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Mythologies
- Salut ma couz.
- Bonjour... cousine, marmonna une forme alanguie sur un canapé vert. Les bras exsangues ne se tendirent pas. Le visage émacié reflétait une indicible tristesse sous la broussaille de cheveux qu’aucun peigne n’avait osé diviser depuis des jours, et les grandes prunelles aux reflets encore enfantins erraient vers d’invisibles horizons. La prescience de la mort se devinait chez la jeune fille.
Elle relevait d’une longue maladie qui avait ébranlé sa frêle constitution, avait expliqué la mère, et l’école était à proscrire pour l’instant. "Foutaises", commentait la tante, "elle n’est quand même pas en sucre filé, leur fille ! Et la mienne qui réclame tout le temps après sa cousine, je me demande si j’ai raison de la laisser y aller. Vous verrez qu’un jour elle nous reviendra aussi cinglée que cette mijaurée ! « La petite, sept ans au plus , tresses blondes et tablier propret, détaillait un tableau situé au-dessus du canapé. La signature était toute passée, L.C., un peintre seurrois, lui avait-on dit. Des roseaux s’ agitaient dans l’air brumeux d’un soir mauve encore assombri par la grisaille de la pièce, mais quand on allumait – elle pressa le commutateur – tout s’éclairait, le brouillard se dissipait et le ciel peint s’embrasait. - Elle éteignit -soir. Elle ralluma -soleil couchant. Soir. Sol...
- Dis-moi, c’est tout ce que tu as trouvé comme occupation ? Ignores-tu qu’en troublant la pénombre tu disperses les esprits qui s’y abreuvaient tranquillement ? Tu n’as guère d’imagination, cousine.
- Non, ce n’est pas tout ce que j’ai trouvé, répliqua la blondinette piquée à vif. Je suis venue te chercher pour t’emmener autour de la Saône, et je vais t’annoncer quelque chose que tu ne sais pas : c’est plein d’eau débordée partout. Tu viens ?
- Cela ne me dit rien.
- Pourquoi ? Il y a sûrement des poissons et des herbes flottantes et des noyés...On fera croire qu’il y a des noyés, corrigea-t-elle, et puis on pourra jouer aux sirènes.
- Pas question. D’abord, maman m’a fait promettre de ne point sortir ; mais ce n’est pas la seule raison, en fait...j’ ai de graves problèmes à résoudre...J’ai besoin de rester seule en moi-même afin de réfléchir. De toutes façon je perds mon temps à essayer de t'expliquer : tu ne possèdes pas mon intelligence, forcément.
- Et pourquoi je ne comprendrais pas, Mademoiselle ?
- Parce que tu es trop bébé.
La réplique avait fusé comme une gifle. Le silence retomba, enveloppa la penseuse et la petite se tut , maussade. Elle l’admirait, pourtant, cette cousine si savante, cette aînée qui l’écrasait de toute la supériorité de ses quatorze ans et qui contait, malgré tout, de si belles histoires. Il y avait eu la Mythologie : Zeus, Io et la déesse Satina, personnages qui avaient tant fasciné la petite, mais aujourd’hui, cette méchante...
Il y avait eu encore, avant la maladie, ce jeu passionnant des lombrics.
- Un ver de terre !
- Cette fois, c’est moi le docteur, mon nom est Esculape, avait déclaré l’aînée. Il faut dispenser des suppositoires à notre patient...Cours me chercher des cailloux menus, tout menus.
Oh-oh, je diagnostique une occlusion intestinale. C’est grave, opérons d’urgence...anesthésie ...Attention, maintenant je tranche !
Deux segments de vers se tortillaient...
-Dis, tu viens ? On pourra jouer au docteur des vers de terre, comme avant.
- Quelle horreur ! Non, je reste, c’est décidé. Vas-y seule autour de ta Saône et laisse moi me reposer.
................
Par-delà les toits moussus, par delà les fenils et les hangars à bois s’étendait la grève asphyxiée. Il avait plu sur la région seurroise et la Saône, échappée de son lit, humidifiait le sable, léchait les galets . Une fillette aux nattes blondes et au tablier taché de boue comptait les flaques et voilà qu’un petit poisson au ventre étincelant flottait dans l’une d’elles. Non loin de là, émergeant de la brume, était juché sur un tabouret un homme aux tempes argentées.
- Bonjour, Monsieur, dit poliment la fillette, vous surveillez la rivière ?
- « A question stupide, stupide engeance " , répondit l’homme aquatique d’une voix caverneuse. " Elles passent leur temps à m’emm...J’appâte et je ferre comme tout le monde, mais c’est qu’elles s’accrochent, les saletés ! Même celles chez qui y avait rien à jeter finissent par me débecqueter."
