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Tartare
Il ne viendra pas. Tina commande un steak tartare, elle a toujours aimé ça. En attendant le plat, elle boit un verre de vin rouge. Le liquide tourne longuement dans sa bouche. Elle a toujours aimé faire ça, jouer les œnologues, marquer son territoire. Tina est une femme de caractère. Au début, les hommes aiment bien ça. Mais ça ne dure pas. Encore un qui ne viendra pas, il n’aura pas tenu un mois.
Tina essuie ses lèvres. Sur la serviette du restaurant, le vin rouge se mêle au rouge à lèvres. Il se dégage, du tissu fraîchement lavé, un parfum aseptisé. Comme une odeur de sans. Encore une histoire sans. Une histoire sans sentiment. Elle essuie ses yeux au revers du tissu blanc. À cet instant, la serveuse dépose l’assiette devant elle.
Tina goûte le steak tartare. Ces derniers mois, les ingénieurs agroalimentaires ont fait des progrès spectaculaires. La texture de la viande est vraiment bien imitée, le goût fidèle à ses souvenirs d’enfant. Il y a même comme une odeur de sang. Pourtant, Tina n’arrive pas à avaler. Elle se dit que si les hommes ont cessé de tuer pour manger, ils n’ont pas oublié la cruauté.
Tina se lève. Elle paie l’addition au comptoir. La serveuse est désagréable, le patron insistant. Il lui demande le nom de son hôtel. Elle part sans se retourner. Elle n’est pas de ce genre-là. De quel genre est-elle ? Elle ne sait pas. Du genre qui ne plaît qu’un temps, probablement. Les larmes coulent derrière les lunettes noires. Tina marche le long du trottoir, le cœur en sang. Dans le caniveau, elle piétine des unes de journaux qui dévoilent un portrait-robot du Cannibale. Le tueur le plus redouté du moment serait un ancien boucher d’après les policiers.
Dans la petite chambre d’hôtel, Tina se sent perdue. Cet homme, c’était peut-être le bon. Mais peut-être que non. Elle jette son sac sur les draps blancs, quitte la robe noire qu’elle aime tant. Toujours pas de message sur son portable. On ne l’a encore jamais laissée comme ça. Sans un mot. Sauvagement. C’est différent. Peut-être moins violent. Soudain, elle pense à un accident. Mais elle n’appelle pas, elle n’a jamais aimé faire ça. Les paroles, c’est du vent. Tout le monde se ment. Elle hésite. Elle veut croire aux sentiments mais elle a peur de sentir qu’il ment. Dans son égarement, Tina n’a pas fermé la porte à clé.
Dans la salle de bains, la colère succède au chagrin. Tina se rappelle le plan : se retrouver au restaurant, se séparer un moment, se surprendre à l'hôtel avec un scénario excitant. Tout à coup, elle se sent fatiguée. Tout à coup, elle se sent soulagée. Elle croyait l’aimer. Mais il ne lui plaisait pas tant que ça en vérité. Tina cicatrise comme elle peut son cœur écorché. La porte de la chambre est entrouverte. Quelqu’un est entré.
Sous la douche, elle se penche pour enfoncer la bonde. Elle aime que l’eau chaude s’attarde autour de ses chevilles. L’inconnu est dans la salle de bains. Il regarde Tina qui s’est accroupie. Il aime ça. Il se caresse.
Elle se redresse. Elle se savonne, joue sans entrain avec la mousse. L’eau ruisselle sur ses paupières closes. Tina se rince puis coupe le robinet. Elle enfile le peignoir de l’hôtel. Il est doux, il est chaud. Elle se sent bien. Bien dans son corps. Elle sort de la douche et se regarde dans le miroir. Le tube de rouge à lèvres se dresse au coin du lavabo. La douleur revient aussitôt.
Tina baisse la tête. Il y a une tache rouge sur le tapis de bain. Machinalement, elle porte la main à son ventre. La main descend entre ses cuisses. Elle regarde ses doigts. Non, elle ne saigne pas. Elle regarde sous ses pieds. Elle ne s’est pas coupée. Mais le sang est frais. Et il y en a aussi sur la poignée...
Tina a peur. Elle hésite. Faut-il sortir de la salle de bains ? Dans les films d’horreur, la femme fait toujours cette erreur. Il vaudrait mieux attendre à l’intérieur. Mais son portable est à l’extérieur. Elle veut croire que ce n’est rien. Elle sort de la salle de bains.
Il y a des traces de sang sur les murs. Du sang sur le lit. Du sang partout. Tina recule. Elle marche sur quelque chose de froid et de mou. Comme de la boue. Soudain, des bras puissants l’enserrent. Elle est pétrifiée. Son pied s’enfonce dans un steak haché.
