui m’avait tendu la main. Je ne voulais plus entendre les murmures moqueurs des voisins que je croisais. Progressivement, je retrouvais celle que j’avais été. Abîmée, désœuvrée et apeurée, mais désormais déterminée à fuir mon enfer.
Je commençais par piocher dans les tirelires de mes enfants. C’était les seuls sources de revenus qui n’étaient pas contrôlées avec soin par monsieur mon époux. Peut-être aurais-je dû me sentir coupable de voler mes propres enfants. Encore aujourd’hui, je n’en éprouve pas le moindre remord. Pour la première fois de leur existence, ils m’apportaient un peu d’espoir.
Alors que j’avais mis de côté une somme rondelette, je m’arrêtais soudainement dans l’aller du supermarché. Il était là, en jean et t-shirt, en train de réfléchir sur quel paquet de céréales il allait jeter son dévolu. J’attendis quelques minutes qu’il prît conscience qu’il était observé. Lorsqu’enfin il posa son regard sur le mien, j’articulais « c’est terminé ». Alors que je reprenais le chemin des caisses, je distinguais un début de sourire sur son visage. Je ne sus jamais s’il était sceptique ou satisfait de ma déclaration.
Ce furent mes dernières courses pour ma famille. En rentrant chez moi, je rangeai tout à sa place, comme d’habitude. Je fis même les poussières et passai l’aspirateur. Je ne pris rien dans mes placards, à l’exception du manteau chargé de mon butin. Il était un peu grand, mais ma satisfaction de soustraire ce bien à Hector consistait une petite revanche supplémentaire.
Je quittai la maison à pied, sans fermer la porte. Il était dix heure trente et je reprenais ma liberté. Je marchai sans me presser, me persuadant que prendre le bus pour aller à la gendarmerie la plus proche ne serait pas plus compliqué que d’aller faire les courses. Hector était au travail, les enfants à l’école. Il n’y avait aucune raison que je sois démasquée, ramenée à la maison et tuée à coup de ceinture.
Pourtant, en arrivant devant la gendarmerie, la peur me tordait les entrailles, je suais bien plus que la température ne le supposait et je craignais à tout moment de m’évanouir. Je ne me rappelle pas très bien la suite. Je sais que je parvins à entrer dans ce premier refuge, où l’on me prit en charge rapidement. Je racontais mon calvaire, montrait les marques sur mon corps, dont celles que j’avais reçues le matin même. J’avais provoqué un incident au petit déjeuner, afin d’être sûre que mes preuves corporelles soient flagrantes.
Je fus ensuite accueillie dans un refuge pour femmes battues, où je refusai qu’on m’amène mes enfants. Dans leur innocence, ils avaient été tout aussi cruels que leur père. Celui-ci n’échappa pas à une année de prison, à la sortie de laquelle il récupéra ses enfants. Je ne les revis jamais.
C’est étrange de se dire qu’une main tendue et un regard méprisant, un jeudi soir, a suffi à me sortir du gouffre. Bien sûr, cela m’a pris du temps, mais j’y suis parvenue. J’imagine parfois que Gaétan faisait exprès d’avoir les mêmes horaires que moi pour faire ses courses. Je pense souvent à lui, alors même que je ne l’ai jamais revu.
A cette époque, j’étais mariée depuis huit ans, et je vivais un véritable enfer. J’avais progressivement été éloignée de mes proches, à mesure que mon corps se gravait de stigmates indélébiles. Hector, qui avait été mon héros des premières amours, était désormais le démon de mon existence et je ne savais pas comment lui échapper.
J’étais de ces femmes qui s’engluent dans une spirale infernale, sans penser que tourner la poignée ou composer un numéro pourrait les en sortir. Voilà longtemps pourtant que j’avais compris qu’il n’était en rien l’homme de ma vie. Je restais quand même à ses côtés, incapable de prendre mon envol.
Ce jeudi-là, lorsque j’ouvrais la porte à Gaétan, je ne savais pas vraiment ce que cet homme allait changer dans ma vie. Il était venu me vendre un calendrier pour l’équipe de rugby junior. Mon fils en faisait partie, mais je n’avais jamais vu le terrain, ses camarades ou son entraîneur. Je devais rester à la maison, m’assurer de sa propreté et ne pas montrer au monde à quel point j’étais une épave.
Gaétan était nouveau dans la ville. Il ne savait pas que sonner chez moi était proscrit, car la dingue à l’intérieur aurait pu l’attaquer. Voilà ce qu’il en était de ma réputation, entérinée par mes propres enfants, bien dressés par leur père.
