Pas de nouvelles, bonnes nouvelles

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermes ? peut-être les deux. Je repassais ma vie en boucle. Ces dix dernières années avaient été les plus difficiles de mon existence mais l’espérance d’un avenir meilleur ne m’avait jamais quittée. Ce samedi 24 novembre sonnerait la fin de mon calvaire. En effet aujourd’hui serait l’une des journées les plus inoubliables qu’il me sera donnée d’assister, à savoir la remise de diplôme. Ayant été admise, dans cette université que tous convoitaient il y a de cela cinq ans, et après avoir fait mes preuves j’en étais ressortie avec des notes plus qu’excellentes. Je m’imaginais des lors, à la suite tout ceci une vie déjà toute différente. Les sacrifices de ma mère porteraient enfin leurs fruits me disais-je le jour de la remise des diplômes. Je rêvais déjà d’une grande maison avec vue sur la mer, une voiture fraichement confectionnée dont j’aurai la largesse de tester l’efficacité avant la mise en vente sur le marché, et le respect de tous. Quand je dis tous, c’était ces personnes-là qui n’avaient pas arrêtées de me chercher des noises durant tout mon cursus, ceux qui ne misaient pas sur moi ou encore ceux pour qui j’avais eu trop de chance jusque-là et que d’un moment à l’autre tout s’estomperait. Cinq ans que j’avais passée dans cette université, j’en avais vu des vertes et des pas mures. Avec en poche un master en finances, je ne me ferai pas prier pour le brandir à qui voudrait le voir. Ce diplôme je le dédiais à ma mère. Brave femme, abandonnée par mon père mais aussi par sa famille alors qu’elle me portait en son sein, elle n’a eu de cesse de se battre pour que j’ai une chance dans cette société, chance qu’elle n’avait pas eue. Collectionnant de petits boulots, l’argent qu’elle y gagnait servirait à financer mes études supérieures. Se privant de nombreux petits plaisirs je la voyais se coucher les soirs, les larmes aux yeux, le corps endolori. Et je me fis cette promesse âgée alors de douze ans, de travailler toute ma vie jusque ce que la tristesse de ma mère se transforme en bonheur.
Sortant de ma rêverie lorsque mon nom se fit entendre dans la foulée, je me redressais et contemplais la salle, des visages m’étaient beaucoup familiers notamment des amis.
Je dépliais la feuille que je tenais depuis tout ce temps et que mes mains moites avaient fini par fragiliser, je me mis à lire ce pourquoi j’avais passé plusieurs jours à écrire.

Je voudrais commencer par remercier toutes ces personnes ici présentes...
Les mains tremblotantes, je laissais tomber sans le vouloir ma feuille contenant mon récit.

Et zut, j’improviserai me dis-je intérieurement, ces mots rédigés par moi depuis bien deux semaines ne reflétaient guère le fond de ma pensée. J’aimerai pouvoir parler ouvertement de mon parcours, à cœur ouvert et avec des mots qui sortent naturellement de moi.

« Si je veux que vous reteniez une chose ici, c’est que l’acharnement et l’abnégation au travail payeront toujours. Ma vie n’a pas été des plus faciles. Déjà jeune j’accompagnais ma mère au marché acheter des articles et les revendre. Je la voyais se battre corps et âme pour que je ne manque jamais de rien, même si ce n’était pas toujours le cas. Enfant, jetais très chétif, vous voyez ce genre d’enfant très petit, fragile qu’on doit toujours surveiller comme le lait sur le feu. Les enfants des voisins jouaient très peu voire rarement avec moi. On se moquait de moi, on me surnommait la revenante, je me demande d’ailleurs pourquoi ce surnom. Avec ma mère nous avons vécu pas mal de galères. Nous avons affronté de nombreuses difficultés que si je me mettais à les narrer je ne les terminerai pas avant demain...
Les difficultés de la vie je les ai connues. Et je ne souhaite à quiconque de traverser un jour le chemin tumultueux que j’ai traversé. Mais savez-vous avant tout que je suis reconnaissante de tout ceci. Les épreuves de la vie m’ont rendue plus forte.
J’ai un regard particulier envers la femme qui m’a portée et élevée durant toute ces années. Maman... retenant un sanglot, j’aimerais te dire merci. Oui merci d’avoir fait de moi cette femme courageuse et déterminée. Ce diplôme aujourd’hui sache qu’il est avant tout pour toi et pour personne d’autre.
Assise au milieu d’une foule qui avait toute l’attention portée à mon égard je la voyais s’essuyer les larmes qui perlaient ses joues
Maman je t’aime et tu es la mère que même dans une prochaine vie je choisirai.
Je souhaite clore cet instant en remerciant mes profs, mes encadreurs parce que sans vous, ces années ici n’auraient pas été les mêmes. »

J’entendis alors dans le fond de tous petits applaudissements suivis d’une multitude, et je vis tout le monde se lever pour m’ovationner, tous sans exception.
‑ « Je l’ai fait » me dis-je intérieurement.

Lorsque je descendis les marches rejoindre mes camarades qui m’attendaient, tous se jetèrent dans mes bras...
« Félicitations Eunice, c’est toi la meilleure », avec un sourire mêlé d’une gêne je les remerciais et regagnait ma place.
Cependant il me manquait les embrassades d’une seule personne, ma mère. Je la cherchais du regard et entrepris d’aller a sa rencontre quand soudain je fus ainsi saisie par le bras par une main inconnue. Une dame m’accosta. Aussi étrange que cela le paraissait celle-ci me ressemblait énormément. J’avais l’impression d’être devant mon double mais avec quelques années de plus.

‑ On se connait? Lui demandai je
Avec des mots presque inaudibles, elle répondit ‑ non on ne se connait pas, mais j’ose croire que cela se fera très bientôt
‑je ne comprends pas⁈ Lançai-je dubitative
‑ Eunice je suis ta mère ! ta vraie mère.