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La dernière nef vient de s'envoler. Je ne suis pas monté avec les autres, ma femme, ma famille, mes amis. À l'heure qu'il est, bien calés dans leur stase, ils doivent rêver à des lendemains qui chantent, sur une planète toute neuve. Personne ne s'est aperçu de mon absence dans le tohu-bohu des enregistrements et des mises en silos. Tant mieux, je n'aurai pas de remords.

La ville est désormais à moi et aux quelques malheureux qui n'ont pas compris l'absolue nécessité de quitter une Terre aux abois, un monde destiné à mourir sous une pluie de cailloux venus de l'espace. Je ne sais pas si « malheur » est le terme exact ou approprié. Peut-être sont-ils seulement des sages ?

J'ai toujours été différent de mes contemporains, du moins selon mon boss et mes parents, des figures d'autorité percluses de certitudes et de théories prédigérées. Le jour de l'Annonce, quand les officiels ont décrété l'exode massif de douze milliards d'humains, au nom de notre survie collective, j'ai senti venir le coup fourré. Habiller un hypothétique voyage en quête de la terre promise, déguiser une vie de sardine anesthésiée dans sa boîte en fer blanc en nec plus ultra de la conservation de l'espèce, organiser la fuite en avant de millions de navettes au prétexte d'essaimer dans la Voie Lactée, ont été autant de la propagande réussie que de la vilaine manipulation de masse. Heureux les convaincus, aujourd'hui congelés dans des tubes de verre, demain pionniers dans un Eldorado spatial !

Je marche dans les rues de Paris. Elles me paraissent si belles dans le silence forcé. Même les oiseaux n'en reviennent pas. Aucun ne siffle, ne chante, ne raconte ses amours et ses déboires à son voisin de branche d'arbre ou de fil électrique. La Seine coule lentement dans son lit, le vent d'automne balaie tranquillement les façades et moi j'avance un pied devant l'autre sans but.

La journée a été longue. Je n'ai croisé personne, une première dans une métropole de dix millions d'habitants, autrefois capitale d'un peuple savant et donneur de leçons. Les lumières de la ville se sont éteintes lentement, alimentées par un soleil déclinant et bientôt remplacé par la lune. J'ai repéré un petit pavillon sur la butte Montmartre, une maison simple et typiquement parisienne. Je vais élire domicile en ces lieux. Pressés comme ils l'ont été, les propriétaires ont dû laisser à boire et à manger, des draps propres et du linge de toilette. Avec un peu de chance, il y aura même une jolie cheminée à foyer ouvert.

Enfin, je suis installé. Ma nouvelle demeure, probablement la dernière si les astéroïdes ne dévient pas de leur trajectoire mortelle, m'a accueilli comme l'invité surprise, celui qu'on n'attendait plus tellement, les choses étaient décidées à l'avance et planifiées par les grandes personnes. Elle a craqué un peu sous mes pas, a toussé quand j'ai mis le feu aux bûches dans l'âtre trop longtemps confiné aux rôles décoratifs. Nous avons alors communié dans la chaleur des flammes. Pour l'occasion, j'ai débouché une bouteille de Brouilly, un cru ignoré des palais délicats mais apprécié des esprits libres restés sur Terre. Mon repas est frugal. Je dois économiser les conserves trouvées sur place, au cas où mon séjour dans le monde des vivants s'éternise au-delà de la prévision initiale, de la date estimée du premier impact.

Je ne compte plus les jours. Les promenades dans Paris me reposent autant qu'une bonne nuit de sommeil. Je commence à croire que je suis le seul habitant de la Terre. Il n'y a ni chat ni chien, même pas un rat à se mettre sous la dent, un rongeur à adopter pour ne pas finir ermite. Pourtant, malgré ce contexte minimaliste, je ne sens pas la solitude me monter à la tête. Au contraire, je suis serein.

L'hiver arrive, avec son cortège de gouttes froides et de brouillards matinaux. La date fatidique approche. Normalement, elle devrait me permettre de fêter Noël une fois encore, pour l'éternité. Je me suis mis en quête d'un beau sapin pour donner à la fête un parfum d'authenticité. Je fabriquerai les guirlandes et les décorations religieuses moi-même, avec les moyens du bord, comme au temps de nos ancêtres les Lutéciens.

Je me suis réveillé avec un mal de crâne inattendu. Mon réveillon a été alcoolisé, je dois l'avouer. Les caves des voisins regorgeaient de nectars bourguignons et bordelais, de spiritueux verts ou jaunes et de rares liqueurs conçues par des moines d'antan. Je n'ai pas résisté. Si j'avais eu de l'électricité, j'aurais mis de la musique, dansé sur des rythmes exotiques jusqu'à la fin de mes jambes. À la place, j'ai imaginé la place de la République illuminée par les lumignons des bals populaires. Le film s'est alors mis en place, dernier souvenir d'une humanité désormais congelée dans une barquette géante volant vers Sirius ou Orion.

Le feu d'artifices a commencé le trente-et-un décembre à onze heures. La météo a été favorable, avec un ciel clair, pas de vent et peu de nuages. La première fusée a éclaté loin à l'horizon, trop bas pour l'observateur novice mais je l'ai quand même vue du haut de mon grenier. Les suivantes ont jailli au-dessus de ma tête, venues du fin fond de l'espace, quelque part entre Neptune et Pluton. Des vertes, des bleues, des rouges, des jaunes, tout le spectre lumineux a donné de la couleur au firmament étoilé. Le grand artificier a ajouté des feux de Bengale, brûlant le Sacré-Cœur et la Tour Montparnasse comme de simples sacrifices aux divinités célestes vexées de n'avoir pas assez de public.

Il fait chaud en ce début de Nouvel An. L'hiver boréal s'annonce torride avec son cortège de flammes, son atmosphère en feu et ses gros nuages noirs. Je me mets à rêver des pauvres dinosaures, spectateurs eux aussi d'une apocalypse planétaire. Personne ne les avait prévenus. Moi si. J'ai choisi de rester avec mes amis les fossiles.

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