Rêves d'un insomniaque

Je suis en devenir. Ma plume trace le chemin...

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.

Cela fait déjà un moment que je ne rêve plus. Du moins, je n'en garde aucun souvenir. J'arrive même plus à dormir. Mes nuits m'ont oublié. Je suis un exilé du pays des rêves. Mais je ne sais pas si c'est bon signe ou pas, la donne a changé. J'ai rêvé... et pas qu'un peu.

Le rêve nous permet tellement de possibilités que le réel interdise. Selon Freud, c'est là où l'inconscient se manifeste en toute liberté. Tout ce qu'on aura désiré faire, avoir ou voir... C'est le possible impossible !

Hier soir, récupérant de cette fièvre qui a eu le dessus sur moi depuis un jour, je me suis recouché un peu tard. Après avoir passé les journées cloué au lit, faute de covid-19, je me suis battu contre cette fièvre, debout toute une journée. Je venais de terminer Dany Laferrière "comment faire l'amour à un nègre sans se fatiguer". Comment ne pas rêver ensuite?

Couché, j'ai regardé quelques bonnes dizaines de minutes du troisième numéro de "Ducobu". Puis, finalement, j'ai mis sur mode avion mon smartphone pour prendre tranquillement le vol au pays du sommeil. J'espérais bien y parvenir, puisque j'ai pris un sirop pour ça.

Une heure, dans la soirée, alors allongé sur le dos, je sentais le sommeil déjà faire son oeuvre.

Je ne suis plus si exilé. J'ai obtenu grâce aux yeux de la terre promise. Car nul homme ne saurait vivre sans une passe-droit. Heureux moi! Mais serais-je bien accueilli, que m'a-t-il été réservé là-bas ?

À mon arrivée, j'ai rencontré des ami.es qui me sont chèr.es. Normalement, ça devait être pareil pour toute rentrée au pays d'où l'on a été exilé. Je suppose. Je voyais là que des jpeefien.nes (d'une association juvénile dénommée JPEEF : jeunesse phare de l'église évangélique de la mission par la foi). L'un trompa Dieu dans une adoration charnelle avec une païenne. Un autre... pfff! Je m'en souviens plus! Et elle. Cette fille qui m'en a fait tellement baver. Je la voyais me sourire, ce sourire qui souvent m'avait fait perdre tout contrôle, littéralement ! On s'est parlé, et puis elle s'en est allée.

Hmmm pour un retour de l'exile, n'est-ce pas chaleureux ?

Si, je ne pouvais pas rêvé mieux. Plaisant, non? De rêvé mieux qu'un rêve ! (Sourire)

Par contre je pouvais rêvé pire. Et c'était le cas. Comme fort souvent, on ne se rappelle que du dernier rêve avant les autres. Les psychologues diraient que cela est dû à l'effet de récence. Peut-être. Je ne suis pas encore psychologue, je ne suis qu'un simple apprenti.

Je me souviens tout d'abord que je ne me souvenais plus du tout de quand exactement le sommeil m'a emporté après que j'ai déposé mon téléphone. J'étais tellement profondément endormi que j'aurais donné ma parole que j'étais réveillé quand cela se passait. C'était si claire, si réel. Je le voyais. Je le sentais. Je le vivais.

J'étais dans une pièce. J'étais sans doute en colère contre quelqu'un (je le suis souvent, mais l'exprime rarement). J'étais perdu dans cette dispute tellement qu'il a fallu qu'il me prenne par le petit doigt, si fort comme pour me l'ôter de la main.

Je prêtais finalement attention à cet acte si odieux avec une plus grande fureur que celle dont j'accordais à mon adversaire. Une rage folle m'empara, tant puissante et spontanée mais aussi passagère qu'un clin d'œil.

Qui vois-je là !!! Mon défunt frangin. Celui dont je n'arrive pas à pleurer tellement son absence m'est insoutenable. Celui dont la PNH a démenti son implication dans son assassinat cinq jours avant son quinzième anniversaire de naissance. Trépassant après qu'il ait été atteint de deux projectiles d'armes à feu (sûrement intraçables par les forces de l'ordre de ce pays de désordre). Au devant d'un hôpital public (HUEH), doté de chirurgien.nes. Celui-là même qui a bouleversé tout le pays par son assassinat, mais sans doute pas suffisamment pour attirer l'attention de celui qui nous demande tranquillement de suivre son regard (source de salut sans doute).

