Randonnée douloureuse

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Une randonnée j’en avais envie. Parcourir des kilomètres pour connaitre le quotidien de mes semblables qui tient dans une encoignure était mon souhait. Que me réservait cette randonnée ? Ce matin-là, je portais une robe de soie, mes cheveux relâchés, un sac fait en cuir et des sandalettes.
Je faisais mon premier tour dans ce monde.
- Amina, Amina, ma belle Amina vient. Apporte de l’eau à notre hôte cria d’une voix forte la mère de cette dernière.
- Il est si assoiffé ajoute-t-elle.
Amina s’empressa d’apporter de l’eau à l’illustre visiteur. Hélas ! Ses pas se faisaient difficilement suite à la déchirure causée par une lame tranchante qui s’était incrustée la veille dans sa vie et dont l’épine serait difficile à supporter. Amina tremblait, ses jambes tenaient à peine. Il ouvrit sa mallette et tendait 20 liasses de billets à sa mère. Il venait de lui offrir deux millions.
Sa mère chantait en langue et remerciait Dieu.
- D’un souffle puissant et d’une voix rauque, puis-je emmener ma chose maintenant ? demanda ce quinquagénaire.
- Oui, répondit énergiquement sa mère qui avait du mal à contenir sa joie d’avoir de l’argent.
Mon cœur saignait à l’idée d’imaginer une mère infligée une telle souffrance à sa fille qui venait juste de gouter à l’adolescence. Il l’a conduit dans un endroit piteux et sombre. Il la tenait par les cheveux, la battait à sang et quand elle fut bien amochée, il tentait de s’enfoncer en elle et plus profondément encore. Son rythme s’accélérait et un moment, son sexe s’apaisait. Virginité perdue, espoirs souillés à treize ans.
Inch Allah ! La pratique de l’excision sera bannie à jamais et aucune fille ne subira une telle barbarie.
Je continuai mon chemin et fis un deuxième tour...


Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. J’entendis les pleurs de cette petite qui clamait son innocence mais sa belle-mère lui reprochait d’avoir coupé une petite part du gâteau qu’elle avait fait. Ses pleurs avaient atteint mon instinct de mère, mes entrailles se sentaient arrachés et une plus grande douleur muette s’installait en moi. Comment laisser un enfant mourir de faim ? les supplications de cette fillette furent vaines.

Belle mère ou marâtre ? Elle venait d’enfourner les doigts de ce petit être à quarante degré. L’odeur suave des doigts calcinés prenait toute la maison. Quel avenir aura-t-elle ? Comment reconstruire sa vie ? Le destin s’était acharné sur sa misérable situation de fille orpheline de mère et de père irresponsable. Le pire venait de dresser son rideau et de marquer son avenir à jamais. Les larmes de cette petite ruisselaient et laissaient le désespoir fredonner un chant. Enfants quand est ce que tes larmes essuieront ces laves de volcans de tant de méchanceté ? Miséricordieux père ! Enfants battus, enfants violés ou enfants de la rue, plus jamais !
Je quittais cet endroit où la maltraitance des enfants était un festin et j’entrais dans le monde professionnel.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Etre indépendante, toute dame en rêvait. Donner un sens à sa vie en travaillant était le vœu d’une femme mais que des vautours et des porcs qui ne demandent qu’à la dévorer. Faut-il laisser un inconnu, quelqu’un qu’elle n’a pas choisi explorer son intimité pour avoir l’opportunité de se faire une place en entreprise ?
Les capacités de la femme ne comptaient pas ; ses choix n’existaient pas ; ses compétences étaient piétinées, sa dignité bafouée et ses droits lésés. Un collègue la coince dans les escaliers, l’embrasse de force et face à son refus, déchire la chemise de la jeune dame pour mettre son corps à nue devant les autres collègues. Quant au patron, il la harcèle et serait prêt à la valoriser, pas pour ses mérites mais pour la générosité de ses cuisses. Devenir la vache à traire du bureau était le quotidien de certaines femmes qui ne demandaient l’opportunité de démontrer leur savoir.
Les promotions étaient réservées qu’aux hommes et les efforts faits par la femme, celle qu’on chosifiait étaient ni vus, ni connus.
Tout était fait pour faire croire à la femme qu’elle n’avait que sa place à la maison et qu’elle ne pouvait pas avoir d’aspirations mais que des devoirs.... Elever l’autre et se rabaisser toujours en faisant fi de son bonheur à elle était le fameux refrain que toutes nos mères, nos sœurs, nos filles et nos amies étaient contraintes d’entendre chaque jour. Face à de telles injustices, un flot de magma m’envahit.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Comme il était tard, je me suis penchée un moment dans un hamac sous un hangar abandonné dans un coin de la ville. Subitement, des coups me réveillaient. Je venais d’entrer dans une autre farce : la guerre.
Celui qui avait maille à partir avec son voisin était trainé de sa maison à une place publique et brulé avec des pneus ou assistait à une scène délicate : celle de voir ses enfants décapités, sa femme violée et enfin de recevoir un coup de canon qui explosait sa cervelle. Des prêtres et des imams mutilés ou égorgés. Des mères porteuses de vies éventrées. Maisons et Magasins saccagés et dévalisés. Couché à meme le sol, parmi les morts, je coupais mon souffle pour paraitre morte afin de laisser ces hommes lourdement armés continuer leur chemin. Il n’y avait que des chars qui faisaient leur défilé accompagné de coup de canons, des mitraillettes et des kalachnikovs ; une catastrophe que seul la mort pouvait y faire face.

Rien ne me répugnait que de rester impuissante devant tant d’atrocités à observer les corps en guerre, les cœurs dévastés et les âmes perdues. Voir cette petite force en moi disparaitre sous le poids de la pensée commune, de l’absence de motivation, du manque de confiance en soi et de notre société qui condamne la femme à taire ses blessures les plus profondes et les plus insurmontables.
Une effervescence particulière s’empare de mon corps pour crier mon ras le bol pour nos enfants qui sont arrachés à la vie pour des rituels ou dont l’innocence est arrachée suite à un viol ou encore subissent la pire maltraitance ; nos âmes pures qui se meurent sous l’effet de la pauvreté et des guerres ; les femmes dont les droits peinent à être respectés.

Peinée je le suis mais dévastée je le serai encore si je n’outrepasse pas mes blessures, mes craintes et mes faibles mots pour donner une nouvelle expression au visage de cette randonnée douloureuse. Mon Karma ne s’éternisera pas sur la fausseté absolue. Je gouterai l’exquise saveur de mes rêves et je serai une daronne. Loin des discriminations professionnelles qui éteignent ou camouflent mon bravoure, loin des peurs qui hantent mes nuits, loin des menaces qui fragilisent mon esprit, aujourd’hui ma voix retentit et perce l’oreille du sourd.

Aujourd’hui, je laisse voyager mon fou rire pour laisser une lumière frayée la barricade crée par la peur qui m’engloutissait. Oui, je sortirai de ce noir et mes yeux s’ouvriront pour contempler la magnificence de ce beau cadeau qu’est la vie.
Ce jour-là, mes yeux dodelineront à l’intérieur de mes orbites, mon travail fera les éloges de mes plus beaux combats et de mes incroyables défis relevés.
Venus de tout horizon, vêtus de nos plus beaux vêtements et orner de nos plus belles parures ; nos cœurs jubileront en chantant ce cantique nouveau pour l’épanouissement de nos enfants, l’émancipation de la femme et pour le respect de la dignité humaine.

Je suis juste une Femme ! Juste inébranlable !