Mater mæ, à ma mère

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Tout est d’une blancheur absurde autour de moi, l’odeur âcre de la javelle et du désinfectant me restent à la gorge.
Je suis l’hôpital de fann de Dakar, pour l’identification d’un corps.
J’ai reçu la tragique nouvelle il y’a deux jours, d’un parfait inconnu travaillant pour les forces de l’ordre.
- Excusez-moi, vous êtes bien Salimata Dia ?
- Oui, c’est bien moi.
- Je suis Monsieur Ba, le médecin légiste, veuillez me suivre pour qu’on puisse passer à l’identification.
C’est avec nervosité que je le suivis jusqu’à ce qui me semblait être la morgue. La température y était glaciale, et il y dégageait l’odeur nauséabonde de la mort.
Il me fit signe d’approcher d’une table, ou il y’avait un cadavre recouvert d’un tissu blanc. Sans plus de cérémonie, il releva doucement, et d’une lenteur ridicule, le drap blanc qui recouvrait le macchabée.
C’était bien elle, c’est elle. Ma mère.
- Oui, c’est ma mère. Pouvez-vous nous laissez quelques minutes je vous prie.
- Oui bien sûr, mes sincères condoléances.
J’arrive toujours pas à y croire, ma mère est morte, elle est morte et j’ai devant moi son corps sans vie.
Son visage jadis plein de vie, et méconnaissable, les ravages du temps y ont laissé leurs empreintes immuables.
Je me souviens même plus de son visage d’avant, ça doit faire des années que je ne l’ai pas vu, ni parler.
Elle était déjà morte pour moi avant de se retrouver sur cette table.
Quelle ironie du sort !
L’officier qui m’a appelé m’a dit qu’elle a été assassinée par la femme de son amant, qui l’a poignardé 59 fois.
Elle n’a eu que ce qu’elle méritait tout compte fait.
Cette femme m’a vendu à l’âge de 15 ans à un vieux porc de presque 70 ans pour de l’argent, je ne ressens aucune sympathie pour elle, aucune tristesse, seulement de l’apathie.
Nous étions une famille heureuse quand mon père été encore de ce monde, ma petite sœur Khady et moi, vivions heureuses et épanouies, jusqu’à ce jour fatidique où il succomba à une crise cardiaque.
C’était un homme bien, un bon père, un mari aimant.
Après sa mort, ce fut une véritable décente aux enfers, il avait énormément de dette, et ne nous avait quasiment rien laissé.
C’est à ce moment-là que ma mère à commencer à changer, elle qui étais habituer au luxe, à l’oisiveté a vu son monde ce désintégré.
De plus en plus avide, et ne supportant plus la vie de misère que nous menions, elle a jugé bon de troqué la chair de sa chair pour quelques billets.
Elle a donné ma main de force à cet homme.
Un homme qui m’a tout pris. Mon innocence, mes espoirs, ma dignité.
- Je n’avais que 15 ans maman, 15 ans. Et pourtant la violence fut mon quotidien, ce monstre me violait presque chaque jour, me battait, me mutilait, tandis que tu restais là sans rien faire. Assise à la première loge, spectatrice de mon calvaire.
J’ai cru mourir la première fois, il a arraché toute mes vêtements et s’est jeter sur moi comme animal, m’écrasant de tout son poids, il s’est déchainé sur moi avec une telle violence que je me suis évanouie plusieurs fois, mais ça ne l'a pas empêché de finir et de recommencer son besogne. À un moment j’ai eu l’impression de sortir de mon corps et de voir la scène qui se passait devant moi depuis un autre corps.
Ce soir là marqua, le début de la traverser de géhenne pour moi.

Il m’a tout pris, parce que tu lui as permis.

Tu fermais les yeux parce qu’il t’entretenait, parce que tu ne voulais pas voir,
parce que ça t’arrangeait.

