— On va tout reprendre.
— Depuis le début ?
— Depuis le début, oui...
Je me suis calé contre le dossier de ma chaise, me suis raclé la gorge et puis j’ai soupiré... [+]
Ils appellent ça des lunettes d’oxygène. Et ce qui est amusant, c’est que c’est relié au nez. Dessus pour voir et dedans pour respirer. Allez comprendre.
Parfois, j’entends la mer en moi. J’exagère, c’est plus un clapotis, un ressac. A plat et immobile, l’eau stagne, je manque d’air.
Mets tes lunettes Marie-Henriette.
Dans l’eau, il peut y avoir des bulles, quand je remue beaucoup, j’en crée. Visites. Je parle pour tout le monde. Je suis reliée. De l’air liquide. Le tuyau est fin, il ne faut pas qu’il se torde. Parfois, l’air n’arrive pas jusqu’en haut et je divague. Le manque d’air, et l’eau.
Je voudrais me lever et marcher dans la pièce, sortir même, sans y penser. C’est compliqué. Si je le veux, je dois randonner. Le lourd sac à dos contenant le poids de l’air en bonbonne pour quelques heures me rebute, je n’ai plus vingt ans. Je préfère encore l’appareil auquel je suis reliée quand je suis seule, et je suis seule la plupart du temps.
Ils rient et leur rire m’allège. Ils sont aux commandes de ma chaise roulante et le sac à dos est sur mes genoux. On traverse les rues, les trottoirs sont défoncés, ça secoue, c’est comme une course de brouettes, je retombe en enfance avec mes deux enfants déjà bien adultes. Quand on revient chez moi et qu’ils repartent chez eux, je triture ce souvenir avec les doigts de patience car je sais que de tels moments ne se reproduisent pas, pas assez. Je traverse les zones désertiques du temps. Je tousse. J’étouffe. Où sont mes lunettes ?
Là... Ma peau n’est plus rose, je vois des hématomes sans savoir d’où ils viennent. Parfois, l’image d’un noyé me revient. J’ai peur de l’eau et elle m’envahit de l’intérieur. Parfois, j’ai envie d’oublier, au diable mes lunettes. Je pense donc je suis. Même les divagations sont des pensées. Je suis divagante. Alors l’eau me porte aussi. Je voudrais qu’il y pousse quelques coquelicots car je la rappelle ainsi, ma toute petite, je voudrais revoir le champ de blé qui l’a pourtant empoisonnée. Dans les blés, les coquelicots qu’elle aimait tant. Rouges, comme ce bout de tissu qu’elle serrait dans sa petite main pâle et perfusée, petit carré s’échappant de ses doigts pour frotter la peau plus épaisse de ses douces narines. Respirer le tissu. Je l’ai gardé comme un trésor, un talisman et je suis prête. Je fouille nerveusement le tiroir de ma table de nuit à sa recherche. Compter chaque respiration, l’oxygène le vrai, je viens de pousser du pied bonbonne et appareil, j’ai fait comme si, où ai-je mis mes lunettes ?
A présent, ils me regardent, deux de mes enfants restants. Je les vois les yeux fermés. La troisième va arriver. Tout est déjà pardonné. Lui est sidéré, incrédule, si seul sur sa chaise, il a gardé son manteau d’octobre. Elle est là, pleinement là. Elle me caresse le visage et me parle. Ma peau est tiède déjà, l’eau est partie, l’eau, l’air, la vie. Hier soir, je lui ai exprimé le poids et le mouvement oppressant des clapotis dans mes poumons et je lui ai dit je t’aime, je crois qu’elle a compris. Ce matin, j’étais dans les feuilles d’automne, la lumière et le vent, j’étais dans le silence et la route qui défile, dans l’attente et la dernière rencontre. Nous ne nous quitterons plus.
Mets tes lunettes Marie-Henriette.
Dans l’eau, il peut y avoir des bulles, quand je remue beaucoup, j’en crée. Visites. Je parle pour tout le monde. Je suis reliée. De l’air liquide. Le tuyau est fin, il ne faut pas qu’il se torde. Parfois, l’air n’arrive pas jusqu’en haut et je divague. Le manque d’air, et l’eau.
Je voudrais me lever et marcher dans la pièce, sortir même, sans y penser. C’est compliqué. Si je le veux, je dois randonner. Le lourd sac à dos contenant le poids de l’air en bonbonne pour quelques heures me rebute, je n’ai plus vingt ans. Je préfère encore l’appareil auquel je suis reliée quand je suis seule, et je suis seule la plupart du temps.
Ils rient et leur rire m’allège. Ils sont aux commandes de ma chaise roulante et le sac à dos est sur mes genoux. On traverse les rues, les trottoirs sont défoncés, ça secoue, c’est comme une course de brouettes, je retombe en enfance avec mes deux enfants déjà bien adultes. Quand on revient chez moi et qu’ils repartent chez eux, je triture ce souvenir avec les doigts de patience car je sais que de tels moments ne se reproduisent pas, pas assez. Je traverse les zones désertiques du temps. Je tousse. J’étouffe. Où sont mes lunettes ?
Là... Ma peau n’est plus rose, je vois des hématomes sans savoir d’où ils viennent. Parfois, l’image d’un noyé me revient. J’ai peur de l’eau et elle m’envahit de l’intérieur. Parfois, j’ai envie d’oublier, au diable mes lunettes. Je pense donc je suis. Même les divagations sont des pensées. Je suis divagante. Alors l’eau me porte aussi. Je voudrais qu’il y pousse quelques coquelicots car je la rappelle ainsi, ma toute petite, je voudrais revoir le champ de blé qui l’a pourtant empoisonnée. Dans les blés, les coquelicots qu’elle aimait tant. Rouges, comme ce bout de tissu qu’elle serrait dans sa petite main pâle et perfusée, petit carré s’échappant de ses doigts pour frotter la peau plus épaisse de ses douces narines. Respirer le tissu. Je l’ai gardé comme un trésor, un talisman et je suis prête. Je fouille nerveusement le tiroir de ma table de nuit à sa recherche. Compter chaque respiration, l’oxygène le vrai, je viens de pousser du pied bonbonne et appareil, j’ai fait comme si, où ai-je mis mes lunettes ?
A présent, ils me regardent, deux de mes enfants restants. Je les vois les yeux fermés. La troisième va arriver. Tout est déjà pardonné. Lui est sidéré, incrédule, si seul sur sa chaise, il a gardé son manteau d’octobre. Elle est là, pleinement là. Elle me caresse le visage et me parle. Ma peau est tiède déjà, l’eau est partie, l’eau, l’air, la vie. Hier soir, je lui ai exprimé le poids et le mouvement oppressant des clapotis dans mes poumons et je lui ai dit je t’aime, je crois qu’elle a compris. Ce matin, j’étais dans les feuilles d’automne, la lumière et le vent, j’étais dans le silence et la route qui défile, dans l’attente et la dernière rencontre. Nous ne nous quitterons plus.
La fin est apaisante...restons serein.