— Neuf mois, Sara, c’est le terme ! Est-ce qu’on va devoir aller le chercher ?
Sara, couverte de son voile indigo, caressant son nombril rond et lisse comme un bourgeon, écoutait... [+]
Merci Grand-Père !
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En compétition

Combien de temps Lynda pourra-t-elle tenir, ainsi accrochée entre ciel et terre ? Au-dessus, une paroi rocheuse grise et menaçante, impossible à escalader compte tenu de son niveau technique. En dessous, les gros rochers qu’elle a eu des difficultés à franchir. Et tout autour, le vide... pour ce qu’elle en voit, car elle évite de laisser traîner son regard autour d’elle. Trop anxiogène. Elle concentre son esprit sur ses pieds posés sur une étroite corniche, ses pieds qui la soutiennent, sur lesquels elle sait pouvoir compter. Elle porte de bonnes chaussures et la roche calcaire accroche bien. Avoir confiance. Ne pas lâcher prise. Ne pas laisser l’angoisse l’envahir. Oui, mais combien de temps va-t-elle pouvoir tenir ainsi ?
Son esprit s’évade : comment a-t-elle pu en arriver là, elle qui a toujours été sujette au vertige et à la peur du vide ? C’est qu’elle aime randonner. Elle, la citadine, a découvert que marcher dans la nature la ressourçait, chassait les soucis de sa tête. Alors elle a voulu apprivoiser cette peur irraisonnée du vide qui l’oppressait au cours de certaines randonnées, en prenant des cours d’escalade : d’abord en salle, puis en extérieur avec le professeur, en groupe, bien assurée, profitant des conseils prodigués par les plus anciens. Et elle s’est prise au jeu. Cette fois, elle est partie seule pour ce qui devait n’être qu’une petite balade, avec juste quelques blocs à escalader, un simple exercice. Elle s’est sûrement trompé de chemin, s’est laissé emporter par le plaisir de la marche et de la grimpe.
Pourquoi pense-t-elle à tout cela ? Son seul objectif devrait être de savoir comment se sortir de ce mauvais pas et trouver le moyen de redescendre.
Après avoir respiré profondément, elle regarde vers le bas, avec précaution. Comprend vite qu’elle ne pourra pas désescalader ce passage. Pour monter, ça passe toujours, on pose ses pieds là où il faut, les doigts bien ancrés dans un creux de rocher ou sur une aspérité, on tire fort sur ses bras, et hop, un petit rétablissement à la force des mollets et des cuisses, et le tour est joué ! Mais la descente... c’est une autre histoire. Le désespoir l’envahit. Des crampes dans les jambes, ses mollets qui se mettent à trembler, le temps presse...
C’est à ce moment que l’image de son grand-père apparaît dans son esprit : un homme qui en imposait, autoritaire, dur avec lui-même comme avec les autres, qui l’avait souvent tancée, lorsqu’enfant, elle pleurnichait ou se plaignait : « Réagis, ne te laisse pas aller », lui disait-il en brandissant sa canne vers elle ! Exactement ce qu’elle est en train de se répéter... Je ne dois pas me laisser aller, je dois réagir !
Grand-Père se vantait même d’avoir quelquefois subi des coups de ceinturons de son propre père : « Ça vous formait un homme, on n’était pas des mauviettes après ça, et quand mon père m’avait bien corrigé, il remettait sa ceinture, comme si de rien n’était ! » Une époque heureusement révolue, avait toujours songé Lynda, horrifiée par de tels châtiments corporels !
La ceinture ! La ceinture qu’elle porte autour de son jean, c’est la solution ! Lynda a aperçu à côté de son pied gauche un petit tronc tordu, enraciné dans une étroite fissure de rocher. Son esprit fonctionne soudain à plein régime, l’instinct de survie probablement. Elle voit ce qu’elle doit faire et exécuter avec précision, comme si Grand-Père était à côté d’elle et que c’était lui qui donnait des ordres. D’abord, retirer sa ceinture, doucement, en continuant à s’assurer d’une main sur la saillie rocheuse à laquelle elle s’accroche depuis plusieurs minutes. S’accroupir, toujours très lentement, en ayant pris soin de bien caler ses pieds sur la petite vire rocheuse. Passer la ceinture autour du petit arbre, la reboucler, surtout ne pas la lâcher, respirer calmement...
