Tu m'achètes un pardon ?

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Que dois-je croire quand les mots sont cloués dans un coin de rancœur, dans le silence d’un cœur blessé ? Face à la mer, je pense doucement. Pour ne pas la réveiller. Assise. Seule, face à ce crash doré qui se fait dans son sein. Les derniers rayons la chatouillent à peine. Elle ondule, malgré elle. Et Jacques Brel qui me caresse. « Quand on a que l’amour pour unique raison... » Tu as été là. Tu l’es. Je ne sais pas si tu le seras toujours. Je l’ai été. Je ne sais pas si je le serai encore. Mais je sais qu’on sera toujours là. Jamais ailleurs. Ça, c’est parce qu’on a aimé et on continuera à aimer enfoncer les orteils nus dans les sables. Courir le long du quai, les pieds nus, l’âme au vent. A cause de cette étreinte chaude, de gens qu’on ne connait pas. Parce qu’on aime être embrassées face à cet océan. Notre seul témoin. Parce qu’on aime cette odeur âcre. Dure. Qui frappe nos fenêtres par le petit matin. On ne partira jamais. C’est pour les beaux yeux du fils du monsieur qui travaille sur les bateaux. Ses yeux bleus. On n’a pas que l’amour pour ne plus se donner la main. Hier tu m’as encore jeté l’encre noire de tes yeux et je t’ai aimée dans ta robe rouge. Plus que jamais. Comme si tout ce rouge pouvait me laver. Comme s’il pouvait effacer. Ma méprise. Je l’ai aimé. Toi aussi. Nous aurions pu nous en réjouir. Le Considérer, lui, comme notre PPMC.

Tu dis toujours que la mer est notre curé. Elle ne m’écoute plus depuis des jours. Elle ne me délivre pas. Je n’ai pas peur. Qu’elle me livre ! Qu’elle vide mes mots sur le rivage ! Que ceux-ci échouent dans tes oreilles sourdes désormais ! Pour moi. Tu veux que je lui fasse mon Mea culpa. Mais elle est muette, la mer. Tu viendras ce soir ? Viens. Tu verras mon ombre sous les vagues. Tu me pardonneras. Je le sais. Parce qu’on savait que cela arriverait. On n’en riait. Lui, il se disait peut-être qu’on était folle. Mais on en riait. Et je croyais que c’était l’essentiel. Jusqu’à ce que tu me craches mes mots avortés. Les tiens, ce jour-là : « On s’est embrassé, je crois que je l’aime vraiment, Kara » Comment as-tu deviné ? C’étaient mes mots. T’avais peut-être encore fouillée dans les bas-fonds de ma mémoire. Tu n’aurais pas dû, cette fois. Tu n’aurais pas dû Zahra.

Je suis encore tombée sur cette photo. On est trois. Toi moi lui, les yeux languis. Je sais, c’est peut-être cette boisson. Tu en aimes toutes les saveurs. Si tu peux hurler ta liberté inoffensive. Si tu peux rentrer chez toi sans qu’elle s’en aperçoive. Je savais que c’était contre elle que tu criais ta liberté. Ta mère. Tu n’as jamais su en parler, même quand j’étais ton joker. Mais je sais. La photo, c’est moi qui l’ai prise. Et aujourd’hui, je vois que tu me l’avais dit. Tes yeux pétillent. Et c’est lui que tu regardes. Je sais maintenant. Cette boisson nous a bousillées. Non, c’est lui. Il m’attendait le torse nu, la chambre nous attendait. J’apportais seulement le café. Non, j’apportais mes lèvres, mon âme. Notre perte aussi. Mais ça, je l’ai su après. Quand la mer ne voulait plus de moi.

Pourquoi une robe rouge, ce soir Zahra ? Pourquoi te tais-tu quand tes yeux me disent tout ? C’est la première fois que tu danses. Tu mens à tous ces yeux avares de drames, de racontars. Tu veux leur dire qu’on s’aime plus que jamais. Mais ils savent déjà. Ils le savaient avant nous. Ils auraient pu nous sauver. Mais ils n’ont rien dit. Et ce soir, autour de la bière et la musique, ils admirent notre chute. Toi tu danses, mais tu mens. C’est ce qu’elle m’a lancé au visage, la grosse fille de qui on riait, hier encore : « on dirait que ça ne va pas fort entre toi et Zahra... » Je m’empresse de répondre, entre deux gorgées de cette boisson : « Non, tout va bien » et elle de rire « menteuse, vas dire ça à quelqu’un qui ne vous connait pas ». Je vide la bouteille d’un trait. Comme un prétexte. Elle laisse tomber et se perd sur la piste. Tu ne danses plus ? Tu es partie. Tu m’amputes aussi ton départ ? On n’a que l’amour pour expier nos péchés. Tu ne le sais pas encore. Et moi, je t’aime. Lui aussi. Peut-être.

Laisserons-nous s’enfuir les raisins, sans verser leur suc sur la petite table basse, comme jadis ? Ne jouerons-nous plus aux dames sous la chaleur de l’été ? Tes yeux, n’auront-ils désormais que cette encre noire qui me noie ? Pourtant, je sais que tu seras toujours là. Moi aussi. Toi, parce que tu ne sais pas partir. Moi, pour l’amour. C’est mon nouveau curé. Savais-tu que la mer n’écoutait que les âmes pures ? Lui, il n’a pas de curé. Il n’en a pas besoin. Je l’ai vu dans tes yeux. Tu l’as choisi. J’ai compris. Mais je t’attendrai. Sur le quai. Devant l’océan. L’infini. Je n’enfoncerai pas mes orteils dans le sable. Mes doigts, si. Je fabriquerai des morceaux de pardons. Des Comptes à rebours. Des cases de départ. Un oubli. Je construirai, deux petites filles insouciantes qui jouent avec du sable. Deux petites filles qui n’aimeront jamais le même lui. Sur leur peau, je tatouerai amour. Deux âmes pures qui confesseront à la mer, tous leurs petits péchés. Elles enfonceront leurs orteils dans les sables. Elles courront sur le rivage. J’inventerai plusieurs fils du monsieur qui travaillent sur les bateaux, je te les donnerai tous. Je t’achèterai pleins de sourires. Pour toi seul. Mais je n’aurai pas le temps de faire tout ça. Je t’attendrai alors. Sur les sables.

Ce matin, j’ai relu nos projets pour l’été. Ensuite, j’ai déchiré l’agenda. Son nom y était figuré. Partout. Comme notre plus grand commun diviseur. J’en ai écrit plein d’autres. Ce matin, j’ai relu notre histoire. Je l’ai réécrite. Et je sais que tu reviendras, Zahra. »
...

Sur les sables, une jeune fille court les pieds nus, la robe au vent. Elle court à la rencontre de sa copine, assise face à la mer, face à son crash doré. « Kara, devines ce que j’ai acheté aujourd’hui à la librairie ? Ils vendent de jolies fiches littéraires qui nous aideront à dire les bons mots. Ils te disent quoi faire, mais c’est toi qui écris. Il y a tout plein de rubriques et moi je t’ai prise celle-ci : « arracher le pardon à une amie après l’avoir trahi », j’ai rempli une au cas où on aimerait vraiment le fils du monsieur qui travailles sur le bateau ! C’est avec ces mots que tu pourrais m’attendrir. Tu me l’envoies et j’oublie tout ma belle ! »