- Toi... Quel festin tu seras...
C’est lui. Elle reconnaît la voix de son amant, il est venu finalement. Dans le cou, il la mord jusqu’au sang. Il l’entraîne vers le lit et la jette sur les draps blancs. Elle se retourne. Tina est horrifiée. Elle a compris. C’est lui. Le Cannibale. L’assassin qui veut rappeler à l’être humain ses pires instincts : manger de la chair fraîche, boire du sang... Il va la découper, il va la dévorer !
Mais Tina est une femme de caractère. Et elle est en colère. Elle se ressaisit. Elle bondit sur le tueur et lui mord le nez. Le Cannibale est surpris. Il pousse un hurlement. Il attrape la jeune femme par les épaules et la balance contre le mur. La tête de Tina heurte le téléviseur. Elle s’effondre et ne bouge plus.
Le Cannibale a le nez ensanglanté, cette garce ne l’a pas raté. D’une petite mallette noire, l’horrible clown sort un grand couteau qu’il dépose sur la table de nuit. Puis il prend la femme dans ses bras et l’étend délicatement sur le lit. Il dénoue son peignoir. La scène est magnifique : le corps nu de Tina et tout ce blanc taché de sang ! Il faut encore plus de rouge. Le tueur cherche son couteau. Mais la victime est plus rapide que son bourreau...
Tina se rue sur l’arme blanche et le poignarde en plein cœur. Il tombe à côté d’elle sur le lit. À cheval sur lui, elle le poignarde encore et encore. Avec sauvagerie. Une vraie harpie. Elle met le cœur de l'homme en charpie. À la colère succède la folie...
L’amant se vide de son sang sur les draps blancs et Tina trouve la scène plutôt jolie. Elle découpe au couteau le lobe de son oreille droite. Sans quitter l’homme des yeux, elle met le lobe dans sa bouche, mâche longuement, avale. Elle lui sourit. Avant de lui tirer la langue.
Tina est indécente, Tina est insolente. Son caractère a fait fuir tous ses amants. Lui, non. Il ne peut plus bouger de toute façon. Cet homme, c'était peut-être le bon. Mais peut-être que non.
Tina essuie ses lèvres. Sur la serviette du restaurant, le vin rouge se mêle au rouge à lèvres. Il se dégage, du tissu fraîchement lavé, un parfum aseptisé. Comme une odeur de sans. Encore une histoire sans. Une histoire sans sentiment. Elle essuie ses yeux au revers du tissu blanc. À cet instant, la serveuse dépose l’assiette devant elle.
Tina goûte le steak tartare. Ces derniers mois, les ingénieurs agroalimentaires ont fait des progrès spectaculaires. La texture de la viande est vraiment bien imitée, le goût fidèle à ses souvenirs d’enfant. Il y a même comme une odeur de sang. Pourtant, Tina n’arrive pas à avaler. Elle se dit que si les hommes ont cessé de tuer pour manger, ils n’ont pas oublié la cruauté.
Tina se lève. Elle paie l’addition au comptoir. La serveuse est désagréable, le patron insistant. Il lui demande le nom de son hôtel. Elle part sans se retourner. Elle n’est pas de ce genre-là. De quel genre est-elle ? Elle ne sait pas. Du genre qui ne plaît qu’un temps, probablement. Les larmes coulent derrière les lunettes noires. Tina marche le long du trottoir, le cœur en sang. Dans le caniveau, elle piétine des unes de journaux qui dévoilent un portrait-robot du Cannibale. Le tueur le plus redouté du moment serait un ancien boucher d’après les policiers.
Dans la petite chambre d’hôtel, Tina se sent perdue. Cet homme, c’était peut-être le bon. Mais peut-être que non. Elle jette son sac sur les draps blancs, quitte la robe noire qu’elle aime tant. Toujours pas de message sur son portable. On ne l’a encore jamais laissée comme ça. Sans un mot. Sauvagement. C’est différent. Peut-être moins violent. Soudain, elle pense à un accident. Mais elle n’appelle pas, elle n’a jamais aimé faire ça. Les paroles, c’est du vent. Tout le monde se ment. Elle hésite. Elle veut croire aux sentiments mais elle a peur de sentir qu’il ment. Dans son égarement, Tina n’a pas fermé la porte à clé.
Dans la salle de bains, la colère succède au chagrin. Tina se rappelle le plan : se retrouver au restaurant, se séparer un moment, se surprendre à l'hôtel avec un scénario excitant. Tout à coup, elle se sent fatiguée. Tout à coup, elle se sent soulagée. Elle croyait l’aimer. Mais il ne lui plaisait pas tant que ça en vérité. Tina cicatrise comme elle peut son cœur écorché. La porte de la chambre est entrouverte. Quelqu’un est entré.
