Il fut un temps où tout territoire où il se rendait était nouveau et merveilleux. Les autochtones étaient toujours ravis de rejoindre la civilisation qu’il représentait, et lui aimait discute... [+]
- Commandant, les civils commencent à trouver le comportement de notre agent suspect. S’il reste plus longtemps, il risque de se mettre en danger et de compromettre la mission.
- Chargez-vous de préparer son extraction, Capitaine. L’agent Lewis doit nous revenir entier pour nous faire son rapport.
*************
Iseul inspira longuement avant de pousser la porte de la petite maison où elle résidait avec Jun. Elle jeta un regard rapide vers le bulbe qui pendait du plafond. Jun l’avait fait installer quelques semaines plus tôt et, depuis, les nuits étaient un peu moins noires. L’électricité était une denrée rare dans le quartier et Iseul savait qu’elle devait ce luxe à Jun.
Son mari – il lui était très difficile de le désigner comme tel, l’emploi du possessif étant fortement désapprouvé – ne prit pas la peine de se retourner pour lui adresser la parole.
« Que faisais-tu encore avec le voisin ? Je t’ai déjà dit de ne pas l’approcher. Il est dangereux pour la communauté ! »
« Je suis désolée, mais il avait besoin d’aide, Jun. Il est nouveau, il vient d’arriver. Et entre voisins, il faut se rendre service ; le Parti nous le répète bien assez souvent. »
Iseul ferma les yeux. Elle avait parlé trop vite, encore une fois. Quand elle avait rencontré Jun, elle n’était qu’une enfant. À cette époque, ses questions embarrassantes et ses petites rébellions n’étaient que le signe d’une éducation inachevée. Elle n’avait plus l’excuse de la jeunesse maintenant.
« Iseul ! Ne parle pas du Parti comme ça ! Si on t’entend... Et qu’est-ce qu’il voulait, le voisin ? Nous n’avons plus de farine ni de riz à lui passer. L’hiver approche. »
« Non, non. Il ne voulait pas de nourriture, juste des informations. Il m’a posé des questions sur notre vie, sur ton métier. Il voulait savoir comment tu avais obtenu ton travail au laboratoire et ce que tu y faisais. Il avait l’air très intéressé par le Parti aussi. J’ai essayé de répondre à ses questions du mieux que je pouvais. »
Lewhi lui avait dit d’autres choses aussi. Des choses qu’elle ne dirait pas à Jun. Il lui avait parlé de là où il habitait avant. D’un petit village au sud de chez eux où le Parti n’avait pas autant d’influence. Un petit village qui lui semblait bien sympathique, où l’on pouvait acheter des mets délicieux à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit – car le couvre-feu n’existait pas – et où tous les foyers, et pas seulement le sien, avaient accès à l’électricité. Lewhi n’aurait jamais dû lui parler de ce village merveilleux. Iseul n’était pas brillante, mais pas idiote non plus : un village comme cela, ça n’existait pas. Pourtant, cette fiction était plus dangereuse que beaucoup de réalités.
Jun plissa les yeux : « Il a posé des questions sur mon métier ? »
Il reprit plus doucement : « Je vais le rencontrer. S’il veut savoir des choses sur moi, qu’il me pose directement les questions. Tu n’as plus besoin d’aller le voir. »
*************
- Commandant, tout est en place ! Nous lui avons fait parvenir la date et le lieu de rendez-vous ainsi que son signe de reconnaissance.
- Alors, allez-y. Commencez l’extraction. Ramenez-le à la civilisation !
*************
« Iseul m’a dit que vous vous posiez des questions sur moi. »
Jun lança un regard rapide autour de lui. Un sentiment de malaise qu’il n’arrivait pas à justifier s’empara de lui. Une table basse surmontée d’une petite photo encadrée en noir et blanc constituait le seul meuble de la pièce. Un morceau de papier soigneusement plié était posé dessus. Jun prit la photo et l’approcha de son visage. On y voyait Lewhi en uniforme officiel, une petite étoile sur le béret. Jun regrettait parfois que son parcours lui ait fait manquer le passage, pourtant obligé, du service militaire. Il sourit en se disant qu’il servait maintenant son pays d’une façon autrement plus utile.
