Nani, va t'en!

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux. » Je retournais la pièce de fond en comble, cependant, il n'y a plus âme qui vive. Finalement elle était partie, elle n'en pouvait plus! Le cœur lourd, elle revoyait les images de cette enfant. Elle était belle même si elle n'y croyait pas, elle était douée même si elle ne voulait rien entendre, elle était par dessus tout intelligente même si elle n'y croyait guère. Elle avait du potentiel, Nani! La confiance c'est ce qui lui manquait et son entourage y était pour quelque chose. Ce manque on le ressentait à des kilomètres. Elle marchait les yeux fixés sur ses pieds qu'elle détestait encore plus - elle les trouvait hideux, à son image; mais c'était la seule façon pour elle de ne pas croiser les regards lourds de reproches des personnes qu'elle croisait sur son chemin, ces regards qui semblaient dire « disparait, démon », « pourquoi t'es venue au monde? » C'était cette dernière phrase qu'elle lisait le plus sur les regards. Cette phrase que sa mère lui avait craché durant toute son enfance, le regard fou, les yeux menaçant de sortir de leur orbite, contenant toute cette haine qu'elle avait essayé de camoufler depuis sa naissance. Et c'était cette phrase qui la hantait nuit et jour! Elle l'entendait à chaque coin de rue, elle la menaçait, elle la poursuivait, la chassait et avait fini par l'emprisonner dans un étau où finalement elle avait fini par sombrer. Elle refusait d'aller à l'école de peur d'être montré du doigt, alors elle restait à la maison, pourchassant dans le jardin des papillons, ses seuls vrais amis. Elle aimait les oiseaux, leurs cris. Elle les trouvait libre, heureux et cette joie de vivre elle le sentait. Ainsi, elle se mettait à rigoler, c'était d'ailleurs les seuls moments où on la voyait comme ça avant que sa mère ne lui remette les pieds sur terre. Ainsi, elle se taisait, se tairait dans la cave là où la solitude, l'obscurité ses compagnons de toujours, lui tendaient le bras dans une étreinte salvatrice; elle se laissait aller. Elle pleurait, hoquetait jusqu'à ce que Morphée vienne la prendre pour la délivrer. Elle rêvait alors. Elle rêvait d'un monde meilleur, un monde où elle serait accepté surtout par sa mère, un monde où elle aurait beaucoup d'amis, de vrais enfants de son âge qui ne la dévisagerait pas, qui ne l'insulteraient pas ou ne serait tenté de la bousculer comme le faisait ses camarades de classe d'antan. Oh, oui, Nani avait arrêté d'aller à l'école et c'était tant mieux pour sa mère qui n'en pouvait plus d'aller prendre une enfant comme elle. Elle en avait honte et ne supportait plus le regard de certains parents qui eux avaient des enfants normaux.
Le réveil était toujours brutal, elle devait revenir à la réalité. C'était elle qui devait, faire la vaisselle, balayer, nettoyer, alimenter la cheminée en bois et c'était pas pour la déplaire. La nature était son refuge. Elle y était dans son élément. Elle détestait celle qui l'avait mise au monde. Elle la détestait encore plus lorsqu'elle la forçait à se regarder dans un miroir, tout en ne manquant pas de lui dire des horreurs. Elle la suppliait, elle criait, elle se griffait, mais sa mère ne cédait pas. Elle n'aimait pas se regarder, c'était au dessus de ses forces et ça, sa mère en était consciente et c'était sa façon à elle de la punir.