Sous la douche, elle se penche pour enfoncer la bonde. Elle aime que l’eau chaude s’attarde autour de ses chevilles. L’inconnu est dans la salle de bains. Il regarde Tina qui s’est accroupie. Il aime ça. Il se caresse.
Elle se redresse. Elle se savonne, joue sans entrain avec la mousse. L’eau ruisselle sur ses paupières closes. Tina se rince puis coupe le robinet. Elle enfile le peignoir de l’hôtel. Il est doux, il est chaud. Elle se sent bien. Bien dans son corps. Elle sort de la douche et se regarde dans le miroir. Le tube de rouge à lèvres se dresse au coin du lavabo. La douleur revient aussitôt.
Tina baisse la tête. Il y a une tache rouge sur le tapis de bain. Machinalement, elle porte la main à son ventre. La main descend entre ses cuisses. Elle regarde ses doigts. Non, elle ne saigne pas. Elle regarde sous ses pieds. Elle ne s’est pas coupée. Mais le sang est frais. Et il y en a aussi sur la poignée...
Tina a peur. Elle hésite. Faut-il sortir de la salle de bains ? Dans les films d’horreur, la femme fait toujours cette erreur. Il vaudrait mieux attendre à l’intérieur. Mais son portable est à l’extérieur. Elle veut croire que ce n’est rien. Elle sort de la salle de bains.
Il y a des traces de sang sur les murs. Du sang sur le lit. Du sang partout. Tina recule. Elle marche sur quelque chose de froid et de mou. Comme de la boue. Soudain, des bras puissants l’enserrent. Elle est pétrifiée. Son pied s’enfonce dans un steak haché.
- Toi... Quel festin tu seras...
C’est lui. Elle reconnaît la voix de son amant, il est venu finalement. Dans le cou, il la mord jusqu’au sang. Il l’entraîne vers le lit et la jette sur les draps blancs. Elle se retourne. Tina est horrifiée. Elle a compris. C’est lui. Le Cannibale. L’assassin qui veut rappeler à l’être humain ses pires instincts : manger de la chair fraîche, boire du sang... Il va la découper, il va la dévorer !
Mais Tina est une femme de caractère. Et elle est en colère. Elle se ressaisit. Elle bondit sur le tueur et lui mord le nez. Le Cannibale est surpris. Il pousse un hurlement. Il attrape la jeune femme par les épaules et la balance contre le mur. La tête de Tina heurte le téléviseur. Elle s’effondre et ne bouge plus.
Le Cannibale a le nez ensanglanté, cette garce ne l’a pas raté. D’une petite mallette noire, l’horrible clown sort un grand couteau qu’il dépose sur la table de nuit. Puis il prend la femme dans ses bras et l’étend délicatement sur le lit. Il dénoue son peignoir. La scène est magnifique : le corps nu de Tina et tout ce blanc taché de sang ! Il faut encore plus de rouge. Le tueur cherche son couteau. Mais la victime est plus rapide que son bourreau...
Tina se rue sur l’arme blanche et le poignarde en plein cœur. Il tombe à côté d’elle sur le lit. À cheval sur lui, elle le poignarde encore et encore. Avec sauvagerie. Une vraie harpie. Elle met le cœur de l'homme en charpie. À la colère succède la folie...
L’amant se vide de son sang sur les draps blancs et Tina trouve la scène plutôt jolie. Elle découpe au couteau le lobe de son oreille droite. Sans quitter l’homme des yeux, elle met le lobe dans sa bouche, mâche longuement, avale. Elle lui sourit. Avant de lui tirer la langue.
Tina est indécente, Tina est insolente. Son caractère a fait fuir tous ses amants. Lui, non. Il ne peut plus bouger de toute façon. Cet homme, c'était peut-être le bon. Mais peut-être que non.
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je l'ai relu (j'avais un peu oublié depuis sa parution, je l'avoue). quelle écriture froide et ciselée pour un coeur de femme qui saigne et palpite de sentiments et sensations vitales, une vraie étude de cas, on se délecte avec elle du lobe -en forme de coeur?- et on salive,
burp! j'ai du mal à digérer. encore trop mangé de barbaque fraîche aujourd'hui, une sympathique vegan qui passait innocemment devant ma petite boutique de boucherie!
Une invitation à venir découvrir “Sanglante Justice” qui est en Finale
pour le Court et le Noir 2018. Merci d’avance et bonne journée!
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/sanglante-justice