C'était lui, sans dire mot, il me traîna loin de cette dispute. J'avais le coeur sereint. Malheureusement ou heureusement, il n'est pas coutume d'être conscient pendant un moment de rêve. Je sentais qu'il voulait seulement me dire de chercher la tranquillité et de tourner le dos à toute cette rage que je garde en moi.

J'étais en rogne en effet. Contre les méfaits de ce système d'exploitation. Cette misère qui oblige des jeunes à regarder leurs parents souffrir et perdre leur dignité. Cette prostitution de jeunes garçons et filles, doté.es de grands potentiels et de talents mais aussi d'obligations. Car la vie est avant tout une histoire de dette!

J'ai fini par détesté, sans même le remarquer toutes les uniformes allouées aux gardien.nes de la cité (merci à Mrs Armani's mom pour me l'avoir fait remarquer! Une amie de la fac...).

Je n'arrivais ou devrais-je dire je n'arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit, sinon la poésie et la nature. Ils ont enlevé mon cerveau que certain.es de mes proches qualifiaient de génie quand ils m'ont enlevé le frérot, Badjo, âgé seulement de quatorze ans, que je cherissais des projets pour son devenir. Ce qui m'a permis de comprendre qu'il ne faut jamais attendre pour montrer son affection. Même avec le peu qu'on possède, ce qui compte c'est de montrer à l'autre combien il.elle compte!

Vous voyez, dès que je commence, je ne peux plus m'arrêter. Si c'est vrai que les morts nous conseillent pendant la nuit ou que la nuit porte conseil, c'est ce que le frangin a sans doute fait la nuit dernière et sans ouvrir la bouche. Faut croire que les morts parlent sans voix.

Je me suis réveillé, la douleur soudaine était à un haut degré. Mon petit auriculaire était dans une position dangereuse : tourné presqu'à l'envers. J'avais mal, mais ça m'était égal. Je venais de voir mon frère.

Cela fait quelques jours que j'ai écrit un poème inspiré inspiré de sa tragique absence. Une amie, qui malheureusement a connu la même perte tragique durant cette même foutue année de 2019, a pleuré à la lecture de mes vers.

... Dans mes yeux coulent le bois-de-chênes de Portail
J'ai pas déclaré la guerre à l'Etat
Ils ont tué mon jeune frère...
("Rupture", J-Sley)

Un frère assassiné et sans obtention de justice, pour la famille, c'est comme une damnation éternelle : on revit les mêmes douleurs et surtout les mêmes frayeurs à chaque fois qu'on entend des fusils chanter les privilèges de bandits légaux. Et, croyez-moi, ici-bas c'est notre quotidien.

Pour mourir il faut de la force. Tout comme pour vivre.

Mourir? Comment ça vous me demanderiez ?

C'est compréhensible, car la mort est l'une des apprentissages uniques issues d'expérience de la vie. Si vous ne l'avez pas encore faite, il vous serait difficile de la percevoir.

Alors, je vous aurais répondu : oui, mourir. Parce qu'il y a une différence entre vivre (vivre sans connaître la perte d'un.e proche) et mourir (exister après la perte d'un.e proche).

Je me suis réveillé avec le coeur lourd. J'étais heureux d'avoir revu mon petit-frère. J'avais très mal dans mon âme et en même temps je me sentais apaisé.

J'allais bientôt partir de nouveau pour ce royaume des impossibles. Je crois bien que je le reverrai un jour, du moins j'espère.

D'ici là je vais essayer d'éviter les disputes et l'appel de la colère. Puisque je ne veux surtout pas ressembler à l'assassin de mon frère. Car, s'il y a une question que je ne pouvais trouver réponse suite à l'assassinat de mon frère, c'était bien ce que j'aurais fait à son assassin si je l'avais à ma merci?

...

Dédié à la mémoire de mon regretté petit frère, Roberto Badjo THELUSMA, assasiné le 09 février 2019 et de celle de tous les gens qui ont connu pareille atrocité.