Quoi qu'il arrive, survis.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Mes paupières semblent plus lourdes que du béton. Mais à vrai dire, je ne sais pas si je veux ouvrir... Ou plutôt rouvrir mes yeux. Sur cette pensée, je revois ma vie défiler devant moi. Cela n’a pas été facile, je n’ai pas connu l’amour maternel, ma mère s’étant enfuie pour ne pas assumer ses responsabilités envers moi, je n’avais que mon père et celui-ci était, pour moi, mon seul soutien moral. Il a tout fait pour pouvoir me nourrir et m’envoyer à l’école. Il a toujours essayé de rendre mes anniversaires spéciaux, tout fait pour que je ne manque de rien. C’était le meilleur père qui pouvait exister. J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans, ce n’était pas évident au départ, les gens étaient réticents par rapport à mon âge. Grâce aux petits boulots, j’ai pu économiser pour payer mes études universitaires. J’ai entamé des études de Droit pour devenir procureur. Mon père n’avait pas cessé de m’envoyer de l’argent malgré les difficultés financières. Je parviens à rire bien que ma situation soit elle-même alarmante. Quelle tête de mule franchement, papa. Je sens du liquide couler sur mes joues. Papa... Aide moi à me sortir de là s’il te plaît. J’ai tellement mal.
- « Arrête de pleurnicher ! Tu me déranges, j’ai besoin de sommeil pour pouvoir bien m’occuper de toi demain ! Le patron viendra pour assister à ça. Donc, ferme-là ! »
Je n’avais même pas remarqué sa présence. Comment en suis-je arrivée là, bon Dieu. Le patron, dit-il ? Alors, je pourrai enfin le rencontrer, cet assassin. Je repense une nouvelle fois à mon père, une de mes raisons de vivre, celui qui a toujours été là pour moi, celui qui, devant moi, a été renversé par une voiture intentionnellement alors qu’on avait prévu de manger ensemble dans un nouveau resto qu’il aurait sûrement adoré. J’ai encore en mémoire son sang s’éparpiller doucement sur le sol tel de l’huile se répandant doucement sur un papier. Je n’ai pas pu bouger, les gens avaient accouru pour essayer de le sauver mais j’étais figée sur place. Je n’avais pas idée que le cauchemar avait commencé.
Moi, Emily Brown, procureure renommée crainte de tous, considérée comme une femme ayant une vie parfaite, j’ai perdu tout ce qui comptait pour moi. Enfin, presque. Comment ? Mon père a été renversé par une voiture et mon mari, l’amour de ma vie, s’est pris une balle en plein cœur en essayant de nous sauver moi et ma fille. J’avais compris que les hommes qui avaient tiré en avaient contre moi personnellement. Ils n’ont pas cessé de crier mon nom. La raison ? Je ne sais pas. J’ai donc décidé de protéger le seul être qui me restait dans ce monde, la prunelle de mes yeux ; j’ai envoyé ma fille partir chez ma meilleure amie Jane. Je m’étais assurée qu’elle prenne le chemin le plus sécurisé pour y aller et je suis retournée à la maison pour attirer les deux hommes loin de ma fille et de Jane. A peine ai-je franchi le seuil de la porte qu’on m’a assommée. Je me suis finalement retrouvée ici, dans une sorte d’abattoir. A vrai dire, je ne sais pas comment j’ai fait pour survivre jusque-là. On m’a torturée aussi bien physiquement, que psychologiquement. Mais je pense que le pire c’était quand ils ont mis en boucle une vidéo de l’« accident » de mon père et montré des photos des membres disséqués de mon mari. Je me suis retenue pour ne pas vomir. Les tortures physiques étaient, elles aussi, insupportables : mutilations, chaise électrique, drogue, brûlures. Je me suis accrochée à une image de ma petite Zoe pour ne pas flancher.