A noël, elle espérait comme tout enfant d'avoir son cadeau qui ne venait jamais, l'espoir fait vivre dit-on. A pâques, elle voyait des enfants s'impliquer dans la recherche de ces œufs dont elle n'avait jamais eu l'occasion de voir. A quoi ça ressemblait d'ailleurs? Elle ne savait pas. Sa mère emmenait parfois des hommes à la maison. Dans ce cas, elle lui demandait de rester dans sa chambre pour ne pas faire fuir ses "invités de marques" sous peine de recevoir des fessées. Prise d'une envie pressante, un jour, elle se risqua de pointer son nez au salon. L'homme se mit à rire à la vue de Nani. « C'est quoi ça ? » Il pointait Nani du doigt en pouffant de rire. Sa mère était honteuse et toute rouge. Elle devait vite trouver une réponse qui ne fut pas difficile à trouver. « C'est Nani, la fille de mon voisin, je la garde le temps qu'il revienne. » C'était, tout ce que cette femme trouvait à dire. Elle était effrayée. Aidée de sa mère, les deux se sont payés sa tête pendant des minutes qui lui parurent une éternité, la pauvre! Elle en était toute retournée, toute honteuse. Elle se détestait encore plus alors. Elle commençait à manifester des envies de suicide mais se retint de le faire. A quoi bon? Qui mettra des fleurs sur sa tombe? Elle serait cet oiseau, ce papillon, qui dit-on une fois que la mort vienne les frapper, se transformeront en poussière. Quel triste sort ce sera!

Nani était par dessus tout curieuse. Un jour, elle avait lu à tâtons un vieux livre qu'elle avait trouvé dans la cave. Il s'intitulait l'amour a un senteur. Elle avait cueilli des roses rouges, blancs, oranges, jaunes, des tulipes, des iris, enfin tout ce qui ressemblait aux fleurs qui illustraient cette page dédiée à l'amour maternel; pour faire du parfum pour sa mère. Elle avait suivi la recette à la lettre. Elle espérait que cette dernière la prenne dans ses bras et lui déclare son amour pour elle. Il n'était pas question qu'elle échoue, elle avait toutes les cartes en main...enfin toutes les fleurs en main. Elle avait mit le parfum sur la table de chevet de sa mère, accompagné d'un mot simple, maladroit mais qui voulait traduire tout son manque ainsi que toute son envie "aime-moi maman". Elle fermait cette nuit les yeux, toute souriante. Elle avait hâte que le jour suivant arrive avec l'amour qu'elle espère, qu'elle quémande presque. Hélas! Le lendemain, elle se levait confiante et découvrit la mort dans l'âme son parfum qu'elle avait préparé avec amour et sa carte qu'elle avait griffonné avec espoir disparaitre dans la poubelle avec les restes du repas d'hier. Elle n'avait pas réussi. Dans sa tête d'enfant, elle se consolait en se disant que le parfum ne sentait pas bon ou que ce sont ces écritures qui n'étaient pas au goût de maman. Cet amour qu'elle entrevoyait était lointain. Certes elle n'était qu'une enfant mais elle se disait que seul l'amour de sa mère lui aurait suffi pour faire face à tout, pratiquement tout.
A l'âge de douze ans, Nani était comme une carpe, elle parlait à peine. Comme tout enfant de son âge, elle avait des rêves mais à quoi bon rêver si elles ne deviendront jamais réalité? Toutefois, elle se voyait avocate défendant tous les enfants comme elle devant le reste du monde. Comment réaliser un tel rêve si elle ne sait pas bien lire. En effet, Nani ne lisait pas, elle bafouillait comme un enfant qui apprenait pour la première fois à parler. Pourquoi sa mère ne la laissait-elle pas aller à l'école comme les autres enfants? Elle lui en voulait terriblement. Elle en voulait à tout le monde. A ces enfants qui la persécutaient, qui lui montraient qu'elle était différente. Elle était arrivée à un stade où elle ne supportait plus d'être traitée de la sorte. Elle devait partir, mais où? Dans un monde où elle serait acceptée! Mais oui, ce monde doit exister. Elle se mit alors à écrire une lettre, la deuxième et la dernière à cette femme, à sa génitrice. « Je m'en vais là où je serais aimée, je ne t'en veux pas. C'est pas facile pour toi d'accepter que je sois nait différente des autres. Si seulement c'était à moi de me façonner, je me serai faite de sorte qu'on m'accepte, que toi tu m'acceptes. Je serai pas une personne de petite taille, une naine! » La lettre était tachetée de sang, celui d'une pauvre enfant rejetée et qui a fini par trouver refuge dans la mort. Cette femme s'en voulait terriblement, mais c'était trop tard! Pourtant, le seul crime de Nani était de naitre avec le nanisme. Est-ce un crime que d'être différent?