Pensionnaires

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C'était un cube en bois brun qui tenait dans la paume de sa main. Il était décoré de lignes beiges qui s'entrecroisaient et se rejoignaient sur les quatre faces. Elle le soupesa : le cube n'était pas plus lourd qu'un morceau de pain. Pourquoi cacher un cube derrière un livre ? La situation lui paraissait absurde. Peut-être était-ce un jeu d'un enfant, similaire à celui qu'elle jouait il y a quelques années, quand elle s'amusait à chercher un objet que Wendy dissimulait ? Elle s'apprêtait à le reposer à sa place quand elle entendit des voix qui s'approchaient, et glissa alors le cube dans la sacoche qu'elle gardait toujours à la taille. Maître Victoire entra dans la pièce accompagnée de la protectrice que Salomé détestait le plus. Elle montra la note écrite par Madame Orlane justifiant sa présence à la bibliothèque, puis s'éloigna des deux femmes, le livre qu'elle était venue chercher à la main.

Salomé attendit que Wendy dorme pour sortir le cube de sa sacoche. Lumière éteinte – passée l'heure du couvre-feu, ç'aurait été de la folie que d'allumer la lampe de chevet –, elle ne pouvait que sentir l'objet sous ses doigts. C'était sans réfléchir qu'elle avait décidé de le conserver. Voler un objet de la bibliothèque pourrait lui causer beaucoup d'ennuis. Mais pourquoi était-il tombé de derrière ce livre d'histoire que Madame Orlane lui avait conseillé ? Alors que son pouce glissait contre le cube, elle sentit soudain quelque chose d'anormal : une petite partie d'une des faces bougeait. Salomé passa et repassa ses mains humides et tremblantes sur la tranche mouvante.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Salomé sursauta. Absorbée par le cube, elle n'avait pas entendu Wendy s'approcher. Sa colocataire était peut-être son amie la plus proche, mais Salomé connaissait l'importance que celle-ci accordait aux règles du pensionnat. Elle lui fit promettre de ne rien dévoiler à personne, puis lui murmura toute l'histoire. Wendy se coucha près d'elle et prit le cube avec précaution. Elle glissa elle aussi son pouce le long de la partie mouvante puis le rendit à son amie. Salomé étouffa un hoquet de surprise : en réalité, Wendy n'avait pas touché la partie qu'elle-même avait déplacée, mais en avait découvert une nouvelle, sur la face opposée à la première. Wendy se releva d'un bond et farfouilla sous son oreiller pour revenir avec sa lampe de poche. Elle était la seule pensionnaire à y avoir le droit afin de combattre sa peur du noir. Les deux amies se réfugièrent sous la couette et examinèrent le cube à la lumière. Deux morceaux en longueur dépassaient des arêtes du cube et, en regardant attentivement, Salomé remarqua que les lignes qu'elle pensait s'aligner au détail près ne concordaient pas toujours. Elle tritura à nouveau le cube pendant quelques minutes, sans trouver de nouvelles pièces à mouvoir. Wendy l'arrêta : les parties mobiles semblaient suivre un ordre régulier, d'abord une face, puis celle opposée. Salomé voulut suivre ses conseils, mais des bruits de pas l'alertèrent, signe que la ronde de nuit s'approchait de leur chambre. Elles sortirent de sous la couette et, après avoir caché le cube sous l'oreiller, firent semblant de dormir côte à côte. La porte grinça et, comme elles s'y étaient attendues, la protectrice leur vociféra de se réveiller et de retourner chacune dans son lit respectif. C'était mieux de se faire gronder pour cette raison que pour un cube volé se transformant mystérieusement en boîte secrète. Après la visite de la protectrice, elles n'osèrent ni bouger ni parler et s'endormirent vite.

