Sous les cris du Covid

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermé ? Peut-être les deux. Je ne sais rien. Et d’ailleurs, y a-t-il une différence ? Pas en ce qui me concerner. Endormie ou éveillée, je ne vois rien. Rien que son visage. Je n’entends que mes cris assourdissants. Et le silence déchire encore plus mes oreilles. A longueur des journée, je me perds dans mes pensées où je ne peux me retrouver qu’au passé. Comme si ma vie d’un coup s’était arrêtée. Serait-ce donc à ça que ressemble la mort? Non, je ne crois pas ! Je suis bien en vie. Oui, je vis ! Mais qu’elle est donc cette vie ? Est-ce un cauchemar ou une réalité cauchemardesque ? Qu’elle importance ? C’est ce que je vis depuis un mois, déjà. Un mois que j’attends la mort. Je l’espère, je l’appelle : deux tentatives de suicide échouées. C’est à croire que même la mort ne veut pas de moi. Pourtant, je la vis. Je sens sa présence même dans les profondeurs de mon sommeil. Toutefois elle refuse de me prendre dans ses bras pour me délivrer de cette réalité effrayante qu’est devenu mon quotidien. Et si cette réalité n’était en fait qu’une illusion ? Et si rien de tout ça n’était jamais arrivé ? Et si cette nuit-là n’était qu’un simple cauchemar ? Et si maman avait dit oui cette nui-là...? Toutes ces questions infinies me ramènent machinalement à cette fameuse nuit...

Ce fut en fin novembre. Je venais de finir mes devoirs. Je m’allongeai dans mon lit, les écouteurs enfoncés dans mes oreilles et le yeux scotchés sur l’écran de mon smartphone, sautant d’un réseau social à un autre. Pendant un moment, mon regard se jeta involontairement vers la fenêtre et croisa celui de la nuit qui refusait de dormir. Elle se tenait là, dehors et me fixait avec ses tristes grands yeux noirs. Notre petite conversation silencieuse fut interrompue par l’irruption de maman.
Elle poussa lentement la porte entre-ouverte et vint doucement s’asseoir à l’autre bout du lit.
Je vis sa lèvre inférieure craquer sous le poids de l’hésitation. Et puis elle me lança brusquement : « Tu ne viendras pas avec moi aux Comores.»
_Quoi ?? Maman, tu ne peux pas me faire ça! Tu m’avais dit qu’on irait ensemble au mariage de tonton. C’est quoi ce changement de dernière minute? Lui demandai-je, les lames aux yeux et la voix suppliante.
D’une voix triste et autoritaire, elle me répondit : «Je suis vraiment désolée mon petit cœur, mais ma décision est prise. C’est moi seule qui vais y aller. Je pars la semaine prochaine et j’y passerai seulement le mois de décembre.»
Son discours n’était pas encore fini qu’elle fût déjà à la porte...
Et depuis, pas un jour ne passe sans que je pense à cette nuit-là. Je crois que si j’avais pu la convaincre de m’amener avec elle ou bien l’empêcher de faire ce voyage, les choses seraient toujours comme avant.
Mais aussi grande que sera ma culpabilité, je sais qu’elle ne pourra jamais effacer ce soir où tout a commencé. Ou devrais-je dire ce soir où tout s’est arrêté.
Un soir dont je me rappellerai toute ma vie...

Le soleil venait juste de dire au-revoir. Une obscure lumière coulait dans la chambre pour m’annoncer l’arrivée du soir. Pendant que ce dernier baissait ses rideaux, je me remémorais ces heurs passées au téléphone avec maman, pendant la journée. Soudain j’entendis un bruit dans le couloir. C’était mon beau-père. Il ouvrit la porte sans dire un mot, la referma et avança lentement vers mon lit. Son attitude me faisait peur. Mille questions traversèrent ma tête.
Mais je n’eus pu qu’en poser une seule : « Papa qu’est-ce qu’il y a ? »,lui demandai-je avec peur et inquiétude.
_Calme-toi !! me répondît-il doucement, ses mains posées sur mes épaules...

