Témoin malgré elle

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermes? Peut-être les deux. Petit à petit le soleil caresse tendrement les rideaux colorés de la pièce, il laisse apparaître un endroit d’apparence morbide ; des murs d’un blanc cassé témoins éternels d’histoires inconnues. Une odeur vague de désinfectants et de souffre envahit mes narines, comme si on m’enflammait sans cesse une allumette en pleine figure. Ou suis-je ?

J’entrouvre mes yeux, ma vue est trouble, opaque. Je m’efforce de rester éveillée mais en vain, mes paupières pèsent une tonne et mon corps m’ordonne de me rendormir.

-Anna, Anna...chuchote Sokra comme pour la tenir éveiller.
-Anna, réveille-toi s’il te plait, insista-t-elle en haussant légèrement la voix

La main froide de Sokra se posa délicatement sur le visage inanimé de sa sœur. Elle se mit debout et dépoussiéra ses pantalons délavés durant les 2 derniers jours passés accroupie à la chapelle de l’hôpital priant acharnement pour qu’une force surnaturelle rétablisse sa sœur.
-Fr... murmura miraculeusement Anna
- T’as froid ? s’écria Sokra avant même qu’Anna finisse sa phrase

Les prunelles de Sokra s’illuminèrent aussitôt, son cœur se mit à battre la chamade un peu plus fort chaque seconde qu’Anna était éveillée. Elle rabattit la couverture sur cette dernière et se rassit aussitôt de l’autre cote de la pièce le sourire jusqu’aux oreilles.

La lourde porte grinça et le médecin fit apparition dans la chambre. Ses pas lourds avançaient au rythme de l’électrocardiogramme, le docteur Osler était un vrai dinosaure, malgré 40 ans passer au service de l’hôpital il avait toujours la même allure, la même voix blanche, et un même vieux stéthoscope et un stylo rouge lui tenait toujours compagnie, ainsi qu’une nouvelle ride chaque année, et ça, Sokra le savait car ce n’était pas la première fois qu’elle accompagnait Anna à l’hôpital.

Sokra se leva subitement impatiente de la venue du docteur.
-‘Mesdemoiselles’ dit-il aux deux jeunes femmes.
- ‘Docteur’ répondit Sokra en guise de salut.
- ‘J’ai une bonne nouvelle’ dit-il d’une voix incroyablement statique. Il consulta ses papiers une dernière fois et leva la tête avec sûreté cette fois-ci.


-‘Votre sœur et enfin stable comme vous pouvez le constater’, il jeta un coup d’œil à Anna qui était décidément éveiller et poursuivit
-‘Une infirmière viendra prendre une dernière prise de sang afin de lui faire passer un hémogramme !’
-‘Et ben... très bien, merci’ s’exclama Sokra d’une voix dynamique
- ‘Puis-je avoir un mot avec vous, So... ?’
- ‘Sokra !’ rappela-t-elle
-‘Suivez-moi, Sokra’, répéta-t-il comme pour ne plus oublier son prénom.

Elle acquiesça. Le docteur Osler sortit de la pièce d’un pas décidé suivit de Sokra qui hésitait encore à laisser sa sœur; même en colère elle ne pouvait pas s’empêcher de la regarder avec pitié. Elle songea au fait que le docteur l’attendait et se dirigea vers la porte. Elle se tourna vers sa sœur une dernière fois, leurs regards se croisèrent et Anna baissa la tête.
-Qu’as-tu encore fait ? interrogea Sokra
- Tu dois me croire ce n’est pas moi, cette fois-ci ce n’est pas moi, So, répondit Anna presque en pleure
- Je ne sais plus si je peux te croire, répondit-elle du tac au tac.
-Sokra, mais enfin ouvre les yeux, quelqu’un veut s’en prendre a moi !
- Repose-toi Anna, tu ne sais même plus de quoi tu parles, dit Sokra

Elle respira un grand coup et passa finalement le seuil de la porte. Elle rejoint le docteur au guichet de la réception d’un pas rapide et aussitôt arrivée devant lui, il énuméra les différentes formalités à compléter avant la fin de l’hospitalisation. Mais elle n’entendait qu’à moitié, elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser à ce que sa sœur venait de dire.

-Sokra ? Avez-vous retenu toutes la paperasse à remplir ? demanda le docteur à voix haute
- Evidement ! répondit-elle en sursaut


Le docteur échangea un regard avec la réceptionniste puis avec Sokra
Le visage de Sokra ce plissa petit à petit, comme si elle eut soudainement une révélation. Pendant ce temps le docteur s’adressait à une infirmière qui passait par là.

