Petite boîte à souvenirs

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J'écris des nouvelles, chansons, poésies. Mon maître mot: CARPE DIEM. Je rêve les pieds sur terre, cherche dans l'écriture la possibilité d'une île...

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Je me souviens de ces petits chemins de campagne, ces sentiers où l'on progresse lentement, comme de l'enfance à l'âge adulte. L'odeur minérale de la pierre sèche des murets tout cousus de mousses, sinuant au-delà des fermes pour nous perdre avec délice dans cette nature encore intacte.

Surgissant de derrière le muret, les branches indisciplinées du prunier sauvage, du mirabellier, avec ces petits fruits jaunes luisant de pruine que l'on frotte sur le chemisier avant de les croquer et de sentir le jus couler sur le menton. Plus loin, les buissons de mûrons tachaient les doigts comme le sang et l'encre. Et l'on s'amusera d'une blessure imaginaire et indolore comme prétexte à les sucer longuement.

Devant la bâtisse familiale se dressait le jardin fruitier et potager. Haricots verts et pommes de terre pour accompagner le poulet fermier du dimanche, framboises et fraises juteuses pour les tartes et les confitures, mais aussi les groseilles à maquereau, ces petits ballons translucides et velus dont on aspirait bruyamment la chair légèrement acidulée. Puis les rameaux emmêlés des groseilliers, groseilles blanches et rouges dont mon grand-oncle faisait des gelées, pressant le fruit dans un torchon à s'en brûler les doigts, qu'importe, il avait l'habitude ! Et moi, j'attendais sagement à côté du vieux poêle à bois l'ébullition crépitante du confit, qui provoquait la remontée de la « crasse ». On tartinait cette gourmandise incroyablement sucrée sur un quignon de ce vrai pain de campagne que la camionnette du boulanger livrait avec des sucettes-sifflets... Il n'y avait, dans ce hameau de Bourgogne, que notre maison de famille, trois fermes, et l'immensité des champs, l'immensité de l'enfance ! Tout rapetisse, hélas, quand on grandit...

Tandis que les pets de nonne gonflaient dans le four à bois, nous allions chercher le lait, se chamaillant à qui porterait le pot au lait de fer blanc, redoutant d'avoir à tenir le sac contenant la poule égorgée et son verre de sang indispensable pour le boudin de cocotte, ou le lapin dépecé, énucléé, à l'affreux visage sanglant !

Ah comme j'ai aimé respirer à grandes goulées les effluves prégnantes de la bouse mêlée de paille ! L'acidité du lait caillé lorsque les fromages larmoyaient dans leur faisselle ! Exhalaisons de la terre humide retournée dans le lit froissé des vignes, où l'on trouvait encore quelques escargots fossiles, parfum immémorial du sang des Dieux, qu'on appelle « pétrichor » !

La mémoire filtre nos souvenirs, retenant des sensations olfactives souvent douces, – on parle de « tropisme hédonique » –, en général associé à des moments de vie particuliers, qui remontent à la surface de notre présent comme l'écume des confitures. On les dégustera sans nostalgie (la nostalgie est un regret inutile !) mais avec affection et émotion. On leur pardonnera, à cet instant précis où ils viennent titiller nos sens, ceux empreints d'une amertume moins joyeuse.

On fait du passé des petits paquets de souvenirs dont on en dénoue parfois les rubans, bleu rêveur, rouge violent, jaune lumineux, ou vert tendre.

Et puis on les referme pour les ranger à nouveau dans le coin-grenier de notre mémoire, pour continuer à vivre ce présent et remplir à nouveau nos petites boîtes à souvenirs...

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