Nos tifosis de Noël

Chri écrit pour se tenir compagnie. Là: http://cestpourdire.blogspot.com

Image de Portez haut les couleurs ! - 2020
___ On joue où le samedi qui vient?
___ Au gymnase Lénine de Vausin à 20h.
___ Vausin? Ils sont combien au classement ces types? Super déplacement! On va encore se faire casser le sourire... Dis ce n’est pas là-bas qu’on a pris une grosse raclée l’an passé?
___ J’en ai peur! Mais cette fois, les petits gars, nous a dit Paul, je viens avec un car de tifosis...
N’insistez pas, on a essayé pendant une bonne heure, devant la bière d’après entrainement, il n’a rien voulu nous dire à nous, ce n’est pas ni maintenant ni à vous que je vais balancer. Il a juste ajouté, croyez moi, vous ne serez pas déçus.
On ne jouait pas ensemble depuis très longtemps, mais le gars était du genre joyeux, généreux et agréable à vivre. On voit assez vite à qui on a à faire dans une équipe de sport collectif. Les têtes de cons ne restent pas masquées très longtemps. Les emmerdeurs égoïstes à l’égo mastoc se dévoilent très vite sur le terrain ou dans un vestiaire. Ceux qui ne pensent qu’à leur propre petite gloriole restent très rarement cachés sous leur suffisance. Paul, lui, c’était un gars bien, ça se sentait. Après deux trois bières, il fallait bien récupérer un peu des sels minéraux qu’on venait de perdre, on pensait aussi que c’était surtout ça qui nous réunissait, à l’âge que nous avions désormais atteint, nous ne nous faisions plus aucune illusion sur notre niveau de jeu et notre carrière de sportifs nous l’avions, maintenant dans le dos. À nous les petites catégories, les matches du samedi soir dans des gymnases déserts et mal chauffés, à nous les débuts de bagarres sordides, les coups de coudes, les crocs en jambes misérables et les béquilles qui bleuissent les cuisses, les entorses qui tordent les chevilles et les pouces dans les yeux. À nous les douches tièdes dans des vestiaires sales... À nous les départs précipités quand nous avions gagné... Un vrai bonheur. Mais il faut croire qu’on aimait ça puisqu’on ne décrochait pas. Nous aurions sans doute pu aller vider une ou deux bières sans avoir joué mais cela ne nous aurait pas tant amusé, puisque nous passions par la case match, avant. On s'accrochait encore un peu, quoi.
Le jour de la rencontre, nous nous retrouvions sur le parking du club, nous nous répartissions dans les voitures, en général deux suffisaient, parfois trois quand tout le monde avait pu se libérer et nous partions. Il devait être dans les dix huit heures pour les matches de début de soirée. Le trajet dans toutes ces banlieues minablement grises, souvent pluvieuses était égayé par les récits de la semaine des uns et des autres et tant pis si tout était très exagéré, personne n’irait vérifier quoique ce soit, l’important étant d’en sortir une bien bonne, d’en faire des tartines ET d’être ensemble. À se demander si ce n'était pas, surtout ça, qui nous faisait continuer...
Ce samedi là, comme à l'habitude, ceux qui étaient là, à l’heure étaient là, à l’heure. Et le reste, aussi. Finalement le capitaine a fait le compte, il ne manquait plus que Paul qui nous avait promis des tifosi. Paul, n’était pas joyeux, en général, il était LA joie! C’en était louche parfois. Il lui arrivait de chanter dans les vestiaires lors de pires raclées et Dieu sait si nous avons été bien fessés certains samedi. Paul lui chantait. Y a pire! disait-il. Y a pire! Quand l'un d'entre nous recevait une grosse beigne sur le nez et qu'il se retrouvait du sang plein le visage, il s'amenait et disait: y a pire! Y a pire, il aurait pu t'arracher l'œil! Il faut dire qu'il savait de quoi il parlait... Il disait aussi que personne, jamais ne lui ferait un trou au cul, qu'il en avait déjà un... Mais là il fallait qu’il ait déjà descendu quelques bières.
Un minibus blanc est arrivé en klaxonnant comme une ambulance en folie. Paul conduisait. Il s’est arrêté pile devant L'étincelle, le lieu de nos rendez vous du samedi. Le mini bus était bondé. Une dizaine de personnes hilares en sont descendues en chahutant et sont venues vers nous en souriant.
___ Voilà nos tifosi nous a lancé Paul dans un éclat de rire!
Nous sommes allés serrer des mains et nous présenter, ils souriaient aussi, ravis d’être là.
Paul travaillait comme éducateur dans un centre spécialisé. Comme il était de garde les samedis, il avait décidé d’emmener avec lui ses résidents pour les sortir du foyer. Je leur évite les conneries de la télé disait-il dans un éclat! Et les voilà devant nous à nous encourager déjà. Deux trois trisomiques aux rires débordants du visage, quelques handicapés moteurs, à l'équilibre précaire, quelques mentaux vaguement de traviole et un bon paquet de sourires enthousiastes, les écharpes du club autour du cou, des sifflets à la bouche qui faisaient un boucan du diable, un boucan de supporters de base. Pas très fin mais très drôle et en tous les cas magnifiquement chaleureux. Profondément heureux d'être là.
Ah les têtes qu’ils ont fait au gymnase Lénine!!! Toute la petite troupe bruyante et enjouée s’est regroupée sur les gradins gelés et pendant l’heure de match n’a pas cessé d’applaudir, d’encourager, de hurler contre l’arbitre, de siffler, de jeter ses bonnets en l’air, de faire tourner les écharpes, de se serrer à chaque but...
On a flanqué une vilaine rouste aux affreux jojos de Villepinte. Nos supporters sont venus les trois ou quatre samedis suivants. Nous les saluions après chaque but et venions les embrasser à la fin de chaque match... Comme on a gagné tous nos matches, les autres équipes commençaient à moins rigoler qu'au début quand on débarquait avec nos tifosi... D’autant qu’ils mettaient les mêmes maillots que nous. À dire vrai nous n’étions plus sept dans l’équipe mais bien une bonne vingtaine dont certains en short jouaient sur le terrain et d’autres en même temps sur les tribunes...
Jusqu’à ce match apothéose, tu parles, une finale de coupe de la zone sud de la banlieue Est, dans un obscur gymnase Robert Trotsky, un 22 décembre...
Pour couronner la saison, nos tifosis préférés se sont amenés tous déguisés en pères et mères Noël... Une fois encore, ils ont fait des merveilles. A nous tous, on a écrasé les adversaires à plates coutures. A la fin du match, c'est à notre place qu'ils sont allés chercher la coupe et les breloques...
Eux ont pris ça très à cœur et certains mêmes pleuraient.
Pour nous éviter, à nous, les larmes déferlantes, nous nous avons concentré notre regard sur le visage un poil crispé de l'officiel fédéral...