Elle agrippe le tronc, passe son poignet dans la ceinture. « Maintenant », dit Grand-Père, « il va falloir être rapide et précise. Tu vois sur ta gauche, plus bas, une roche qui dépasse : tu vas devoir y descendre en t’assurant avec la ceinture, pas le temps de prendre ton temps, mais pas de précipitation excessive ni de panique non plus. » Grand-Père, pense-t-elle, on voit bien que tu ne sais pas ce qu’est une vraie « assurance » !
Elle repère bien l’endroit où elle va devoir quasiment sauter, une prise où elle placera sa main gauche tandis que la droite tiendra la ceinture. Elle respire encore, se concentre totalement sur les gestes à effectuer, sans possibilité de les rater. Un, deux... et trois... Au moment où elle va sauter, un cri en dessous d’elle :
— Arrête !
Mais elle a déjà entamé son mouvement et réussit à atterrir assez souplement sur la roche qu’elle visait. Elle n’a pas lâché la ceinture qui l’a aidée à se stabiliser, le petit arbre tordu, ô miracle, n’a pas cédé. Son cœur bat à tout rompre et une grosse douleur lui scie le genou droit qui a heurté la paroi.
Un regard vers le bas : un escaladeur, bardé de cordes, mousquetons et autres dégaines, l’a aperçue en mauvaise posture et vient à sa rencontre.
— Ne bouge pas, je vais t’aider.
Il était temps. La douleur, l’angoisse qu’elle vient de vivre, l’intensité de l’effort qu’elle a fourni, lui ôtent tous ses moyens. La suite, elle n’en garde qu’un souvenir vague. Elle ne sait plus comment le jeune homme a réussi à se hisser sur un rocher pour l’atteindre, elle se souvient qu’il lui a parlé calmement et l’a conseillée pour désescalader les deux ou trois mètres qui lui restaient à descendre, elle se souvient aussi du moment où ses mains fermes l’ont soutenue alors qu’elle perdait connaissance.
Plus tard, assise à l’ombre des pins, elle masse son genou et grignote quelques friandises que son sauveur lui a données.
— Comment tu as eu l’idée d’utiliser ta ceinture pour t’aider ? lui demande-t-il d’un air goguenard.
Réponse dans un fou-rire nerveux :
— C’est à cause de Grand-Père !
Son esprit s’évade : comment a-t-elle pu en arriver là, elle qui a toujours été sujette au vertige et à la peur du vide ? C’est qu’elle aime randonner. Elle, la citadine, a découvert que marcher dans la nature la ressourçait, chassait les soucis de sa tête. Alors elle a voulu apprivoiser cette peur irraisonnée du vide qui l’oppressait au cours de certaines randonnées, en prenant des cours d’escalade : d’abord en salle, puis en extérieur avec le professeur, en groupe, bien assurée, profitant des conseils prodigués par les plus anciens. Et elle s’est prise au jeu. Cette fois, elle est partie seule pour ce qui devait n’être qu’une petite balade, avec juste quelques blocs à escalader, un simple exercice. Elle s’est sûrement trompé de chemin, s’est laissé emporter par le plaisir de la marche et de la grimpe.
Pourquoi pense-t-elle à tout cela ? Son seul objectif devrait être de savoir comment se sortir de ce mauvais pas et trouver le moyen de redescendre.
Après avoir respiré profondément, elle regarde vers le bas, avec précaution. Comprend vite qu’elle ne pourra pas désescalader ce passage. Pour monter, ça passe toujours, on pose ses pieds là où il faut, les doigts bien ancrés dans un creux de rocher ou sur une aspérité, on tire fort sur ses bras, et hop, un petit rétablissement à la force des mollets et des cuisses, et le tour est joué ! Mais la descente... c’est une autre histoire. Le désespoir l’envahit. Des crampes dans les jambes, ses mollets qui se mettent à trembler, le temps presse...
C’est à ce moment que l’image de son grand-père apparaît dans son esprit : un homme qui en imposait, autoritaire, dur avec lui-même comme avec les autres, qui l’avait souvent tancée, lorsqu’enfant, elle pleurnichait ou se plaignait : « Réagis, ne te laisse pas aller », lui disait-il en brandissant sa canne vers elle ! Exactement ce qu’elle est en train de se répéter... Je ne dois pas me laisser aller, je dois réagir !
