Nos amours interdits

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Les journées désormais se ressemblent. Dans un grand bol de bouillie, j’essaye de retrouver le sourire. Ce sourire qui m’a quitté depuis plus de dix nuits, peut-être plus. Je ne sais pas. Je ne savais qu’une chose : j’étais dans le noir, ou alors j’avais les yeux fermés... Peut-être les deux.
Nous sommes tous passés par là. Ou alors nous y passerons tous. A ceux pour qui ce n’est pas encore le cas, ça ne saurait tarder. Ce n’est pas pour vous faire peur, loin de là. Mais je pense qu’on connait ça (ou qu’on devrait connaître) au moins une fois dans sa vie.
Hier, nous n’avions pas de courant, c’était le noir total, dans certaines maisons l’on s’éclaire comme on peut. A la bougie, dans d’autres à la lampe tempête, mieux encore chez certains des ampoules solaires ou des groupes électrogènes. Mais la majorité n’a pas ce dernier privilège on va dire. J’habitais avec mes parents, dans une modeste demeure dans un quartier réputé pour abriter des jeunes aux mœurs légères, aux éducations douteuses et peu recommandables.
Cette nuit-là, mon téléphone à plat, ordinateur hors service, pas de Tv, c’est le noir, une occasion de se retrouver avec soi-même. Un bilan introspectif m’étais imposé. Oui, que vous le vouliez ou non. C’est l’heure du jugement, seul face à l’autre vous, à vos démons, à vos envies aussi noires qu’elles peuvent l’être, à vos amours interdits. Bref c’est vous face à... vous.
Personne ne vous regarde, personne ne vous écoute, il n’y a que vous et vos démons ou alors votre « vous-obscur ». Vous n’avez pas à vous taper le regard accusateur des autres, qui vous jugent, qui veulent donner leurs avis sur tout et pour tout. Pourtant vous ne leur avez rien demandé souvent. J’avoue que j’ai encore beaucoup de mal avec cette manie de donner son avis sur tout.
On repense à ces amours interdits, qui nous étouffent et dont on ne peut en parler à personne. Qu’on garde bien enfouis en nous, avec des mentions « Ne pas ouvrir » à chaque fois. Ces amours qui nous rongent qui nous font tant de bien et de mal en même temps. Oui, ce sont toutes ces controverses que nous aimons, que j’aime avec mon amour interdit. Vous connaissez les êtres humains, jaloux de leur liberté, ils n’aiment pas qu’on leur interdise quelque chose. Vous savez, comme on dit « l’interdit donne de la saveur ».
Tu repenses à un bisou volé, à un « Je t’aime » improbable, un « tu me manques » inattendu, un « je t’appelle tout à l’heure » tu souris bêtement comme un enfant à qui on poserait une question dont il ignore la réponse. Tu te perds dans tes pensées amoureuses, érotiques, sombres, en fonction de l’intensité et de la créativité de ton esprit, tu jouis. Ne me regardez pas comme ça. Vous savez que j’ai raison. Ou pas je peux me tromper mais c’est vrai soyez honnêtes personne ne vous regarde. Nous avons beaucoup de mal à parler de ces choses-là pourtant c’est naturel. J’aime bien l’hypocrisie dont font preuve certaines personnes face à ce sujet. Sourire sec en coin, malaise total, gène... haha moi aussi je passe par là je vous comprends mais tellement.
Je parlais de cet amour-là, qui est tellement fort, doux, innocent, qui ne peut prendre corps que la nuit. Avec de longues discussions jusqu’à pas d’heure avec cette personne qui nous comprend. Qui connait chacun de nos traits, de nos défauts, de nos imperfections mais qui nous aime toujours. Elle écoute chacun de nos silences avec attention, entend chacun de nos cris étouffés, essuie nos larmes, nous donne assez de force.
Nous aimons tous être aimés, vous n’allez pas me dire le contraire. Nous voulons tous être le centre du monde de quelqu’un, nous voulons aussi donner de l’amour d’une manière ou d’une autre à la mesure de notre pouvoir, pas de notre volonté. Nous avons des fantasmes, aussi dangereux les uns que les autres, aussi beaux et uniques, pervers et compliqués.
Deux corps chauds, deux bouches froides, ces deux corps ont envie l’un de l’autre. Le plus important pour chacun ce n’est pas de prendre plaisir mais de donner du plaisir à son amour interdit afin qu’ils se souviennent à chaque fois de ce moment. Ils se caressent, ils s’embrassent, ils s’aiment, tout ceci dans une délicatesse sans pareil. Des mouvements de va-et-vient réguliers rythment leur activité, ils atteignent le point de non-retour et chacun est satisfait. Satisfait d’avoir aimé et d’être aimé. Satisfait d’avoir jouit et d’avoir fait jouir.
Vous voulez savoir ce qui est douloureux dans toute cette envolée amoureuse ? c’est le réveil. Il faut bien vous réveiller, vous ne pouvez pas dormir éternellement sauf si vous êtes morts, vous voudriez bien je sais mais NON, debout !
Le réveil est brutal. La lumière est revenue, le jour s’est levé. Votre réalité vous rattrape, vous vous rendez compte que cet amour n’est pas possible. Vous ne regrettez rien malgré la douleur que vous ressentez. Vous vous en voulez de n’avoir pas pu contrôler la situation. Vous avez mal, vous croyez que vous êtes même malade que non, vous n’êtes pas malade vous êtes en manque de votre amour interdit. Ces sentiments mélangés vous font vous sentir mal, vous avez faim mais pas d’appétit, vous voulez vomir mais pourtant vous n’avez rien mangé. Vous donnez alors raison à Lamartine : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Vous ne pouvez-vous aimer que la nuit, ou cachés loin des regards, loin d’autrui.
J’allais arrêter le texte ici. Mais quelqu’un de têtu dans ma tête me demande comment vous pouvez vous aimer autant et ne pas alors pouvoir être ensemble ? Le paradoxe de la vie. Un ensemble de chose sensé nous rapprocher nous éloigne. La famille, les amis, la religion, la vie elle-même, les traditions... tout ça supposé nous rapprocher nous éloigne et crée des amours impossibles ou interdits c’est selon. Vous devez vivre avec malheureusement sinon vous serez mis en quarantaine pas à cause du vilain virus, mais à cause d’un amour. Vous êtes coupable d’aimer.
A mon amour interdit, aimons-nous la nuit et pleurons le jour !