Si je savais....

"j'ai choisi les mots comme seule arme , j'ai une confiance tout à fait illimitée en leur pouvoir "

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ?
Peut-être les deux .

Ta voix vient troubler mon incertitude. Si j’arrive à t’entendre c’est que tu es là ! pourquoi ne te vois-je pas ? Suis-je devenue aveugle ?
Le médecin ne nous avait pourtant jamais prévenu d’un risque de cécité.
Me l’as-tu caché ?

C’est dommage. Je ne m’étais jamais préparée à ne plus revoir ton visage...

Les gens sont choqués et refusent parfois de regarder et d’accepter leur visage se transformé au fur des années. Pourtant, moi ,j’aurais bien aimé avoir l’opportunité de regarder se dessiner ces belles lignes que le temps aurait inscrit sur ton doux portrait.

C’est triste de savoir que les dernières images que j’ai dans ma mémoire seront désormais les seules qui me restent à voir.

Condamnation éternelle .
Derrière les barreaux de mes pensées.

Si je savais ce qui m’attendait ce jour là , j’aurais essayé de toutes mes forces de m’enivrer de la couleur du ciel.
J’aurais observé profondément tout ce qui m’entoure pour la dernière fois , comme un enfant qui découvre le monde pour la première fois .
J’aurais regardé le soleil à m’en brûler les yeux .Je serais allée me promener dans ces belles dunes vertes , j’aurais dégusté toutes ces couleurs et j’aurais répété en soupirant « pourquoi n’avoir pas fait tout cela plus couramment »...Eric-Emmanuel Schmitt avait raison « Sur terre , ce ne sont pas les occasions de s’émerveiller qui manquent , mais les émerveillés ».

Ne sois pas triste pour moi , tu m’as toujours dit que j’étais forte , tes mains me serviront de lumière j’en suis certaine...

« -Elle était faible !
Comment pouvez-vous fermer vos portes devant la mort ?!
Vous avez tué ma femme ! »

Pourquoi hurles-tu aussi fort ?
Quelles portes ? Quelle mort ?

Mes sens m’avaient trompés...
Mes yeux n’étaient pas les seuls à avoir choisi l’obscurité.
C’est tout mon âme qui sombrait pour l’éternité.
J’ai compris soudainement que je n’entendais pas uniquement ta voix parce que je me croyais aveugle non, mais bien parce qu’on peut encore entendre pour quelques heures après la mort.

Ta voix commence à s’en aller aussi .

J’essaie d’entendre encore tes derniers mots... « ‘’tiens le coup ! Reste forte’’ » et tes cris qui suppliaient avec douleur qu’on t’ouvre les portes de ce fichu hôpital ! j’aurais aimé mourir avec dignité tu sais . On ne choisit pas l’où on né ni l’où on meurt. Triste vérité.

Bientôt , je n’entendrai plus rien, ta voix aussi rejoindra ce paquet de souvenirs . Pellicule en noir et blanc .Je la revois défiler pour la dernière fois dans le cinéma de ma mémoire. On a quand même de la chance de déguster ces quelques souvenirs , de ressentir chaque odeur et de revoir chaque instant du passé avant le grand voyage.....

Ton image me revient
Jambes écartées , mains dans les poches , allure droite , tu me rappelles les arbres d'Afrique...Ces arbres uniques dont l'odeur des fruits nous transportent dans un paradis n'appartenant rien qu'à nous.
Te rappelles-tu de cet arbre où nous avions gravé nos prénoms?
Peut-être qu'il aura attendu trop longtemps nos mains revenir caresser sa cicatrice mais en vain...
Les rues seront sûrement vides sans nos rires.
Les feuilles jaunes dans notre jardin , qui s'assoira près d'eux pendant mon absence ?
Et ce doux vent le soir qui venait s'endormir sur nos corps ?

Pourvu que les murs de notre maison aient caché en leur profondeur le reste de nos rires... de nos secrets...de nos souvenirs....
Pourvu que je puisse emmenée avec moi l'image de ces derniers instants ; la douceur de tes mains dessinant sur mon visage ce dernier au revoir , notre petite maison où l'écho de nos voix raisonnent encore au milieu de cette chambre où tu m’as trouvé évanouit.

Tu sais ? Ce jour là les murs étaient en deuil. C'est comme s'ils avaient ressenti que je ne reviendrai plus une deuxième fois.

Je sais que tu auras dorénavant ce vide gravé dans les yeux.....
Cette rancœur...
Cette brûlure...
Cette envie de vengeance...
Cette rage...
Je ne suis pas la première à mourir devant les portes d’un hôpital.
Je ne serais pas la dernière .
En portant mon corps avec tes bras qui hurlaient de peine ,
il y’avait sous tes pieds le cri de toutes ces personnes qui sont mortes injustement devant cette même porte où tu criais.
Oui , il existe malheureusement ces pays où l’on peut vous laisser crever devant les portes d’un hôpital.

Suis-je dans le noir ?
Ai-je les yeux fermés ?
Peut-être les deux .
Peut-être pour l’éternité.