Grand-Père se vantait même d’avoir quelquefois subi des coups de ceinturons de son propre père : « Ça vous formait un homme, on n’était pas des mauviettes après ça, et quand mon père m’avait bien corrigé, il remettait sa ceinture, comme si de rien n’était ! » Une époque heureusement révolue, avait toujours songé Lynda, horrifiée par de tels châtiments corporels !
La ceinture ! La ceinture qu’elle porte autour de son jean, c’est la solution ! Lynda a aperçu à côté de son pied gauche un petit tronc tordu, enraciné dans une étroite fissure de rocher. Son esprit fonctionne soudain à plein régime, l’instinct de survie probablement. Elle voit ce qu’elle doit faire et exécuter avec précision, comme si Grand-Père était à côté d’elle et que c’était lui qui donnait des ordres. D’abord, retirer sa ceinture, doucement, en continuant à s’assurer d’une main sur la saillie rocheuse à laquelle elle s’accroche depuis plusieurs minutes. S’accroupir, toujours très lentement, en ayant pris soin de bien caler ses pieds sur la petite vire rocheuse. Passer la ceinture autour du petit arbre, la reboucler, surtout ne pas la lâcher, respirer calmement...
Elle agrippe le tronc, passe son poignet dans la ceinture. « Maintenant », dit Grand-Père, « il va falloir être rapide et précise. Tu vois sur ta gauche, plus bas, une roche qui dépasse : tu vas devoir y descendre en t’assurant avec la ceinture, pas le temps de prendre ton temps, mais pas de précipitation excessive ni de panique non plus. » Grand-Père, pense-t-elle, on voit bien que tu ne sais pas ce qu’est une vraie « assurance » !
Elle repère bien l’endroit où elle va devoir quasiment sauter, une prise où elle placera sa main gauche tandis que la droite tiendra la ceinture. Elle respire encore, se concentre totalement sur les gestes à effectuer, sans possibilité de les rater. Un, deux... et trois... Au moment où elle va sauter, un cri en dessous d’elle :
— Arrête !
Mais elle a déjà entamé son mouvement et réussit à atterrir assez souplement sur la roche qu’elle visait. Elle n’a pas lâché la ceinture qui l’a aidée à se stabiliser, le petit arbre tordu, ô miracle, n’a pas cédé. Son cœur bat à tout rompre et une grosse douleur lui scie le genou droit qui a heurté la paroi.
Un regard vers le bas : un escaladeur, bardé de cordes, mousquetons et autres dégaines, l’a aperçue en mauvaise posture et vient à sa rencontre.
— Ne bouge pas, je vais t’aider.
Il était temps. La douleur, l’angoisse qu’elle vient de vivre, l’intensité de l’effort qu’elle a fourni, lui ôtent tous ses moyens. La suite, elle n’en garde qu’un souvenir vague. Elle ne sait plus comment le jeune homme a réussi à se hisser sur un rocher pour l’atteindre, elle se souvient qu’il lui a parlé calmement et l’a conseillée pour désescalader les deux ou trois mètres qui lui restaient à descendre, elle se souvient aussi du moment où ses mains fermes l’ont soutenue alors qu’elle perdait connaissance.
Plus tard, assise à l’ombre des pins, elle masse son genou et grignote quelques friandises que son sauveur lui a données.
— Comment tu as eu l’idée d’utiliser ta ceinture pour t’aider ? lui demande-t-il d’un air goguenard.
Réponse dans un fou-rire nerveux :
— C’est à cause de Grand-Père !
c'est donc une très belle histoire? . A croire que les lecteurs n'ont pas de coeur et préfèrent l'horreur? C'est pourquoi je vous livre en pâture mon court et noir, horreur oblige, https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/sang-noel.
Bravissimo pour votre texte
J'avoue avoir frissonné avec l'héroïne, coincée sur sa falaise ; l'arrivée de l'autre alpiniste était totalement inespérée...
J'ai beaucoup aimé ce texte, merci à vous de nous l'avoir partagé !
Je me permets de vous proposer une histoire, en lice pour le Prix court et noir, qui n'a, certes, pas autant de suspense, mais j'espère qu'elle pourra vous plaire également : https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/une-fleur-dans-la-neige
Et encore merci pour cette très belle et prenante histoire !
Prends soin de toi.
Julien.
Amitiés .
Julien.