Rendez-vous d'été

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— Sortir par une chaleur pareille, mais elle est folle ! a dit sa mère.
— Elle est jeune, a dit son père.
— Tout de même, quelle sauvageonne elle fait, à sillonner les routes et les villages toute seule ! Tu ne crois pas, toi, que notre fille serait mieux à piquer une tête dans la piscine avec ses amies ? a insisté sa mère.
Et son père, qui musardait à l'ombre du grand tilleul, a écarté les mains devant lui, mais n'a rien répondu.
— Violaine ! Pense à mettre de la crème solaire... Et prends de l'eau, a crié sa mère.
— Prends ton temps, a crié son père.

Violaine les a écoutés, impatiente, presque agacée, trop consciente du rôle de chacun dans ce duo bien rodé, et puis elle a filé au hangar pour prendre son vélo. Et s'ils n'avaient pas été si distraits par leur interminable et répétitive scénographie parentale, ils auraient vite compris, en regardant l'adolescente, qu'il ne s'agissait pas d'une balade ordinaire ; ils auraient senti ces battements que pulse son cœur, précipités, presque sonores ; ils auraient vu ces joues rosies avant d'avoir couru, cette prunelle brûlante avant d'avoir affronté la lumière. Mais tout absorbés qu'ils sont par leurs joutes multiquotidiennes, ils n'ont pas vu le changement qui s'était opéré chez leur fille. Elle rayonne et ils n'en voient rien encore.

Depuis que l'oncle Bertrand lui a dit qu'elle était craquante cette petite fossette qui se creusait sur sa joue quand elle souriait, Violaine s'efforce de rester grave, elle n'a plus envie d'être prise pour une enfant. Ils ne l'ont pas remarqué non plus. Pas plus qu'une infinité de petits changements qui attestent de sa métamorphose, de ses désirs à vif, de ses peurs et de ses espoirs. Ils ne savent pas lire les signes qui se multiplient ou peut-être qu'ils n'en ont pas envie ; ils ne savent pas entendre ce corps qui dit si fort qu'il est emporté dans le grand orage de l'amour. Ils n'ont pas deviné qu'elle s'en allait pour un rendez-vous. Le premier.

Dans la poche de Violaine, un petit billet, plié en huit. Cassé d'avoir été lu et relu. Un rendez-vous. De Zak.

Aujourd'hui, elle ne mettra ni casque ni baskets. Ses tropéziennes aux lanières dorées qui lui font un joli pied sont prêtes. Elle qui trouvait les bijoux complètement nuls, a mis un petit bracelet de cheville. Ses orteils s'étoilent sous un vernis rose de nacre, elle a envie qu'on les voie. Si ses cheveux ont été tirés sagement en queue-de-cheval avant de quitter la maison, elle n'attend pas d'être au bout du village pour faire glisser l'élastique et libérer sa chevelure. Son casque est resté au hangar. Quel garçon aurait envie d'embrasser une fille avec un casque de cycliste sur la tête ! Car Zak va l'embrasser. Elle le sait.

Son baiser... Elle l'a imaginé cent fois, entre peur et douceur. Elle est prête. Prête à l'abandon, prête à l'envol : elle est folle amoureuse. Elle pédale, tête levée, col tendu, comme si elle buvait au ciel. Elle offre sa bouche au soleil, reçoit comme un prélude la chaude empreinte d'été, la laisse entrer, caresser, se dit que bientôt, tout à l'heure, Zak sera là, son haleine mêlée à la sienne, elle fermera les yeux ou peut-être que non, peut-être qu'elle aura envie d'absorber tout l'espace, envie d'engloutir le monde.

Il fait si chaud aujourd'hui que le goudron de la route forestière gonfle et cloque. Il y a peu de temps encore, elle aurait joué à slalomer pour crever ces bulles qui bouillonnent, elle les aurait même claquées de la pointe de ses sandales pour entendre leur imperceptible détonation, pour voir leur minuscule cratère ; mais aujourd'hui, c'est à peine si elle les regarde, aujourd'hui ce sont de petites capsules d'ivresse qui éclatent dans sa gorge à chaque tour de roue et la saoulent ! Un parfum de chèvrefeuille, entêtant, achève de la faire chavirer.

Elle pénètre dans la forêt où le soleil fait des éclats ardents, des craquements d'allumettes, le revers des feuillages crépite. Elle a l'impression d'être inflammable, électrisée de désirs. Elle est folle amoureuse.

Elle pédale, happée par les images qui ont cristallisé au fil de ses rêves. Il la prend dans ses bras. Ils sont enlacés, éperdus, bouche à bouche. Une comète et une déchirure. Uniques au monde et premiers à s'aimer.

Alors, elle l'aperçoit. Il est là, enfin ! Une vague immense la soulève et la précipite vers lui.

Elle aura quinze ans au mitan de l'été et c'est son premier rendez-vous d'amour.

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