J’entends une porte s’ouvrir, cela me tire de mes pensées. D’après les bruits de pas, c’est un homme, je ne le reconnais pas, à force de ne pas pouvoir ouvrir les yeux, j’ai retenu les bruits de pas de mes bourreaux. Il s’approche ; je n’ai pas peur ; quoi qu’il arrive, je survivrai. Les deux autres hommes se retirent. Je sens une douleur affreuse s’emparer de mon crâne, le nouvel arrivant me tire les cheveux. Je n’arrive même pas à crier de douleur.
- « Regarde-moi, salope ! Ouvre les yeux ! Je n’en ai pas fini avec toi. »
Je fais l’effort d’ouvrir mes yeux, il me semble l’avoir déjà vu quelque part. Ma vision est floue et la luminosité de la pièce n’arrange rien.
- « Tu ne me reconnais pas ? Pourtant, tout le monde dit que je ressemble à mon père. Tu sais l’homme que tu as envoyé en prison il y a 2 ans et qui s’était fait tué une semaine après. Tu te rappelles ? Réponds-moi ! »
Pour toute réponse, je le regarde droit dans les yeux ; bien sûr que je me rappelle. C’était mon plus grand exploit, j’ai fait encastrer le plus grand dealer d’extasies de Chicago : Dave Weston. Celui-ci filait toujours entre les doigts de la justice, faute de preuves.
- « Hn, comment oublier celui qui a fait que ma paie soit doublé ? »
A peine ai-je fini de parler que ma cuisse se fait poignardée m’arrachant un cri.
- « As-tu la moindre idée de la souffrance que ça a engendré chez ma mère d’apprendre sa mort ? »
- « Votre père... C’était un criminel. Et ce que vous avez fait à ma famille, je ne vous le pardonnerai jamais. Vous m’entendez ? JAMAIS. »
- « Ma mère est morte à cause de toi. Ma vie est devenue un enfer. Tu connaîtras la souffrance, la vraie. Ta fille, tu peux lui dire adieu. »
- « Vous n’avez pas intérêt à toucher à ma fille ! Laissez la tranquille ! »

Je sens le poignard se remuer affreusement dans ma chair. Je m’accroche encore une fois à une image de Zoe souriant. Je ne peux pas encore flancher ; ma fille a besoin de moi. Zoe, attends-moi... Comme si, quelqu’un avait entendu mes prières, il a arrêté de remuer pour sortir précipitamment de la pièce en se disputant avec quelqu’un au téléphone. Ce psychopathe a laissé le canif dans ma cuisse. Je reprends difficilement ma respiration. Il faut que je sorte de là et je pense que ce canif est ma seule chance, mes mains sont ligotées derrière mon dos et de toutes mes forces je les reporte devant moi. Ma vision redevient floue après cet effort. -Reprends-toi ma vieille, tu as vécu pire dans ta vie, tu ne peux pas abandonner maintenant. Pense à ta fille, elle a besoin de toi. Pense à papa, à Richard, sont-ils morts pour rien ? Bouge-toi !- Je retire finalement le poignard d’un geste brusque qui m’arrache un gémissement que j’étouffe dans ma gorge. Je me lance dans ma besogne et tranche les liens retiennent mes mains. Une fois libérée, je me lève décidée à sortir de ce trou. PAN ! PAN ! je me sens lourde, mes jambes n’ont plus de force. BAM !
- « Imbécile ! Pourquoi tu lui as tiré dessus ?!!!!!! »
- « Elle a essayé de s’échapper, patron. »
Tout devient soudainement noir, les bruits extérieurs se font moins audibles. Donc c’est ça la mort ? Finalement, j’ai échoué. Zoé... Je ne vais plus pouvoir aller te voir à tes spectacles de danse. Je ne vais plus pouvoir t’apprendre à jouer du piano. Mais surtout, je ne pourrai plus revoir ton visage angélique ma chérie. Maman n’a pas pu tenir sa promesse ma chérie, je suis désolée. Pardonne-moi, ma chérie. Je t’aime fort. Tu vas devoir affronter ce monde seule, connaître des souffrances, des injustices... Mais promets-moi une chose, mon ange : quoi qu’il arrive, survis.