J’ai tenu trois ans dans cet enfer, trois années de torture sans fin.
J’ai tenu bon jusqu’au jour oú après son rituel de viol et de souillure quotidien,
il m’annonça avec un ricanement saugrenu que je ne le satisfaisais plus comme avant et qu’il allait peut être prendre Khady comme
« épouse » aussi.
Mon sang ne fit qu’un tour, je vue rouge, je ne pouvais pas le permettre. Pas elle. Pas elle. Pas ma petite sœur.
Ce vieux pédophile dégueulasse, envisageait également de faire subir les mêmes sévices à ma petite sœur de 13ans, la seule personne au monde qui m’aidait à ne pas en finir avec cette vie, à ne pas m’ouvrir les veines après avoir égorgé ce monstre.
C’était la goutte d’eau de plus ; je ne pouvais pas laisser faire ça.
C’est donc tout naturellement maman que j’ai dû faire ce qu'il fallait faire.
Je mélangis du datura à chacun des repas que je lui préparais soigneusement, puis je le regardais dépérir de jours en jours. Savourant chaque instant, me délectant de son agonie avec grand plaisir.
Il rendit l’âme au bout de quelques semaines, j’usai de toutes mes ressources et moyens pour qu’il n’y ait pas d’autopsie, moi sa veuve de 17 ans venait d’héritait de toute sa fortune, de quoi corrompre quiconque, et d’effacer les preuves.
J’estimais que c’était ma récompense pour les bons et loyaux services d’esclave sexuelle, que dis-je, de « parfaite épouse » rendu.
Je pris Khady avec moi et coupait tout lien avec toi. Je partie loin, très loin de toi, sans rien te laisser, sans me retourner.
Je recommençai une nouvelle vie ailleurs, loin.
Au fil des années, on m’a rapporté la vie de débauche que tu menais, ta déchéance pour revivre tes jours heureux d’antan. Rôdant comme une charogne autours des hommes riche.
Quand, j'y pense je me dis que j’aurais peut-être pu te sauver, te détourner de ton ambition obsessionnelle pour l’appât du gain.
Quand es-tu devenu ainsi, ou était passé la femme douce et aimante que je connaissais, ou était passé notre mère, la femme qui devait nous aimer plus que tout au monde.
On n’avait pas besoin d’argent mais de ton amour inconditionnel, tu étais censé nous protéger, nous aimer plus que tout au monde. Mais c’était peut-être au-dessus de tes forces j’imagine.
Comment a fait mon père pour ne pas voir qui tu étais vraiment, la duplicité que tu cachais sous ton masque ?
Je lui en veut, je lui en veut énormément, parce qu’il savait, il savait forcément. D’ailleurs il s’est endetté pour satisfaire tes rêves de grandeur.
Comment a-t-il pu ne pas prévoir tout ceci ? Comment ?
J’ai pris l’avions pour venir me confesser aujourd’hui.
J’espère pas de réponses, ni de regrets de ta part.
D’ailleurs, tu ne me répondras plus jamais.
Je suis venue pour que tu me libère maman, de toute cette haine qui m’empêche de respirer, de tous ces cauchemars qui hante mes rêves à chaque fois que je ferme les yeux.
De ce cortèges de souffrance que je porte sur le dos. Je suis venu pour réparer mon âme.
Tu sais, j’ai une belle vie maintenant, je suis heureuse. J’ai refait ma vie à Bruxelles, j’ai repris mes études, je suis à la tête de mon propre entreprise, j’ai épaulé et aider ma sœur à trouver sa voie dans la vie, c’est une très belle jeune femme maintenant, belle et forte.
Elle m’a aidée à recoller les morceaux, m’a donnée la force de continuer.
J’ai rencontré un homme formidable, quelqu’un de bien, on s’est marier et on a adopté deux merveilleux enfants, Ramata et Khalil, mes prunelles.
Les séquelles des nombreux fausses couches que mon corps à subit, ont fait que je ne pourrais plus jamais porter d’enfant. Tu m’as enlevé ça aussi, il m’a pris ça aussi.
Mais n’empêche, je suis mère, et une bonne mère. Je ne serai jamais comme toi.
Je suis là aujourd’hui pour clore le chapitre, pour moi et pour eux, et parce que quand je me regarde dans le miroir, j’y vois une femme forte, une femme qui s’est relevé malgré les coups, une survivante.
Je suis venue te voir pour te dire que je te pardonne maman, je te pardonne.
J’aurais aimé te pardonner plutôt, mais c’était au-dessus de mes forces .
Cependant j’espère, vraiment, et du fond du cœur que tu as pu te pardonner.

Je remis le drap sur son visage, et repartie encore une fois sans me retourner, loin, le cœur léger, et étrangement les yeux humides.
Le sablier du temps repris son cour, et m’insuffla un air plus pure, plus respirable, un air de rédemption.

À dieu, et à jamais, maman.