Plus jamais

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Trois heures du matin. Encore une insomnie. Cela faisait plus d’une semaine. Et encore ces bruits : des grincements de lit. Ils provenaient de la chambre de ma sœur. Au début, j’avais cru qu’il s’agissait de coups de marteau. Mais bien vite, une autre hypothèse s’imposa à moi...
Il y a de cela deux semaines, nous avons emménagé chez mon père. Pour cause, le verdict de la procédure de divorce était tombé : garde alterné. De ce fait, pour les vacances, nous résidions dans la demeure paternelle avec pour seule compagnie celle de mon géniteur.
Cinq jours sont passés avant l’apparition nocturne de ces bruits. Ils étaient rythmiques et répétitifs, parfois entrecoupés, et pouvaient durer une à deux heures. Avec mes dix-huit années d’existence, il m’était facile de comprendre. Mais j’avais des doutes. Je me trompais peut-être...
Mes présomptions étaient absolument scandaleuses et je dois bien l’avouer: effrayantes. Ça ne peut pas être vrai.
Cette nuit, il fallait que je mette un terme au doute qui me taraudait. Déterminé, je sortis de mon lit. Sur la pointe des pieds et avec un nœud d’angoisse dans l’estomac, j’avançai vers la porte. Je l’ouvris légèrement. Et j’attendis ; l’oreille attentive à l’arrêt des grincements. La porte voisine claqua.
Le cœur battant la chamade, je plaçai mon œil dans l’interstice. Dans le couloir plongé dans l’obscurité se distinguait l’ombre de mon père qui retournait vers sa chambre.
Lorsque sa silhouette disparut, je refermai doucement ma porte. Sous le choc, mes jambes se dérobèrent sous moi. Face au flux indomptable de mes pensées, je me sentis perdu.
Mon père... Dans la chambre de ma sœur... Au milieu de la nuit...Toutes les nuits... Et les grincements de lit que j’entends...Comment peut-il faire ça ?
Bien vite, je sentis une nausée atroce reflué en moi. La poubelle près de moi, servit de réceptacle au déversement de mes boyaux.
Pourquoi ?Au nom de quoi ? Elle n’a que 16 ans. 16 ans !
Les mains sur les yeux, j’essayais de retrouver esprit. J’avais le souffle court comme si l’air se faisait de plus en plus rare dans mes poumons. Chaque inspiration était plus difficile et accentuait la douleur présente au fond de ma gorge. J’avais envie de crier. J’étais en colère.
Suffoquant, j’ôtai mon tee-shirt avec les dernières forces qui me restaient. Et avec rage, je plaçai mon tee-shirt entre mes lèvres pour étouffer mes cris.
Le regard vide, mes pupilles fixèrent sans voir l’astre nocturne depuis ma fenêtre. J’imaginais ce que ma sœur pouvait ressentir. Je ne pourrais jamais vraiment savoir mais j’imaginais...
Son calme étrange des derniers jours s’expliquait soudain...
Le lendemain matin, je me fis réveiller par les rayons chauds du soleil. Je m’étais endormi sur le sol. Si encore on pouvait parler de dormir. Le reste de ma courte nuit fut rythmé par des bribes de cauchemars, dont j’en gardais qu’un souvenir flou.
En me relevant, je croisai mon reflet dans le miroir de mon armoire. La mine déconfite, des cernes longues de dix kilomètres, une barbe naissante de trois jours ; on aurait dit un mort vivant. Ce qui n’était pas loin de la réalité : j’ai vraiment cru mourir cette nuit.
Alors que je ramassais mon tee-shirt qui gisait sur le sol, on toqua à ma porte. Derrière cette dernière, le visage souriant de mon père émergea. Il était plus grand et musclé que moi. Il prenait soin de son apparence. Depuis qu’il était devenu professeur d’université disait souvent que l’apparence était la clé de beaucoup de portes. En y repensant, je dirais plus que c’était la carapace idéale d’un loup déguisé en agneau.
D’instinct pour ne pas exploser de rage, j’ouvris mon armoire et m’attelai à un rangement fictif. La porte de l’armoire m’empêchait de voir sa figure. Il valait mieux. Le dégoût que je ressentais vis-à-vis de lui était puissant. J’en avais les mains tremblantes.
- Bonjour fiston ! Bien dormi ?
- Ça peut aller. Rétorquais-je avec une voix qui se fit plus froide que je le voulais.
- En tout cas moi j’ai dormi comme un loir. Dit-il en soupirant. Aujourd’hui, je vais préparer un bon petit déjeuner. On va se régaler.
- Carrément ?
- Tu vas voir ! Bon moi j’ai faim. Va prendre une douche et rejoins nous à table.

