Bon, tout est impeccable ! La table est bien mise avec juste ce qu’il faut de bougies et elle a sorti son service de verres préférés. Cette fois, il ne pourra rien lui reprocher et il sera... [+]
Marine
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Sur la plage, un enfant pleurait. Ses cris emplissaient l’air. Des promeneurs passaient sur le remblai, des adolescents tapageurs, des vieillards apeurés, une femme jeune encore, un chien fou à ses talons. Un monde de vacances, sans aventure et sans rêve. Un temps échappé au temps, et le rire des mouettes en prime.
Dans la maison de l’impasse, Marine devenait silencieuse et les courants d’air claquaient les portes et lui fermaient la bouche et le cœur. De la fenêtre de la chambre du haut, elle distinguait le pigeon niché dans le laurier géant qu’on parlait d’abattre depuis des années. Une journée, oui encore une et les questions à éviter…
La vieille femme qui vivait avec elle dans la maison se levait toujours de bonne heure. Tôt le matin, elle s’activait, ressassant les priorités du jour : acheter le journal, une tranche de pâté, une demi-baguette de pain, se baigner au moins trois fois dans l’après-midi et prendre le soleil. C’était une femme dynamique et sportive qui ne faisait pas son âge, dotée d’une certaine élégance alliée à une sécheresse du cœur. Il arrivait à Marine d’en avoir pitié, alors elle changeait de tenue. Une autre robe, pour être une autre femme, une femme qui n’avait peur de rien, qui n’avait rien à elle que quelques robes suspendues dans une maison mal entretenue. Quand elle était dans la maison des courants d’air, il lui semblait n’avoir plus que sa beauté tendue entre elle et les autres. Légère et hardie, elle regardait la vie bien en face et les hommes pareillement. Son sourire venait vite et ils avaient alors envie de la prendre contre leurs corps exigeants. Elle souriait dans la rue, aux terrasses des cafés, dans le reflet des vitrines, sur la plage ensoleillée. Dès le premier regard, ils entraient dans son jeu, un jeu d’amour et de hasard dont elle était devenue experte. Elle provoquait des rencontres insouciantes avec des hommes dont elle aimait par avance l’odeur et le désir. Elle se choisissait un partenaire différent chaque soir, qu’elle quittait le matin. Elle repoussait des bras entreprenants, des lits accueillants et chauds pour une maison sale, tenue par une vieille femme entêtée et ainsi l’équilibre était maintenu.
Plusieurs étés passèrent. Marine si sage durant l’hiver, loin de la vieille femme, reprenait avec fébrilité, dès qu’elle retournait dans la maison de l’impasse, ce qu’elle appelait ses luxures estivales. Des corps à corps éphémères avec des hommes à peine regardés lui suffisaient pour supporter sa vie durant tout un été. Elle avait besoin de les sentir en elle, de les voir s’écraser sur elle avec leurs bouches et leurs sexes avides et elle leur était reconnaissante de l’arracher pour quelques instants de jouissance, à cette maison qu’elle ne parvenait pas à abandonner.
Puis arriva l’été où la vieille femme commença à perdre la tête. Sa mémoire s’en allait d’un mot à l’autre et cette femme qui ne fut jamais douce, curieusement le devint. Marine n’en fut pas étonnée. L’oubli qui tombait sur la vieille femme, était le prolongement d’une vie de dérision, sans engagement de cœur ou de raison, tournant autour de ses propres plaisirs et uniquement habitée par eux. Avec horreur, elle songea qu’elle empruntait la même voie. Elle décida alors de renoncer aux hommes et tenta de se faire une vie près de la vieille femme, dans la maison délaissée par la mémoire et l’amour.
Mais l’équilibre était rompu et ce fut impossible. Elle achetait des objets inutiles qu’elle déposait sur des meubles de la salle à manger et la vieille femme s’empressait de les reléguer dans le fond du garage. Ce que l’une croyait aimer, l’autre le détestait. Ce que l’une voulait, l’autre le rejetait et il en serait ainsi jusqu’à la fin. Il n’y avait entre elles que cette maison laide et sans âme qu’aucune des deux n’avait le goût de rendre vivante.
Enfin, la vieille femme dut quitter la maison pour une autre maison. Marine la laissa partir, soulagée de se retrouver seule et de savoir qu’une autre femme qu’elle, devrait répondre aux questions sans cesse posées et aurait à toucher, à nettoyer, à soigner le corps de sa mère.
Après son départ, elle transforma la maison, coupa ses cheveux, s’acheta de nouvelles robes et, étrangement, sentit venir en elle, une envie pressante d’escapades légères, de rires enchantés, un besoin irrépressible d’amour et de vie.
mère et fille : parentes mais étrangères
j'ai bien aimé cette histoire malheureusement très courante!