Lewhi reprit la photo des mains de Jun et la remit à sa place sur la petite table. « Oui, vous êtes un modèle pour nous tous. On parle de votre réussite partout. Je suis curieux, naturellement. »
« Je ne dois la réussite qu’à mon pays qui m’a offert l’opportunité de le servir du mieux de mes capacités. Votre curiosité n’a pas lieu d’être. Évitez d’importuner Iseul. »
« Ne vous inquiétez pas. Je ne pense pas l’importuner beaucoup plus longtemps. J’en ai vu assez, de ce côté. Rentrez chez vous, je vous prie. Je dois acheter du riz avant le couvre-feu. »
« De quel côté ? Je ne comprends... »
Jun s’interrompit brusquement ; son regard refit à nouveau le tour de la pièce. Il frissonna. Non, ce n’était pas possible, il devait se tromper. Mais non, Il n’était pas là ! Il devait se rendre à l’évidence la photo du Commandant Suprême manquait !
Lentement, Jun attrapa le morceau de papier posé sur la table et l’ouvrit. Son travail l’avait rendu familier des caractères étrangers, mais il mit un moment à comprendre ce qu’il lisait : « ‘Ne soyez pas si pressé de croire tout ce que l’on vous raconte’ (Lewis Carroll) »
Lewhi s’élança, mais il était trop tard : Jun avait quitté la maison. Jun aperçut deux militaires en retrait à l’ombre du porche voisin. Il courut à leur rencontre en agitant le bout de papier.
*************
- Commandant, nous avons un problème.
- Eh bien, Capitaine. Annoncez la couleur.
- C’est au sujet de l’agent Lewis, Commandant. Nous nous sommes trompés...
- Pardon ?
- Nous avons récupéré un Nord-coréen. Un scientifique en charge du programme nucléaire du Nord. Il s’est précipité sur nos agents avec le signe de reconnaissance de Lewis bien en évidence !
- Chargez-vous de préparer son extraction, Capitaine. L’agent Lewis doit nous revenir entier pour nous faire son rapport.
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Iseul inspira longuement avant de pousser la porte de la petite maison où elle résidait avec Jun. Elle jeta un regard rapide vers le bulbe qui pendait du plafond. Jun l’avait fait installer quelques semaines plus tôt et, depuis, les nuits étaient un peu moins noires. L’électricité était une denrée rare dans le quartier et Iseul savait qu’elle devait ce luxe à Jun.
Son mari – il lui était très difficile de le désigner comme tel, l’emploi du possessif étant fortement désapprouvé – ne prit pas la peine de se retourner pour lui adresser la parole.
« Que faisais-tu encore avec le voisin ? Je t’ai déjà dit de ne pas l’approcher. Il est dangereux pour la communauté ! »
« Je suis désolée, mais il avait besoin d’aide, Jun. Il est nouveau, il vient d’arriver. Et entre voisins, il faut se rendre service ; le Parti nous le répète bien assez souvent. »
Iseul ferma les yeux. Elle avait parlé trop vite, encore une fois. Quand elle avait rencontré Jun, elle n’était qu’une enfant. À cette époque, ses questions embarrassantes et ses petites rébellions n’étaient que le signe d’une éducation inachevée. Elle n’avait plus l’excuse de la jeunesse maintenant.
