Marathon

New-York, Marathon : 42,5 km. J'y suis enfin ! J'en ai tellement rêvé de ce moment là, depuis des mois, des années. Je m'y suis préparé avec acharnement. Je m'y suis donné corps et âmes. Je suis passée par des moments d'euphorie, de galère, de rage, de désespoir et de fatigue. J'ai ri, pleuré, crié. Mais je n'ai rien lâché. Et aujourd'hui, la récompense suprême est là. Je suis sur la ligne de départ.
Je regarde autour de moi, nous sommes des milliers à attendre, mais j'ai l'impression d'être seule dans cette carapace que j'ai appris à me forger, à force de concentration, de séances de yoga. Mon cœur bat à cent à l'heure, mais en même temps, je me sens très calme, déterminée.
Départ dans dix minutes. Je n'entends plus que les battements de mon cœur qui s'accélère légèrement. L'adrénaline ! Je sautille pour me donner une contenance, j'ai hâte de m'élancer.
Plus que cinq minutes. Je sens une bouffée de chaleur envahir mon corps. J'ai envie d'aller aux toilettes. C'est pas le moment. Arrête ton cinéma ! Je me raisonne. Puis la voix au micro :
· Ready ? Steady ? GO !
C'est parti. On me bouscule. Oh ! Non mais ! Moi aussi je sais faire ! Je joue des coudes, prends ma file et n'en bouge plus.
Les rues de la ville sont envahies par la foule. Les gens crient, applaudissent, il y en a même qui sont déguisés comme pour un carnaval. Un festival de couleurs, c'est génial. Tous ces gens ont l'air tellement sympathiques, et je leur souris, même si je ne comprends rien à ce qu'ils disent !
Cinquième kilomètre. Il faut que je me concentre un maximum. Je ne m'arrête pas au ravitaillement. J'évite de boire car cela me donne envie de gerber, et le glucose est franchement dégueulasse. A moi de gérer.
Dixième kilomètre. Là il faut que je m'arrête pour grignoter, boire un peu quand même et prendre le temps de souffler. Je me rince la bouche, avale quelques fruits secs qui tombent dans mon estomac comme du plomb. Les muscles commencent à me faire mal, je me baisse et me relève à plusieurs reprises et je repars. Je cale ma respiration sur ma foulée ou l'inverse, je ne sais plus. Concentration. Je sais que je ne dois pas regarder mon chrono, mais c'est plus fort que moi. J'ai mis quarante cinq minutes. Pour l'instant, c'est bon.
Quinzième kilomètre. Même topo. Je me rince la bouche avec un peu d'eau et je mange une barre de céréales. Je jette un coup d’œil aux autres filles, elles semblent tenir le coup. Il va falloir que je m'arrache. La rigolade, c'est fini. Vous allez voir ce que vous allez voir ! Je repars gonflée à bloc.
Vingtième kilomètre. J'ai retiré mon chrono de mon poignet pour le mettre dans mon short pendant le ravitaillement. Mais il me gêne pour courir, je le remets mais je m'interdis de le regarder. Nous ne sommes plus qu'une poignée en tête de course. Le plus dur reste à faire. Mes muscles ? Je ne veux pas y penser.
Trentième kilomètre. Ca commence à faire mal ! Il me faut penser à autre chose. Je chante dans ma tête "Un jour j'irai à New-York avec toi, la, la, la, la la, la... ". Chanter me casse le rythme. Je savais que ce serait dur, la galère commence. Ta gueule, mais tais-toi donc ! Merde, une fille me dépasse ; mais pour qui elle se prend celle-là ?! Je me re-concentre, j'inspire, j'expire, c'est bon, je reprends le rythme et je la double la pétasse ! Pardon, c'est pas cool de ma part, je suis en train de débloquer ! Elle me talonne encore au trente cinquième kilomètre. Là, elle me dépasse. Elle est coriace la garce ! Mon hypothalamus arrive à saturation, il rejette toute l'endorphine, je suis shootée à fond ! Aïe ! Point de côté. Non, les gaz, ma hantise. Je penche légèrement mon buste pour essayer d'évacuer, mon ventre gargouille. Pas facile de courir en serrant les fesses ! Je respire lentement, me re- concentre. La douleur finit par s'estomper, les gaz avec !
Quarantième kilomètre. La garce est toujours devant moi mais au pris d’un ultime effort, je repasse devant elle. Elle n'a pas l'air contente mais je m'en fous ! J'ai l'impression que mes jambes sont deux bouts de bois. Il faut que j'applique tout ce que j'ai appris. Ce n'est plus de l'entraînement, c'est la course, la vraie, avec une médaille d'or au bout. Et cette médaille; je ne la laisserai à personne.
Plus que deux kilomètres à parcourir dont un avant l'entrée dans le stade. J'accélère un peu, je ne sens plus mon corps. Je suis dans un état second. Je me retourne, elle est là, à une dizaine de mètre. Elle a l'air de souffrir. Tant pis pour elle, je ne vais pas la plaindre quand même ! Il ne faut plus te retourner et puis c'est tout !
Le stade ! Plus qu'un kilomètre. J'y suis ! J'y suis ! Je passe l'entrée, je suis éblouie. Une foule en délire m'acclame debout. J'ai des ailes, je vole, je suis en apesanteur ! Je me concentre à nouveau pour ne pas perdre mon énergie, je fonce vers la ligne d'arrivée dans un état second. Quatre cents mètres. J'ai mal aux jambes. Trois cents mètres. Deux cents mètres, la foule exulte, me crie des « Yes : Yes ! ». Plus que cent mètres, j'y crois ferme. Je me retourne une dernière fois, personne, je suis seule au monde. Cinquante mètres, c'est l'euphorie ! Mes jambes ne m'appartiennent plus, seul mon cerveau fonctionne. Avance, avance. Je vois la ligne blanche se rapprocher, je suis hypnotisée par elle. Mon chrono se met à sonner et me déstabilise, je tombe sur la piste et je crie : « Nonnnnnnnnnnnnn ».
Et je me suis réveillée !