Il parlait de dames poissons, sûrement, mais ce n’était pas un pêcheur comme les autres parce qu’il disait rejeter ses prises et, fait extraordinaire, paraissait comprendre leur langage. Peut-être s’agissait-il de sirènes ? Le roi des poissons et des sirènes...Comment s’appelait-il, déjà ?
-Je vous connais, vous êtes... ( Elle cherchait en vain dans ses souvenirs ).
- Petite fille, continua-t-il car il n’avait jamais cessé de parler, je vais pas te dire que toi tu me plais mais j’en pense pas moins. D’abord t’as une jolie peau fraîche et tu sens pas la vieille bique. J’ai envie de te cajoler parce que tu es si mignonne... C’en est une comme toi qu’il me faudrait... Une petite qui voudrait bien...J’ai essayé quatre ou cinq fois mais elles ont pris peur et ça n’a pas marché.
Le dieu posa sur elle des yeux brillant d’espoir.
- Je sais ! Vous êtes Posédon, s’écria-t-elle, heureuse de son savoir tout neuf.
- Je me trompais, dit doucement le dieu, tu es encore trop petite et ça finirait comme avec les autres : tes cris rameuteraient le populo.
Elle ne comprenait pas ; le dieu parlait comme sa cousine, en code secret. Il aurait mieux fait de lui montrer des sirènes.
- Un ver de terre ! s’écria-t-elle, vous allez l’opérer ?
Il ne répondit pas mais saisit le lombric entre le pouce et l’index et le broya lentement.
- Vous ressemblez à ma cousine qui a bientôt quinze ans, elle fait presque pareil. Mais en ce moment elle est pas drôle du tout, elle veut plus s’amuser. Qu’est-ce-qu’elle doit s’ennuyer toute seule dans la grande maison ! Avant, ma cousine, elle me racontait de belles histoires et elle me parlait souvent de vous, Monsieur.
- Où sont donc ses parents, à cette demoiselle ?
- ‘ Sais pas. Ils travaillent en ville.
-Ah, tu m’en diras tant ! Et elle en profite pour faire la java avec ses petits copains ?
La fillette tapa du pied.
-Puisque je vous dis qu’elle est toute seule ! Elle va pas en classe et elle a pas de voisins ! Elle habite une maison en plein milieu des prés.
- Bon, on y va ?
-Suivez-moi, Monsieur Posédon.
...............
Dans le brouillard qui s’épaississait, ils passèrent devant les fenils, les toits moussus et l’église. Le dieu racla ses pieds empreints de limon sur le paillasson et pénétra dans la pièce. Il caressa avec insistance une statuette de marbre. La petite s’inquiéta : et si elle s’était trompée de dieu ? N’était-ce pas plutôt Ermesse, le vandale dont on lui avait dit tant de mal ? Et voilà qu’il volait vers sa cousine endormie. D’un bond il fut près d’elle, sur le canapé ; elle respirait du souffle léger des bienheureux. Le dieu s’immobilisa et se passa une main sur le front pour en chasser la sueur, comme l’aurait fait cet Efastos qui travaillait dans les forges. Les yeux étincelants, il desserra son col. Alors ? Posédon ? Ermesse ? Efastos ? Qui était-il ? Et soudain le jour se fit en elle tandis que sa cousine s’éveillait lentement et souriait aux nues, les prunelles encore embuées de rêves. Il n’était aucun de ces dieux, elle s’était trompée, mais il avait su prendre l’apparence de chacun d’eux car il était leur maître à tous : Zeus ! Et elle se souvient avec effroi qu’il avait aussi le pouvoir de détruire ceux qui avaient l’audace de le regarder. Vite ! qu’elle parte avant qu’il ne se décide à l’anéantir ! Vite,elle tourna les talons et prestement se glissa hors de la maison sans oublier de refermer posément la porte derrière elle.
- Bonjour... cousine, marmonna une forme alanguie sur un canapé vert. Les bras exsangues ne se tendirent pas. Le visage émacié reflétait une indicible tristesse sous la broussaille de cheveux qu’aucun peigne n’avait osé diviser depuis des jours, et les grandes prunelles aux reflets encore enfantins erraient vers d’invisibles horizons. La prescience de la mort se devinait chez la jeune fille.
Elle relevait d’une longue maladie qui avait ébranlé sa frêle constitution, avait expliqué la mère, et l’école était à proscrire pour l’instant. "Foutaises", commentait la tante, "elle n’est quand même pas en sucre filé, leur fille ! Et la mienne qui réclame tout le temps après sa cousine, je me demande si j’ai raison de la laisser y aller. Vous verrez qu’un jour elle nous reviendra aussi cinglée que cette mijaurée ! « La petite, sept ans au plus , tresses blondes et tablier propret, détaillait un tableau situé au-dessus du canapé. La signature était toute passée, L.C., un peintre seurrois, lui avait-on dit. Des roseaux s’ agitaient dans l’air brumeux d’un soir mauve encore assombri par la grisaille de la pièce, mais quand on allumait – elle pressa le commutateur – tout s’éclairait, le brouillard se dissipait et le ciel peint s’embrasait. - Elle éteignit -soir. Elle ralluma -soleil couchant. Soir. Sol...
