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Rue de Montbazon
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La vie de Muriel n’avait pas bien commencé. Sa mère était décédée peu de temps après sa naissance. Et son père se montrait incapable de s’occuper d’un enfant. Rue de Montbazon habitait une femme un peu laide, pas trop intelligente, mais bien brave. L’affaire fut vite expédiée. Du jour au lendemain, Muriel eut une belle-mère.
Monsieur Desmarais, le père de Muriel, possédait le physique d’un rêveur, d’un chercheur, d’un personnage un peu lunaire. Il était vêtu d’une longue blouse grise. Un gris plutôt anthracite. Au-dessus de son oreille droite, un tantinet décollée, se nichait un tournevis. « Un bon commerçant a toujours ses outils », nous faisait-il observer, goguenard.
Il tenait un commerce de gramophones, d’automates, de boîtes à musique. En réalité, il ne mettait guère les pieds dans le magasin. Ses femmes se chargeaient de la clientèle, de la comptabilité, des commandes. En effet, M. Desmarais avait deux femmes : Mona, épousée à la va-vite, et Gaby, l’employée devenue irremplaçable, toujours impeccable, à la taille de guêpe. Cette dernière s’y connaissait autant dans le fonctionnement des phonographes Pathé, des cylindres de bakélite, des cornets, des saphirs, que dans l’art des caresses et des baisers. La bigamie en quelque sorte, de ce savant homme, était un secret de Polichinelle.
L’atelier du père de mon amie ressemblait à un véritable capharnaüm. En plus de ses compétences en enregistrements sonores et mouvements musicaux mécaniques, M. Desmarais était réputé pour ses talents de réparateur d’objets hétéroclites tels que les moulins à café, les électrophones Teppaz, les coucous suisses... En outre, il élevait des capucins tricolores, des inséparables d’Abyssinie, des veuves de paradis... Et il collectionnait les papillons... C’est dire si Muriel et moi-même en connaissions un rayon en bimbeloterie, quincaillerie, ornithologie et, surtout, en géographie. Nous n’ignorions pas que le sphinx du laurier-rose papillonnait en Europe méridionale, le grand porte-queue en Asie tempérée et la livrée dissuasive à tête de chouette en Colombie.
Et voilà qu’un magnifique Euvanessa antiopa, venu d’Amérique du Nord, disparut de la collection. Mona, l’épouse légitime, lança sournoisement l’hypothèse que cette sainte-nitouche de Gaby n’était pas étrangère à ce forfait. Gaby, pour sa part, subodora qu’il devait s’agir d’un méfait de l’énergumène du 36.
Au numéro 36 de la rue de Montbazon vivait un original donnant en permanence l’impression d’avoir fait un mauvais coup. Il écrivait des romans policiers et, dans ce but, partait en vacances tout l’été. Oh, il n’allait pas très loin. Propriétaire d’un autre appartement, au 37, il lui suffisait, pour arriver à sa villégiature, de traverser la rue. Pour tout bagage, il emportait, avec lui, un pommier d’amour qu’il posait sur le rebord d’une fenêtre. A la Saint-Maurice, il retraversait la rue, avec son pommier d’amour, et reprenait ses quartiers d’hiver.
Lorsque nous en avions assez d’entendre parler de la disparition du papillon, nous allions jouer dehors. Dans cette sorte de cour des miracles, il se passait toujours quelque chose. Le lundi, les femmes mettaient de l’animation en faisant la lessive dans d’immenses cuves d’eau bouillonnante. C’est fou comme il y avait du linge sale à laver... Le mardi, nous guettions la marchande de peaux de lapins. Nous l’entendions de loin répéter, sur la même intonation, sa sempiternelle chanson : « Peaux de lapins, peaux ». Lorsqu’elle arrivait sous le porche avec son vieux vélo, ses vieux journaux et ses vieilles peaux, nous nous précipitions pour l’embrasser. Elle était si sale !
A l’ombre de noyers centenaires, M. et Mme Longuet dirigeaient une fabrique de chaussures exhalant d’agréables senteurs de cuir neuf. Parfois, Mme Longuet m’emmenait dans sa maison. Et là, sur la pointe des pieds, elle allait chercher, dans une profonde armoire, un paquet de longuets, ces petits pains dorés, longs, minces, croustillants. Déjà, par crainte du ridicule, je n’osais poser la moindre question. Et pourtant ! Comment était-ce possible que Mme Longuet puisse m’offrir précisément des longuets ?
La vie, à l’image du fleuve, suit son cours... Je quittai la rue de Montbazon, la magie des bulles de savon, la farandole des ballons, pour d’autres horizons... Je me fis de nouveaux amis, connus diverses émotions, respirai des parfums différents, mais jamais n’oubliai Muriel.
A la dernière saison des chrysanthèmes, je suis passée dans la rue de mon enfance... Il existe toujours, au numéro 25, un commerce de pianos à bretelles... Un peu plus loin, j’ai cru reconnaître, sortant d’une petite boîte à musique, l’âme tendre et cristalline de « La valse des fleurs » de Tchaïkovski... Comme si elle m’attendait, Muriel rêvassait devant le porche ouvrant sur la cour des miracles. Je fus frappée par son étonnante ressemblance avec la marchande de peaux de lapins. Elle m’apprit le récent départ, au-dessus des nuages, de Mona. « Tu sais ce que nous avons retrouvé dans ses affaires ? L’Euvanessa antiopa. »
Pour ne pas être en reste, j’ai raconté à Muriel que je résidais à Montbazon, une charmante localité sur les bords de l’Indre. Nous nous sommes ainsi quittées.
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Montbazon,cinq minutes et je vais flâner au bord de l Indre,plutôt aux beaux jours et puis il y a la guinguette...
Merci pour ce texte,bravo.
A bientôt, Mica Mike ! A la guinguette ou ailleurs...
Vous avez raison, les magasins de ce genre ont disparu... Les souvenirs, teintés d'un brin de nostalgie, demeurent...
J'espère avoir le plaisir de vous retrouver, Fred, au hasard d'autres boutiques ou d'autres paysages...
A bientôt donc, et encore merci à vous...
Mes lointains aïeux du côté paternel étaient natifs de Montbazon et des environs immédiats...
A bientôt, Roxane... A Tours ou bien ailleurs... Au gré des mots...
Roxane73
Et à bientôt le plaisir de vous retrouver ici ou là...
et si vous passiez lire mon petit Bob
http://short-edition.com/fr/oeuvre/nouvelles/bob-le-fetiche
bonne lecture et belle journée à vous
Et à bientôt le plaisir de vous retrouver au hasard d'autres horizons...
Merci aussi pour vos généreux votes...
Et à bientôt, je l'espère, au gré d'autres histoires...
Merci d'être passée par ici et d'avoir laissé un petit mot... Merci aussi pour vos votes toujours généreux...
A bientôt, charmante Elena...
Egalement merci pour vos généreux votes.
A bientôt, rue de Montbazon ou ailleurs...
Merci d'avoir laissé vos votes, sur une petite boîte à musique peut-être...
A bientôt, Sandra...
Cela faisait un moment que je n'avais pas eu le plaisir de vous croiser... Je vous croyais loin... Or, vous flâniez dans une rue de mon enfance...
A bientôt, Coco !