“Le sable de la mer, les gouttes de la pluie, les jours de l'éternité, qui peut les dénombrer ? La hauteur du ciel, l'étendue de la terre, la profondeur de l'abîme, qui peut les explorer ? Mais avant toute chose fut créée la Sagesse...” L'ecclésiaste
Il était déjà un peu usé quand on le lui avait donné. Cela ne l'a pas empêché de l'aimer aussitôt : son sac à dos à bretelles roses.
Elle y a enfoui tous ses trésors : une poupée estropiée, un foulard qu'elle mettait parfois sur ses cheveux pour se sentir comme une grande, une plume qu'un oiseau avait perdue dans son quartier et qui l'aidait à s'envoler.
La plume, c'était le soir qu'elle la sortait, quand les grands éclairs de tonnerre, de feu et de foudre s'abattaient tout autour d'elle. Elle se blottissait dans le lit de sa mère et la prenait pour la faire voleter autour d'elles en chantant. Elle pensait que sa plume était magique. Alors, quand les cris de la foudre et du feu s'étaient tus, elle la remerciait et la remettait dans son sac à dos à bretelles roses.
Un jour, sa mère lui a dit : "Mets tes affaires dans ton sac, nous partons, nous quittons ce pays où l'on entend trop fort les cris de la foudre et du feu".
Elle a ajouté à ses trésors une robe bleue et un ballon dégonflé avec lequel on pouvait encore jouer si on s'ennuyait. Elle a agrippé sa main à celle de sa mère et s'est laissée guider sur les chemins.
Elle a marché longtemps ; ses pieds heurtés aux cailloux et parfois écorchés. Le soir, quand toutes celles et ceux qui composaient la grande file de marcheurs vers l'espoir dormaient à grands ronflements exténués, elle passait sa plume magique au-dessus d'eux et le matin, ils étaient prêts à repartir, comme parfaitement reposés.
Elle a aussi voyagé dans des camions, serrée contre sa mère, fermant les yeux pour ne pas voir les enfants encore plus maigres qu'elle, pour ne pas voir l'eau qui coulait de leurs yeux et pour empêcher les siens de couler.
Toujours elles avançaient.
Les cris de la foudre et du feu s'étaient tus mais elles devaient toujours avancer comme pour accentuer la distance avec ce qu'ils avaient laissé derrière eux, comme pour la rendre infranchissable. Quand elle interrogeait sa mère, celle-ci lui répondait d'une voix lasse : "Nous devons continuer, c'est pour notre bien".
Alors, elle saisissait les deux bretelles roses de son sac à dos et les serrait plus fortement contre ses épaules. Elle avait l'impression d'avoir un parachute arrimé à son dos. Elle avait imaginé une corde qui lui permettrait de l'ouvrir quand elles prendraient l'avion. Voyageraient-elles en avion ?
"Non, c'est en bateau que nous continuons", lui a confié sa mère un soir que la lune était brillante et rieuse. Elles sont allées sur une grande plage. Le clapotis des vagues était réconfortant. Il y avait beaucoup de monde. Les enfants se regardaient avec des envies de sourire à cette lune, à cette mer qui leur chantait comme une mélodie du départ.
Les femmes, sans même se concerter, ont entonné ce qui ressemblait à un murmure, des sons inarticulés venant de leur ventre, de leur matrice et remplissant tout leur être. Ce bruissement a commencé à enfler, relayé par toutes ces gorges profondes et éplorées, si fort qu'il a couvert le roulement des vagues, son crépitement dans les galets roulés. Pendant de longues minutes, elles ont poursuivi ce fredonnement qui faisait taire les différences de langages, qui allumait des étincelles de joie dans les regards lassés par l'exode. Ce fut une exploration de tous les possibles, une humanité retrouvée.
Elle, elle a sorti son ballon un peu dégonflé de son sac à dos à bretelles roses et ils ont joué, les enfants affamés. Ils ont ri si fort que leurs voix ont empli le ciel jusqu'à la lune. Les parents ont dû les séparer pour les emmener dans la grande barque à moteur.
Cette fois-ci, ils étaient bien plus serrés et la mer a changé de chanson. Elle jouait une partition de violence, avec des secousses et des fausses notes. Elle cinglait des lames de couteaux aiguisés. Elle les a tous rendus malades. Malades sur la mer déchaînée, malades à ne plus vouloir voir le jour se lever.
Une vague plus forte a renversé leur barque à moteur. Hommes, femmes et enfants ont plongé dans l'eau de la mer violente. Elle les a enfournés, tous. Enfin, presque tous.
Des pêcheurs ont pris dans leurs filets un sac à dos à bretelles roses. Accrochée au sac, grâce au ballon un peu dégonflé qu'il contenait, elle a pu flotter, elle a pu se laisser porter sur les vagues en colère.
C'est ainsi qu'on l'a repêchée, avec son sac bien arrimé comme un parachute de mer.
"Parachute de mer ou radeau de Méduse
Sur l'océan des morts et des vivants
Parachute de mer sur les crêtes blanc céruse
Explore tous les recoins du dedans"
Il était déjà un peu usé quand on le lui avait donné. Cela ne l'a pas empêché de l'aimer aussitôt : son sac à dos à bretelles roses.