- Dis-moi, c’est tout ce que tu as trouvé comme occupation ? Ignores-tu qu’en troublant la pénombre tu disperses les esprits qui s’y abreuvaient tranquillement ? Tu n’as guère d’imagination, cousine.
- Non, ce n’est pas tout ce que j’ai trouvé, répliqua la blondinette piquée à vif. Je suis venue te chercher pour t’emmener autour de la Saône, et je vais t’annoncer quelque chose que tu ne sais pas : c’est plein d’eau débordée partout. Tu viens ?
- Cela ne me dit rien.
- Pourquoi ? Il y a sûrement des poissons et des herbes flottantes et des noyés...On fera croire qu’il y a des noyés, corrigea-t-elle, et puis on pourra jouer aux sirènes.
- Pas question. D’abord, maman m’a fait promettre de ne point sortir ; mais ce n’est pas la seule raison, en fait...j’ ai de graves problèmes à résoudre...J’ai besoin de rester seule en moi-même afin de réfléchir. De toutes façon je perds mon temps à essayer de t'expliquer : tu ne possèdes pas mon intelligence, forcément.
- Et pourquoi je ne comprendrais pas, Mademoiselle ?
- Parce que tu es trop bébé.
La réplique avait fusé comme une gifle. Le silence retomba, enveloppa la penseuse et la petite se tut , maussade. Elle l’admirait, pourtant, cette cousine si savante, cette aînée qui l’écrasait de toute la supériorité de ses quatorze ans et qui contait, malgré tout, de si belles histoires. Il y avait eu la Mythologie : Zeus, Io et la déesse Satina, personnages qui avaient tant fasciné la petite, mais aujourd’hui, cette méchante...
Il y avait eu encore, avant la maladie, ce jeu passionnant des lombrics.
- Un ver de terre !
- Cette fois, c’est moi le docteur, mon nom est Esculape, avait déclaré l’aînée. Il faut dispenser des suppositoires à notre patient...Cours me chercher des cailloux menus, tout menus.
Oh-oh, je diagnostique une occlusion intestinale. C’est grave, opérons d’urgence...anesthésie ...Attention, maintenant je tranche !
Deux segments de vers se tortillaient...
-Dis, tu viens ? On pourra jouer au docteur des vers de terre, comme avant.
- Quelle horreur ! Non, je reste, c’est décidé. Vas-y seule autour de ta Saône et laisse moi me reposer.
................
Par-delà les toits moussus, par delà les fenils et les hangars à bois s’étendait la grève asphyxiée. Il avait plu sur la région seurroise et la Saône, échappée de son lit, humidifiait le sable, léchait les galets . Une fillette aux nattes blondes et au tablier taché de boue comptait les flaques et voilà qu’un petit poisson au ventre étincelant flottait dans l’une d’elles. Non loin de là, émergeant de la brume, était juché sur un tabouret un homme aux tempes argentées.
- Bonjour, Monsieur, dit poliment la fillette, vous surveillez la rivière ?
- « A question stupide, stupide engeance " , répondit l’homme aquatique d’une voix caverneuse. " Elles passent leur temps à m’emm...J’appâte et je ferre comme tout le monde, mais c’est qu’elles s’accrochent, les saletés ! Même celles chez qui y avait rien à jeter finissent par me débecqueter."
Il parlait de dames poissons, sûrement, mais ce n’était pas un pêcheur comme les autres parce qu’il disait rejeter ses prises et, fait extraordinaire, paraissait comprendre leur langage. Peut-être s’agissait-il de sirènes ? Le roi des poissons et des sirènes...Comment s’appelait-il, déjà ?
-Je vous connais, vous êtes... ( Elle cherchait en vain dans ses souvenirs ).
- Petite fille, continua-t-il car il n’avait jamais cessé de parler, je vais pas te dire que toi tu me plais mais j’en pense pas moins. D’abord t’as une jolie peau fraîche et tu sens pas la vieille bique. J’ai envie de te cajoler parce que tu es si mignonne... C’en est une comme toi qu’il me faudrait... Une petite qui voudrait bien...J’ai essayé quatre ou cinq fois mais elles ont pris peur et ça n’a pas marché.
Le dieu posa sur elle des yeux brillant d’espoir.
- Je sais ! Vous êtes Posédon, s’écria-t-elle, heureuse de son savoir tout neuf.
- Je me trompais, dit doucement le dieu, tu es encore trop petite et ça finirait comme avec les autres : tes cris rameuteraient le populo.