Elles ne discutèrent pas du cube de la journée. Même si elles avaient eu le droit, leurs activités les en auraient empêchées. Elles suivirent ensemble les leçons d'histoire et de mathématiques de la matinée puis se séparèrent l'après-midi. Wendy était préposée à la cuisine, et Salomé à l'entretien des enceintes du bâtiment. C'était la tâche la moins fréquente du pensionnat puisqu'elle était répartie sur l'année entre les douze groupes. Une semaine par mois, chaque groupe passait des heures consécutives à frotter, reboucher les trous et repeindre les murs qui les protégeaient du monde extérieur. Mais c'était justement ce qui attirait Salomé dans cette pénible tâche : le monde extérieur. Salomé avait passé les quatorze premières années de sa vie entre les murs du pensionnat et l'humanité entière, du moins ce qu'il en restait, vivait là. Depuis le XXIe siècle et les changements drastiques qu'avaient connus les humains, cet abri existait pour protéger les derniers spécimens de l'espèce. Salomé l'avait appris l'année dernière au premier cours de Madame Orlane : c'était la première fois qu'un adulte leur parlait du monde extérieur. Mais son existence était connue par toutes les pensionnaires : combien de fois Salomé avait-elle entendu des histoires effrayantes sur ce qui rôdait dehors ? Des rumeurs sur les excursions derrière les enceintes du pensionnat que Maître Victoire effectuait ? Ou des hypothèses sur la cause réelle des dégâts systématiques sur les murs qui entouraient l'établissement ?

Chaque mois de mai, Salomé attendait avec impatience la venue de cette tâche. Elle espérait à chaque fois apercevoir l'extérieur par les trous qu'elles devaient reboucher. Ou bien par la fente sur la petite porte du mur de derrière. Elle n'avait jamais réussi, à cause des nombreuses protectrices qui les accompagnaient toujours. Salomé était consciente du danger qui devait les entourer, mais sa curiosité l'emportait sur sa sagesse d'esprit. Quelle aventure ce serait si elle sortait de ces murs ! Tout ce qu'elle pourrait découvrir là, à l'extérieur !

Mais en attendant ce jour qui n'arriverait jamais – seules Maître Victoire et les plus hautes protectrices avaient le droit de sortir d'ici –, Salomé réfléchissait au cube volé. Devait-elle le replacer là où elle l'avait trouvé avant qu'on ne découvre son délit ? Mais si deux morceaux bougeaient, d'autres aussi le pouvaient sûrement. Il fallait qu'elle essaye une dernière fois ce soir.
Cachées sous la couette comme la veille, Wendy et Salomé fixaient le cube. Salomé le saisit et tenta de pousser toutes les faces. Wendy lui rappela son conseil : le cube s'ouvrait dans un ordre logique. Il suffisait de trouver la prochaine partie à mouvoir, et l'on devinerait la seconde. Et elle avait raison. Salomé déplaça deux nouvelles tranches, puis deux autres et enfin, un morceau de bois lui tomba dans la main. Les deux amies se lancèrent un regard empreint d'excitation et d'angoisse. Wendy rapprocha le faisceau lumineux de l'intérieur de la boîte : il y avait une feuille de papier pliée. Salomé l'ouvrit. C'était une image. On y voyait une grande chose brune et verte que Salomé avait déjà vue auparavant.

— C'est un arbre, lui souffla Wendy.

Dans ses livres d'histoire, Salomé tombait parfois sur des images du monde d'avant. Elle aimait les admirer, mais ne parvenait pas à retenir le nom de chaque chose qui existait dans le passé lointain, malgré l'aide de Wendy dans les révisions pour les tests. Aujourd'hui encore, Salomé était heureuse d'avoir Wendy à ses côtés. Mais Salomé était déçue : que venait faire cette image d'arbre à l'intérieur d'une boîte secrète ? Wendy retourna alors le papier et elle y lut : « Il existe d'autres pensionnats, d'autres humains et d'autres espèces à l'extérieur. Le danger ne vient pas de dehors, il est entre ces murs. » Salomé scruta à nouveau l'image et aperçut, à l'arrière-plan, un bâtiment gris. Devant celui-ci, on discernait des silhouettes humaines. À l'extérieur du bâtiment.

Wendy prit peur et fourra la feuille dans la boîte. Elle s'arrêta net : quelque chose de froid rencontra ses doigts. Wendy retira sa main. Salomé et elle écarquillèrent les yeux en découvrant une clé au fond de la boîte. Et Salomé en fut immédiatement persuadée, après des heures à observer la porte du mur de derrière ; la clé s'introduirait sans problème dans la fente de celle-ci.

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