Après une douche qui me redonna un air plus ou moins normal, je rejoignis nonchalamment la salle à manger. Ma sœur y était déjà. A mon arrivée, un léger sourire fendit son visage. Je le lui rendis timidement.
Ma frangine était belle. Un vrai petit rayon de soleil. Seulement même si je ne voulais pas l’admettre au début, la lueur dans ses yeux avait disparu. Elle avait beau sourire, je sentais qu’elle prenait sur elle. Je résistais à l’envie de la prendre dans mes bras et de lui dire que je savais tout et que je la protégerais quoi qu’il arrive.
Bientôt, notre procréateur se rapprocha de la table avec une assiette pleine de pancakes. Sauf que ce matin, je n’avais pas très faim...

Nerveusement, je jetai des coups d’œil au couteau posé sur la table. Il pourrait être la solution...La fin de tout. Ce fut à ce moment-là que mon regard croisa celui de ma sœur. Ma gorge se noua et mes membres s’engourdirent. Je détestais cette sensation. Ne pas savoir quoi faire. Et le cerveau au bord de l’explosion. Il fallait que ça s’arrête.
Le petit déjeuner alterna entre un silence pesant et quelques phrases enjouées de notre hôte. Encore un truc qui avait changé. Ma benjamine était de nature bavarde mais là toute son attention était sur sa tasse.

J’engloutis ce que je pouvais et me rendis aux toilettes. Une fois ma besogne effectué, je retournai dans la salle à manger. Je me stoppai net. Je voyais la main de mon père caresser lascivement l’épaule de ma petite sœur. Elle s’éloigna immédiatement de lui et s’attela à la vaisselle.
La rage me retournait l’estomac. Dans un souffle discret, je contins ma colère. Prendre sur moi était capital. L’homme qui se tenait devant mes yeux était un adversaire que je n’étais pas apte à affronter.
Il fallait être plus intelligent. Respire
- Zara, viens avec moi on va faire un tour !
- Une seconde jeune homme. Tu es peut être majeur mais tu dois me demander la permission. Alors ? Scanda-t-il face à mon mutisme grave. J’attends !
- Je peux emmener Zara faire un tour ?
- Bah voilà ! Ce n’était pas si difficile. Allez-y revenez mais avant 13h.

Heureusement il ne m’en avait pas demandé plus. J’étais au bord de l’explosion. J’ignorais de quoi j’aurais pu être capable...
On sortit de la maison après avoir récupéré quelques affaires : direction la plage. C’était l’endroit préféré de Zara. Le trajet se fit à pied ; la maison n’était pas loin. En allant là-bas, j’espérais la revoir sourire.
Arrivés sur place, on sentit le contraste très nette entre la chaleur environnante et la fraicheur enivrante de la grande bleue. Il n’y avait pas grand monde. Il était 10h ; rien d’étonnant. Je préférais qu’il en soit ainsi. Je recherchais du calme. J’en avais un besoin viscéral.
C’était apaisant. Les flots déchainés qui venaient inlassablement mourir sur le sable fin. L’eau qui brillait au soleil. Et les feuilles de cocotier qui s’agitait au gré du vent. Assis sur ce tronc d’arbre, j’aurais pu observer ce spectacle pendant des heures.
- Zara. Je sais ce qui se passe.
- De quoi tu parles Zaphyr ?
- Je parle de ce qui se passe dans ta chambre... Papa.

En disant ce mot j’avais l’impression de m’écorcher la bouche. Je ne pouvais plus considérer cet homme comme mon père. Pas en sachant ce qu’il avait fait.

Mon interlocutrice plongea son regard dans le mien et j’y vis une profonde détresse. La voix morne, elle me raconta comment ça avait commencé. Au début de simples caresses dans les cheveux. Puis ça avait été l’escalade ; il venait dans la douche pendant qu’elle se lavait. Et finalement il vint dans sa chambre. Elle ne m’avait pas donné les détails mais j’ai compris ce qu’il y avait à savoir.

Il l’a violé

Mais Plus Jamais...J’allais y mettre fin.