Triste faim

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. A moitié mort et allongé sur une sorte d'espace dont les parties du tiers de mon corps ne parvenaient à communiquer entre elles, c'était la question que je me posai. Tout autour de moi, j’entendais des klaxons de véhicules, des cris, et des disputes. Quelques personnes aux visages que je ne parvenais à identifier parce que mes paupières avaient pris la forme et la grosseur d’un œuf d’oie, me parlaient sans que je ne puisse vraiment décoder leur message. Certains me crachaient dessus, d’autres me frappaient avec rage et fureur. - « il faut le tuer ! », - « qu’y a-t-il eut ?», - « Que s'est-il passé ? », - « héo ! M’entends-tu ? ». Dans ma main droite presque broyée, se trouvait toujours le morceau de beignet que j’avais quand même eu l’occasion de croquer lors de ma course, avant que la faucheuse ne fasse retentir sa cloche à travers la main de mes bourreaux. Il était 15 heures quand le drame se produisit. Je marchai nonchalamment vers le marché pour faire la commission de ma marâtre ; je ne sais plus de la quantième commission il s’agissait. Peut-être la millième de la journée. Je trainai ainsi le pas comme un homme qui s’est saoulé la gueule toute la journée et qui avait repris le chemin de son logis. Sauf que moi, j’étais plutôt saoul de faim. La terre tournait à la vitesse d’un tramway, mes intestins s’étaient rétrécis ; je voyais chaque personne double au point où, une femme me cria dessus et voulut en même temps me frapper : - « eh mais regarde où tu marches là, espèce de rachitique ! ». C’est vrai ! Je l’étais, mais sauf que là, un rachitique était plus gros que moi. Soudain, à une quinzaine de mètres devant moi, j’aperçus une petite fille âgée de trois ans environ qui tenait une boule en main. Je n'arrivai pas vraiment à déceler la nature de cette boule; mais je crois qu’il s’agissait bien de quelque chose qu’on pouvait manger. Je n’eus qu'une seule idée à cet instant-là : me diriger vers elle et le lui arracher, peu importe de quoi il s'agissait. Alors, sans aucune hésitation, je pressai le pas vers ma future victime. Puis, en une fraction de tierces, avec la rapidité d'un éclair, la boule se trouvait déjà dans ma main. La petite fille, apeurée, alerta par un cri strident sa maman se trouvant à l’intérieur du salon de coiffure. Elle sortit en catastrophe et se retrouva nez a nez avec moi. Je tenais le plastique de sa fillette à main. Elle comprit tout de suite ce qui venait de se passer sans que la situation ne lui soit expliquée. Alors, sans hésiter, elle alerta le voisinage a son tour en hurlant : « oh voleur !». Et voilà qu'en quelques
Secondes seulement, je me retrouvai entouré de gladiateurs qui, on aurait dit, n'attendaient que ce signal. La lucidité et le bien être me revinrent au moment où je réalisai que je me trouvai entre fuire pour vivre et rester pour mourir. Rien n'était certains, la vie ou la mort. Je me lançai dans une course folle, courant de toutes mes forces et de toutes mes faiblesses; je courais plus qu'un sprinteur jusqu’au moment où, le coup violent d'une latte me fit perdre connaissance.