-‘Marjorie, veillait s’il vous plait à donner la liste de nos meilleurs psychiatres à mademoiselle ’dit-il a l’infirmière en adressant un sourire à Sokra
-‘ Tout de suite’, répondit-elle
-‘Docteur ?’ murmura Sokra, ‘ça ne sera pas la peine’, dit-elle d’une voix décidée

Le docteur distingua de l’incertitude dans le regard de Sokra
- ‘Mais enfin Sokra, tout porte à croire que c’est elle qui a voulu mettre fin à ses jours’, raisonna-il
Il feuilleta une à une les pages de son carnet, mais l’infirmière le devança
-‘Son dossier médical indique des nombreux troubles de bipolarité, du sommeil, d’anxiété et j’en passe’.

Pourtant Sokra savait ce qu’elle avait vu deux jours auparavant. Arrivée a l’appartement de sa sœur, elle toqua mais en vain, prise d’inquiétude, elle se servit du double de la clé pour découvrir en horreur le corps de sa sœur encore chaud gisant dans le sang dégoulinant de son poignet gauche , une lame de fer dans la main droite, les yeux à moitié ouvert, elle se précipita immédiatement vers son téléphone et composa le numéro du SAMU . Hélas, tout portait à croire qu’Anna était bel et bien la seule responsable de son assaut.

Et soudain, le visage de Sokra s’illumina.
-‘Mais...Anna est gauchère’... pensa-t-elle à haute voix
-‘Pardon ?’, dirent l’infirmière et le docteur en chœur.
L’infirmière tendit les feuilles à celle-ci mais trop tard, Sokra était déjà au bout du corridor courant à vive allure. Elle se retourna néanmoins morte d’inquiétude
-Docteur, appelez la police, ma sœur est en danger ! , hurla-t-elle en brisant le silence du bloc entier.


Le même grincement strident de la porte se fit entendre dans la chambre d’Anna

-Qui êtes-vous ? dit-elle à voix haute

Louis brandit son insigne comme un soldat brandissant un drapeau blanc en guise de paix.
-Je m’appelle Louis, je travaille pour le bureau d’investigation ainsi que pour l’APT, l’agence de protection des témoins, j’aurais juste quelques questions à vous poser, dit-il mécaniquement
-Sortez de ma chambre !
-Ecoutez... dit-il avec dédain
- Non, vous écoutez ! J’aimerais juste passer une semaine entière en paix, c’est possible ça ? J’en ai parlé à Marie, je vous ai déjà dit tous ce que je savais. Vous travaillez avec Marie ? demanda-t-elle froidement
- Euh oui... oui, Marie, bien sûr !, fini-t-il avec assurance.
- Je lui ai dit que je me suis tout simplement retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment et c’est à cause de ça que je souffre à présent, je sens que le danger me guète a chaque angle de rue, sortez de ma chambre s’il vous plait.

-Sauf votre respect, les 72 premières heures d’une enquête sont primordiales, donnez-moi juste cinq minutes de votre journée pour sauver la vie entière d’hommes innocents. Je suis ici pour vous aider, moi je peux vous protéger, insista-t-il. Anna il ne faut pas prendre ce que vous avez vu à la légère. Ça serait même une très mauvaise idée d’en faire part à un avocat, un psychologue ou même un proche.

Les cheveux toujours impeccablement lissait en arrière avec une quantité astronomique de gel, Louis avait quelque chose de nette, d’épurer, de presque convainquant.
Elle fixa la fenêtre, les rayons du soleil était si fort qu’au contact de ses yeux, elle larmoyait, au fond elle, elle ne voulait qu’une chose, que ça s’arrête, elle céda.
- 1 m 80, cheveux blonds, la peau plutôt pale, voiture blanche. C’est tout ce que j’ai vu ! dit-elle lassée
- La peau pale... c’est nouveau ca...vous êtes sur ? dit-il en notant dans un petit carnet
Elle hocha la tête.
- Merci Anna, à bientôt !



Le téléphone de Louis vibra, il se leva subitement et se précipita vers la porte, il l’entrouvrit d’abord pour s’assurer que personne ne l’avait suivi et se dirigea vers la sortie principale. Il rangea son carnet avant de décrocher.
- Allô, Louis, qu’a-t-elle dit ?
- La même chose qu’à toi, mais on n’est pas à l’abri d’un nouvel élément, elle dit se rappeler d’un homme à la peau pale.
- Vous savez quoi faire ! Tuez-la !