Elle ne comprenait pas ; le dieu parlait comme sa cousine, en code secret. Il aurait mieux fait de lui montrer des sirènes.
- Un ver de terre ! s’écria-t-elle, vous allez l’opérer ?
Il ne répondit pas mais saisit le lombric entre le pouce et l’index et le broya lentement.
- Vous ressemblez à ma cousine qui a bientôt quinze ans, elle fait presque pareil. Mais en ce moment elle est pas drôle du tout, elle veut plus s’amuser. Qu’est-ce-qu’elle doit s’ennuyer toute seule dans la grande maison ! Avant, ma cousine, elle me racontait de belles histoires et elle me parlait souvent de vous, Monsieur.
- Où sont donc ses parents, à cette demoiselle ?
- ‘ Sais pas. Ils travaillent en ville.
-Ah, tu m’en diras tant ! Et elle en profite pour faire la java avec ses petits copains ?
La fillette tapa du pied.
-Puisque je vous dis qu’elle est toute seule ! Elle va pas en classe et elle a pas de voisins ! Elle habite une maison en plein milieu des prés.
- Bon, on y va ?
-Suivez-moi, Monsieur Posédon.
...............
Dans le brouillard qui s’épaississait, ils passèrent devant les fenils, les toits moussus et l’église. Le dieu racla ses pieds empreints de limon sur le paillasson et pénétra dans la pièce. Il caressa avec insistance une statuette de marbre. La petite s’inquiéta : et si elle s’était trompée de dieu ? N’était-ce pas plutôt Ermesse, le vandale dont on lui avait dit tant de mal ? Et voilà qu’il volait vers sa cousine endormie. D’un bond il fut près d’elle, sur le canapé ; elle respirait du souffle léger des bienheureux. Le dieu s’immobilisa et se passa une main sur le front pour en chasser la sueur, comme l’aurait fait cet Efastos qui travaillait dans les forges. Les yeux étincelants, il desserra son col. Alors ? Posédon ? Ermesse ? Efastos ? Qui était-il ? Et soudain le jour se fit en elle tandis que sa cousine s’éveillait lentement et souriait aux nues, les prunelles encore embuées de rêves. Il n’était aucun de ces dieux, elle s’était trompée, mais il avait su prendre l’apparence de chacun d’eux car il était leur maître à tous : Zeus ! Et elle se souvient avec effroi qu’il avait aussi le pouvoir de détruire ceux qui avaient l’audace de le regarder. Vite ! qu’elle parte avant qu’il ne se décide à l’anéantir ! Vite,elle tourna les talons et prestement se glissa hors de la maison sans oublier de refermer posément la porte derrière elle.
Un petit mot pour l'auteur ?
Bienséance et bienveillance pour mot d'encouragement, avis avisé, ou critique fine. Lisez la charte !97 commentaires
bref du grand art. mon vote, dommage j'arrive trop tard -tout nouveau sur short, une semaine!- et re dommage que vous n'en ayez pas en compét pour l'automne je mettais le plein de voix! peut-être pour l'hiver?
dès que possible j'en lis d'autres de vous, bonne route même escarpée vous avez le talent de "base", l'essentiel...
si vous voulez, et sans vouloir vendre ma vénéneuse soupe de sorcière aromatisé à l'amanite tue-mouches, alcaloïde bien connu des chamans, j'ai des textes , notamment deux en ttcourts, "le jardin des délices" et "la plage". ils pourraient vous charmer, sans être présomptueux ni venimeux, je le croix d’abois, crois de fer d'enfer...!
sinon en bd, vous avez vu des géants, Bertrand, Marcile rincedalle, kinos, pagos... du très fort - je ne les connais pas eux-
bon bref!, "j'dis ça, j'dis rien" vous verrez bien vous même, j'suis "bête"!
Il y a, dans cette finale, des textes de moins bonne qualité, mais le système de votes est ce qu'il est et cela fait partie du jeu... Ce système est un bon système parce qu'il récompense les gens qui votent et font des commentaires sur les textes mais il a aussi un effet pervers : il ne reflète pas réellement les goûts du public.
Je vous invite donc à venir prolonger le plaisir en participant à la "sélection du public" du Festival Off, sur le forum : http://short-edition.com/fr/forum/la-fabrique/imaginarius-2017-le-festival-off
Que la fête continue et longue vie au prix Imaginarius !
Merci !
Les jours de pluie ou elles s'amusaient à ramasser les lombrics, les mettre en ligne pour quils fassent la course, puis le perdant etait coupé en deux...
C'est cruel des gamines, aussi cruel qu'un pêcheur...
Bravo Sylvie pour votre texte riche en image et au sens si dramatique.
Apprécierez-vous "Un scoop" sur la lande bretonne embrumée ?
Un texte original.