Elle y a enfoui tous ses trésors : une poupée estropiée, un foulard qu'elle mettait parfois sur ses cheveux pour se sentir comme une grande, une plume qu'un oiseau avait perdue dans son quartier et qui l'aidait à s'envoler.
La plume, c'était le soir qu'elle la sortait, quand les grands éclairs de tonnerre, de feu et de foudre s'abattaient tout autour d'elle. Elle se blottissait dans le lit de sa mère et la prenait pour la faire voleter autour d'elles en chantant. Elle pensait que sa plume était magique. Alors, quand les cris de la foudre et du feu s'étaient tus, elle la remerciait et la remettait dans son sac à dos à bretelles roses.
Un jour, sa mère lui a dit : "Mets tes affaires dans ton sac, nous partons, nous quittons ce pays où l'on entend trop fort les cris de la foudre et du feu".
Elle a ajouté à ses trésors une robe bleue et un ballon dégonflé avec lequel on pouvait encore jouer si on s'ennuyait. Elle a agrippé sa main à celle de sa mère et s'est laissée guider sur les chemins.
Elle a marché longtemps ; ses pieds heurtés aux cailloux et parfois écorchés. Le soir, quand toutes celles et ceux qui composaient la grande file de marcheurs vers l'espoir dormaient à grands ronflements exténués, elle passait sa plume magique au-dessus d'eux et le matin, ils étaient prêts à repartir, comme parfaitement reposés.
Elle a aussi voyagé dans des camions, serrée contre sa mère, fermant les yeux pour ne pas voir les enfants encore plus maigres qu'elle, pour ne pas voir l'eau qui coulait de leurs yeux et pour empêcher les siens de couler.
Toujours elles avançaient.
Les cris de la foudre et du feu s'étaient tus mais elles devaient toujours avancer comme pour accentuer la distance avec ce qu'ils avaient laissé derrière eux, comme pour la rendre infranchissable. Quand elle interrogeait sa mère, celle-ci lui répondait d'une voix lasse : "Nous devons continuer, c'est pour notre bien".
Alors, elle saisissait les deux bretelles roses de son sac à dos et les serrait plus fortement contre ses épaules. Elle avait l'impression d'avoir un parachute arrimé à son dos. Elle avait imaginé une corde qui lui permettrait de l'ouvrir quand elles prendraient l'avion. Voyageraient-elles en avion ?
"Non, c'est en bateau que nous continuons", lui a confié sa mère un soir que la lune était brillante et rieuse. Elles sont allées sur une grande plage. Le clapotis des vagues était réconfortant. Il y avait beaucoup de monde. Les enfants se regardaient avec des envies de sourire à cette lune, à cette mer qui leur chantait comme une mélodie du départ.
Les femmes, sans même se concerter, ont entonné ce qui ressemblait à un murmure, des sons inarticulés venant de leur ventre, de leur matrice et remplissant tout leur être. Ce bruissement a commencé à enfler, relayé par toutes ces gorges profondes et éplorées, si fort qu'il a couvert le roulement des vagues, son crépitement dans les galets roulés. Pendant de longues minutes, elles ont poursuivi ce fredonnement qui faisait taire les différences de langages, qui allumait des étincelles de joie dans les regards lassés par l'exode. Ce fut une exploration de tous les possibles, une humanité retrouvée.
Elle, elle a sorti son ballon un peu dégonflé de son sac à dos à bretelles roses et ils ont joué, les enfants affamés. Ils ont ri si fort que leurs voix ont empli le ciel jusqu'à la lune. Les parents ont dû les séparer pour les emmener dans la grande barque à moteur.
Cette fois-ci, ils étaient bien plus serrés et la mer a changé de chanson. Elle jouait une partition de violence, avec des secousses et des fausses notes. Elle cinglait des lames de couteaux aiguisés. Elle les a tous rendus malades. Malades sur la mer déchaînée, malades à ne plus vouloir voir le jour se lever.
Une vague plus forte a renversé leur barque à moteur. Hommes, femmes et enfants ont plongé dans l'eau de la mer violente. Elle les a enfournés, tous. Enfin, presque tous.
Des pêcheurs ont pris dans leurs filets un sac à dos à bretelles roses. Accrochée au sac, grâce au ballon un peu dégonflé qu'il contenait, elle a pu flotter, elle a pu se laisser porter sur les vagues en colère.
C'est ainsi qu'on l'a repêchée, avec son sac bien arrimé comme un parachute de mer.
"Parachute de mer ou radeau de Méduse
Sur l'océan des morts et des vivants
Parachute de mer sur les crêtes blanc céruse
Explore tous les recoins du dedans"
Si le cœur vous en dit, je vous invite à venir découvrir mes poèmes, merci.
Mon haïku :http://short-edition.com/oeuvre/poetik/toi-l-explorateur
Et dans un autre registre mais toujours dans l'affrontement des éléments, je vous invite à partager mon poème "Explorateurs".