Le lendemain à dix-heurs, il se présenta dans ma chambre, encore plus flippant que la veille. Son visage effrayant me donna la force de quitter mon lit après avoir essayé pendant des heurs. Me voyant sortir, il ne fît rien pour me retenir. Il était juste venu voir si j’étais encore en vie. Un léger sourire se glissa sur ses lèvres, quand j’ouvrais la porte...
J’ignore jusqu’à maintenant par quel miracle mon dos s’est retrouvé posé contre contre la machine à laver remplie de draps imprégnés de sang. Mon sang. Et pendant que la machine tournait, mes larmes coulaient au rythme des affreuses et douloureuses images de la veille qui se répétaient en boucle. Elles semblaient prendre formes, à mesure qu’elles défilaient. Soudainement, elles s’arrêtèrent sur celle de mon père. Mon père biologique...
On dit que les morts ne sont pas vraiment morts. D’autres affirment le contraire. Ce qui est certain c’est que cette nui-là, j’ai vu mon père. Et il me semblait aussi réel que la lune. Au moment je sentais toute mon énergie quitter mon corps ainsi que toute envie de lutter, il apparut près de la porte, dans son magnifique linceul blanc. Il était là, triste, impuissant et larmoyant, regardant son unique enfant entrain de se faire sauvagement violer par le monstre qui lui sert de beau-père.
Et cette image était plus douloureuse que ce que me faisait cet animal. Ou plutôt ce qu’il me fait subir tous les jours, depuis le début du confinement.

J’ai beau crier, personne ne m’entend. Mes silencieux cris sont étouffés par les cris lugubres de cette pandémie. Il a confisqué mon téléphone et mon ordinateur. Notre appartement est devenu mon prison. Aucun moyen crier à l’aide. Tout ce que je peux faire c’est espérer que chaque jour qui se lève soit pour moi le dernier, car je n’ai même plus la force de m’ôter la vie. Pourtant, j’en ai déjà essayé. J’ai avalé toute une pharmacie en même temps, mais je n’ai eu que des vomissements. J’ai essayé de me pendre, malheureusement il est arrivé à temps pour m’en empêcher.
Au fond, je me dis que je ne peux pas espérer une autre mort que celle que je vis. Je n’ai plus de vie.
Tout ce que j’ai c’est un corps couvert de bleus et des hématomes, une adolescence avortée, un avenir volé, des rêves brisés et une dignité piétinée. J’ai aussi son odeur puante dans mon corps et les poils de sa barbe coincés entre mes dents. Je n’ai que les images de la porte qui se ferme, la lumière qui s’éteint, son sourire diabolique et son regard affreux qui me transperce le cœur tel un poignard . Je sens toujours la douleur de ses gifles, ses coups de points, ses coups de pieds, ses mains autour de mon cou...
Mais ce qui m’est le horrible ce sont ses ongles qui déchirent ma peau, sa monstrueuse barbe qui gratte mon visage, sa salive amère qui enflamme ma langue, la chaleur de son corps qui brûle ma chaire, la douleur extrême de sa langue maudite qui se balade dans mes parties génitales, et l’affreuse sensation de désespoir et de honte de mon dernier regard vers la fenêtre pendant qu’il me pénètre...
C’est encore plus atroce de le voir se dépêcher vers la sale de bain dès qu’il a fini de jouer avec mon corps. N’ai-je donc aucune valeur à ses yeux bestiaux ? Ne suis-je rien d’autre qu’une machine à baiser dont il doit se débarrasser de l’odeur infecte après chaque usage ?
Je ne sais rien. Tout ce que je sais c’est qu’avant après avoir fini, il m’embrassait ou me giflait. Ça dépendait de son humeur ou de mon degré de résistance. Et ça fait déjà une semaine qu’il ne me gifle plus avant de s’en aller. Il m’embrasse. Peut-être il a remarqué que je commençais à accepter mon sort. Et c’est peut-être pour ça qu’il m’a rendu mon téléphone, ce matin. Malheureusement mon forfait ne peut pas appeler aux Comores. Alors je t’ai appelé toi. J’ai peur. Je ne tiendrai pas jusqu'à la fin du confinement. Ce mois j’ai pas vu mes règles. Donc, hier après des jours d’hésitation, j’ai utilisé de l’eau de javel et de l’urine pour faire un teste de grossesse. Et... ATTENDS!! Il arrive. Je dois raccrocher. Aide-moi s’il te plaît....
_ NON !! Aïcha, ne raccroche pas. ATTENDS... ALLÔ !!! ALLÔ...!!!