Aussitôt qu’il me vit, il comprit. Dans son regard, je vis un mélange de dégoût, de haine et d’indignation. En aucun cas il ne compatit à ma situation.
Nous n’échangeâmes que des mots d’usage, lui avec l’enthousiasme du vendeur, moi hésitante, apeurée par un hypothétique retour impromptu de mon époux. Tandis que je sortais un porte-monnaie pas bien rempli – il n’aurait pas fallu que je puisse fuir très loin –, je perçus les rires moqueurs de voisins qui passaient dans la rue.
Gaétan frissonna en entendant ces moqueries, et perdit brutalement de sa verve en me voyant pâlir. Un instant, il resta raide, indécis. Puis il tira tout l’argent qu’il avait dans sa sacoche et me le tendit. Je voulus le lui rendre, lui dire que je volais ainsi des donateurs, mais il était déjà reparti.
Dans les semaines qui suivirent, tandis que mon butin dormait bien au chaud dans un manteau que mon mari ne mettait plus, mais auquel il tenait, je recroisais souvent Gaétan. Jamais nous ne nous sommes parlés. C’est à peine si j’osais croiser son regard, mais quand je le faisais je n’y lisais que du mépris.
Alors que les coups continuaient à pleuvoir et que mes enfants m’humiliaient sans même s’en apercevoir, un germe d’indépendance reprenait vie en moi. Je ne voulais plus voir ce mépris dans le regard d’un homme qui m’avait tendu la main. Je ne voulais plus entendre les murmures moqueurs des voisins que je croisais. Progressivement, je retrouvais celle que j’avais été. Abîmée, désœuvrée et apeurée, mais désormais déterminée à fuir mon enfer.
Je commençais par piocher dans les tirelires de mes enfants. C’était les seuls sources de revenus qui n’étaient pas contrôlées avec soin par monsieur mon époux. Peut-être aurais-je dû me sentir coupable de voler mes propres enfants. Encore aujourd’hui, je n’en éprouve pas le moindre remord. Pour la première fois de leur existence, ils m’apportaient un peu d’espoir.
Alors que j’avais mis de côté une somme rondelette, je m’arrêtais soudainement dans l’aller du supermarché. Il était là, en jean et t-shirt, en train de réfléchir sur quel paquet de céréales il allait jeter son dévolu. J’attendis quelques minutes qu’il prît conscience qu’il était observé. Lorsqu’enfin il posa son regard sur le mien, j’articulais « c’est terminé ». Alors que je reprenais le chemin des caisses, je distinguais un début de sourire sur son visage. Je ne sus jamais s’il était sceptique ou satisfait de ma déclaration.
Ce furent mes dernières courses pour ma famille. En rentrant chez moi, je rangeai tout à sa place, comme d’habitude. Je fis même les poussières et passai l’aspirateur. Je ne pris rien dans mes placards, à l’exception du manteau chargé de mon butin. Il était un peu grand, mais ma satisfaction de soustraire ce bien à Hector consistait une petite revanche supplémentaire.
Je quittai la maison à pied, sans fermer la porte. Il était dix heure trente et je reprenais ma liberté. Je marchai sans me presser, me persuadant que prendre le bus pour aller à la gendarmerie la plus proche ne serait pas plus compliqué que d’aller faire les courses. Hector était au travail, les enfants à l’école. Il n’y avait aucune raison que je sois démasquée, ramenée à la maison et tuée à coup de ceinture.
Pourtant, en arrivant devant la gendarmerie, la peur me tordait les entrailles, je suais bien plus que la température ne le supposait et je craignais à tout moment de m’évanouir. Je ne me rappelle pas très bien la suite. Je sais que je parvins à entrer dans ce premier refuge, où l’on me prit en charge rapidement. Je racontais mon calvaire, montrait les marques sur mon corps, dont celles que j’avais reçues le matin même. J’avais provoqué un incident au petit déjeuner, afin d’être sûre que mes preuves corporelles soient flagrantes.
Je fus ensuite accueillie dans un refuge pour femmes battues, où je refusai qu’on m’amène mes enfants. Dans leur innocence, ils avaient été tout aussi cruels que leur père. Celui-ci n’échappa pas à une année de prison, à la sortie de laquelle il récupéra ses enfants. Je ne les revis jamais.
C’est étrange de se dire qu’une main tendue et un regard méprisant, un jeudi soir, a suffi à me sortir du gouffre. Bien sûr, cela m’a pris du temps, mais j’y suis parvenue. J’imagine parfois que Gaétan faisait exprès d’avoir les mêmes horaires que moi pour faire ses courses. Je pense souvent à lui, alors même que je ne l’ai jamais revu.
Je vais aller lire un autre écrit sur votre page du coup.