Maria

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Il fait nuit et seul un mince rayon de lune éclaire la petite pièce où je suis logé dans la maison de Manuel, mon guide. C’est une petite maison assez spacieuse en comparaison de celle que j’ai eu l’occasion de voir dans le reste du village ; elle se compose de trois pièces et je suis logé dans la plus grande. Manuel et sa femme ainsi que leurs cinq enfants sont des personnes tout à fait charmantes, gentilles et d’une grande générosité et bonté d’âme. J’ai vraiment de la chance d’avoir trouvé un guide pareil car en plus d’être une personne fort sympathique, il fait très bien son métier et me fait découvrir les environs et les histoires des lieux.
Des histoires, il m’en conta un bon nombre. Des légendes, des vieux contes et un tas d’anecdotes sur des arbres aux vertus miraculeuses, des montagnes colériques qui se mettraient soudain à bouger ou encore sur des serpents qui se seraient transformé en rivière et dont l’eau est dorénavant sacrée. Mais l’histoire qui marqua le plus mon esprit est sans nul doute celle de Maria du fleuve noire.
Hier après-midi, cependant que nous marchions, Manuel et moi près du village dans une immense prairie verte, mon regard fut attiré par une couleur qui contrastait nettement avec les teintes chatoyantes et vives du paysage ; c’était un fleuve noir. Non pas que le fleuve était d’un noir complet, néanmoins ses eaux étaient extrêmement sombres.
Manuel remarqua ma fascination pour cet endroit et me proposa d’y revenir le lendemain afin d’y passer l’après-midi car il se faisait tard et le lac était encore loin. J’avoue avoir été assez pressé de revenir et le lendemain comme convenus nous allâmes au lac noir. En arrivant Manuel me précisa qu’il aurait bien aimé qu’on puisse voguer sur le lac mais que c’était interdit. Je pensais naturellement à une vieille coutume ou légende qui rendrait ce lac sacré et en interdirait l’accès aux étrangers. Mais, comme répondant à mes réflexions, Manuel m’expliqua que ce qui faisait la couleur si particulière de ce lac c’était un énorme trou juste en dessous et qu’il était dangereux de s’y aventurer. Il se tut puis nous nous assîmes en silence au bord des eaux sombres, je m’allongeais un instant sur l’herbe, je fermais les yeux et je m’assoupis sans m’en rendre compte quand je me réveillais en sursaut :
- Je viens d’entendre la voix d’une...d’une femme..., balbutiais-je
- Une femme dis-tu mon ami ? me dit calmement Manuel
- Oui, elle était... là. Ne l’as-tu pas entendu ? lui demandais-je
- Tu as sûrement dû rêver et tes songes ont été visité par Maria.
- Maria ? interrogeais-je
Sans répondre à ma question, il se leva doucement et me dit : - marchons un peu !
Je le suivis et nous nous mîmes à longer le lac. Manuel me dit alors :
- Il y avait jadis aux abords de ce lac un village, ce n’était pas ce qu’on appellerait un grand village, disons plutôt un petit hameau. Ses habitants y menaient une vie paisible et travaillaient durement pour vivre.
J’interrompis Manuel pour lui demander comment s’appelait ce village ?
- Son nom est désormais oublié des mémoires, personne ne sait plus comment se nommait ce village mais tout le monde connaît le nom de la jeune femme qui le rendît célèbre ; Maria.
Maria était la femme du chef du village, elle venait d’une contrée étrangère. Elle était dit-on, d’une grande beauté, elle avait de longs cheveux couleur d’ébène et le chef du village serait tombé sous son charme et l’aurait demandé en mariage le lendemain de leur rencontre. La jeune femme était douce et charmante et aimait profondément son mari et son époux de son côté n’avait d’yeux que pour elle depuis le premier jour où il l’avait vue. Il ne lui refusait absolument rien et prenait bien soin de sa jeune épouse. Quelque temps seulement après leur mariage, le chef dût s’absenter pour un voyage dans une région voisine. Il laissa, non sans peine au cœur, son épouse au village et lui promit de revenir le plus vite possible.
- Que désires-tu ? lui demandât-il
- Cueille la plus belle fleur que tu rencontreras sur ton chemin, sèche là et rapporte-la-moi. Ainsi tu te souviendras de moi durant ton voyage. Lui demanda Maria.
Le chef du village s’en alla. Quelque temps s’écoula et un jour, Maria alla se promener seule dans cette prairie où nous sommes aujourd’hui. D’ailleurs nous devrions rebrousser chemin, nous nous sommes trop avancé et il commence à se faire tard.
Je disais donc, continua Manuel tandis que nous retournions sur nos pas, je disais donc que Maria en se promenant découvrit par hasard le lac, elle s’assit sur un rocher et de sa douce voix elle se mit à chantonner et à fredonner des vieux refrains et à peigner sa longue chevelure de jet, elle apprécia tellement le calme de l’endroit qu’elle revint le lendemain. Par la suite, elle retourna souvent au bord du lac mais jamais elle ne se baignait, elle ne savait pas nager. Un jour qu’elle s’en allait au lac, une vieille du village l’arrêta un moment pour l’avertir d’un danger ;
- Mon enfant, lui dit-elle de sa voix tremblante, l’endroit où tu te rends est habité par un mauvais esprit qui enleva plusieurs âmes. Tu ferais mieux de demeurais loin du lac aux eaux sombres !
Maria ne prit pas garde du conseil de la vieille femme et s’en alla au bord du lac. Une heure s’écoula puis une autre et une autre...vint le soir et Maria ne rentrait toujours pas, elle ne rentrera jamais car le lac l’avait enlevé. On retrouva son peigne sur un des rochers qui bordent le lac, mais d’elle, on ne retrouva aucune trace.
Quand le chef du village revint, heureux de retrouver sa femme, on lui dit tout simplement : « l’esprit du lac aux eaux sombres, charmé par la belle Maria, l’enleva près de lui ».
Le chef du village laissa tomber la fleur séchée qu’il tenait entre les mains et se précipita au lac, prit une barque et ramant de toutes ses forces il se mit à crier le nom de sa femme. Fou de chagrin, il ne se remit jamais de cette soudaine et tragique perte et chaque jour, tous les jours du reste de sa vie, il battait de ses rames les eaux vides du lac, s’époumonant et hurlant : Maria ! Un jour il s’en alla et vers le coucher du soleil il disparut, ainsi le lac le prit lui aussi.
Tandis que Manuel prononçait ses dernières paroles, je me retournais et vis derrière nous le soleil plongeait dans le lac noir et disparaître, comme si le lac l’avait doucement avalé. Cette vision me laissa une grande impression !