« Iseul ! Ne parle pas du Parti comme ça ! Si on t’entend... Et qu’est-ce qu’il voulait, le voisin ? Nous n’avons plus de farine ni de riz à lui passer. L’hiver approche. »
« Non, non. Il ne voulait pas de nourriture, juste des informations. Il m’a posé des questions sur notre vie, sur ton métier. Il voulait savoir comment tu avais obtenu ton travail au laboratoire et ce que tu y faisais. Il avait l’air très intéressé par le Parti aussi. J’ai essayé de répondre à ses questions du mieux que je pouvais. »
Lewhi lui avait dit d’autres choses aussi. Des choses qu’elle ne dirait pas à Jun. Il lui avait parlé de là où il habitait avant. D’un petit village au sud de chez eux où le Parti n’avait pas autant d’influence. Un petit village qui lui semblait bien sympathique, où l’on pouvait acheter des mets délicieux à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit – car le couvre-feu n’existait pas – et où tous les foyers, et pas seulement le sien, avaient accès à l’électricité. Lewhi n’aurait jamais dû lui parler de ce village merveilleux. Iseul n’était pas brillante, mais pas idiote non plus : un village comme cela, ça n’existait pas. Pourtant, cette fiction était plus dangereuse que beaucoup de réalités.
Jun plissa les yeux : « Il a posé des questions sur mon métier ? »
Il reprit plus doucement : « Je vais le rencontrer. S’il veut savoir des choses sur moi, qu’il me pose directement les questions. Tu n’as plus besoin d’aller le voir. »
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- Commandant, tout est en place ! Nous lui avons fait parvenir la date et le lieu de rendez-vous ainsi que son signe de reconnaissance.
- Alors, allez-y. Commencez l’extraction. Ramenez-le à la civilisation !
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« Iseul m’a dit que vous vous posiez des questions sur moi. »
Jun lança un regard rapide autour de lui. Un sentiment de malaise qu’il n’arrivait pas à justifier s’empara de lui. Une table basse surmontée d’une petite photo encadrée en noir et blanc constituait le seul meuble de la pièce. Un morceau de papier soigneusement plié était posé dessus. Jun prit la photo et l’approcha de son visage. On y voyait Lewhi en uniforme officiel, une petite étoile sur le béret. Jun regrettait parfois que son parcours lui ait fait manquer le passage, pourtant obligé, du service militaire. Il sourit en se disant qu’il servait maintenant son pays d’une façon autrement plus utile.
Lewhi reprit la photo des mains de Jun et la remit à sa place sur la petite table. « Oui, vous êtes un modèle pour nous tous. On parle de votre réussite partout. Je suis curieux, naturellement. »
« Je ne dois la réussite qu’à mon pays qui m’a offert l’opportunité de le servir du mieux de mes capacités. Votre curiosité n’a pas lieu d’être. Évitez d’importuner Iseul. »
« Ne vous inquiétez pas. Je ne pense pas l’importuner beaucoup plus longtemps. J’en ai vu assez, de ce côté. Rentrez chez vous, je vous prie. Je dois acheter du riz avant le couvre-feu. »
« De quel côté ? Je ne comprends... »
Jun s’interrompit brusquement ; son regard refit à nouveau le tour de la pièce. Il frissonna. Non, ce n’était pas possible, il devait se tromper. Mais non, Il n’était pas là ! Il devait se rendre à l’évidence la photo du Commandant Suprême manquait !
Lentement, Jun attrapa le morceau de papier posé sur la table et l’ouvrit. Son travail l’avait rendu familier des caractères étrangers, mais il mit un moment à comprendre ce qu’il lisait : « ‘Ne soyez pas si pressé de croire tout ce que l’on vous raconte’ (Lewis Carroll) »
Lewhi s’élança, mais il était trop tard : Jun avait quitté la maison. Jun aperçut deux militaires en retrait à l’ombre du porche voisin. Il courut à leur rencontre en agitant le bout de papier.
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- Commandant, nous avons un problème.
- Eh bien, Capitaine. Annoncez la couleur.
- C’est au sujet de l’agent Lewis, Commandant. Nous nous sommes trompés...
- Pardon ?
- Nous avons récupéré un Nord-coréen. Un scientifique en charge du programme nucléaire du Nord. Il s’est précipité sur nos agents avec le signe de reconnaissance de Lewis bien en évidence !