Maquisard

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Entre photographie et désert, les mots se glissent, les mots toujours, à lire et à écrire.

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  • La peur
Arrivé sur le replat, il reprit difficilement son souffle, ses poumons le brûlaient.
Hou ! Quelle course ! Il lança un coup d'œil à droite, un à gauche. Tout semblait désert.
Bon, ça a l'air tranquille, pensa-t-il. Toujours sur le qui-vive.
Aucune lumière ne brillait dans le hameau de Trézanne qu'il venait de traverser.
La pleine lune éclairait le mont Aiguille tout proche, sa silhouette massive se découpait dans la clarté liquide, quelques lambeaux de brume frissonnaient à sa cime.
Il le connaissait par cœur, cet OVNI de calcaire qui l'avait vu naître à ses pieds. Mais ce soir, il n'avait guère le temps de discuter avec lui. Il lui tourna donc le dos, et traversa en courant la piste forestière qui zigzaguait jusqu'à Papavet et bien au-delà du col.
Il se laissa tomber lourdement dans le fossé d'en face, profond mais plein d'orties. Le contact abrasif sur son visage lui arracha une grimace de douleur. Il s'accroupit dans l'obscurité, haleta avant de respirer profondément, son cœur battait comme un fou, prêt à disloquer ses côtes.
Autour de lui, la forêt bouillonnait, spectres et monstres poilus surgissaient de la végétation, tous le menaçaient de leurs pistolets. Il retint à temps un hurlement d'enfant terrifié. Il ferma les yeux et s'apaisa un peu, recroquevillé autour de sa peur.
Les ombres reprirent alors leur place d'ombres, les arbres leur place d'arbres, la piste redevint une simple voie lactée éclairée par la lune.

Il prit une grande goulée d'air et essuya en silence la sueur sur ses yeux, la pluie dans son cou, le feu des orties sur sa peau rougie.
Il ne pouvait rester là, immobile ; d'ailleurs, il ne pouvait rester nulle part.
Condamné, pris dans la nasse, il fallait qu'il continue à monter pour rejoindre le col de l'Aupet, le passage obligé au pied des falaises du géant de pierre.
De là, il descendrait à Chichilianne, son village, où se trouvait sa seule chance de survie, son contact, si toutefois ce n'était pas trop tard.
Peut-être que, las d'attendre ou traqué, ce contact, inconnu, s'était déjà replié vers le Pas de l'Aiguille, pour se mettre à l'abri dans la montagne ?
Secouant la tête pour contrer cette mauvaise idée, il étudia le silence alentour.

Les autres, ceux d'en face, étaient à sa poursuite, et bien qu'il n'entendit rien pour l'instant, il savait qu'ils n'étaient pas loin, ils le reniflaient comme des chiens enragés depuis si longtemps déjà.
Il devait continuer son chemin, partir vite, aller au bout de sa fatigue, au bout de sa vie sans doute aussi, ça il le sentait dans sa chair.
Il devait malgré tout essayer de fuir. Il avait presque vingt ans, il voulait vivre.

Il se releva lentement, avec une lenteur étonnante, sans doute pour ne pas réveiller les ombres et les armes imaginaires qu'il venait de conjurer. Lenteur aussi pour faire corps avec les ondulations des ténèbres, pour se fondre dans les éléments de la nuit.
Et ainsi, croyait-il, disparaître des écrans-radars de l'ennemi.
Courbé en deux, il trottina en zigzag dans un champ boueux, piétinant quelques vestiges de cultures. Machinalement, il identifia des plants de pommes de terre.
Mais franchement, quelle importance !
Il rejoignit les chemins de traverse, escalada les raccourcis abrupts, rampa sous les bosquets, il marchait, courait, à l'abri des ramures protectrices. Il avançait vite malgré la fatigue et la faim qui commençaient à se faire sentir.
La lune lui permettait de se diriger sans avoir recours à sa lampe de poche. Bonne guide. Mais elle le mettait en danger en sculptant sa silhouette en mouvement. Mauvaise guide.

Il dépassa rapidement la cascade de la Pisse, mais le sentier devint trop éclairé, trop exposé. Il fallait qu'il se cache mieux pour ne pas devenir une cible de plein jour.
Il disparut donc à couvert, dans les taillis sombres et serrés, où les ronces aiguisées s'accrochèrent immédiatement à ses vêtements, essayant de le retenir au passage.
Coup de frein sur sa fuite. Bon sang, il aurait voulu pouvoir courir, au moins marcher plus vite, mais le lacis des épines ne l'entendait pas de cette oreille et le pierrier, traître, se mit à rouler sous ses pas.
Soudain, une racine épaisse, son pied heurta le piège invisible, c'était la chute, le bruit qui résonnait, qui le signalait aux autres, et les graviers dans la bouche, les tremblements, la peur, terrible, les lèvres mordues au sang pour ne pas crier. Il était à terre, vulnérable, repérable et certainement repéré. Alors, les larmes ne purent s'empêcher de jaillir, creusant des sillons sur ses joues blêmes.

Pendant de longues minutes, il resta au sol, vautré dans la boue, paralysé, gardant cependant l'oreille aux aguets, attendant l'inéluctable.
Un chuintement derrière lui, un frôlement, comme un glissement-mouvement tout près. Panique jusqu'au vertige, jusqu'à la perte de connaissance.
Puis un craquement net, branche brisée sous une galoche, et là, juste au-dessus de lui, une silhouette casquée, qui se détachait sur la clarté glauque de la lune.
Reflets d'argent de l'arme braquée sur lui, dernière vision.

La terreur galopa dans ses veines, le glaça. NOON !
Il roula sur le côté, sortit péniblement son pistolet de son manteau déchiré.
Il trembla, il tira, il tira... Il vida le chargeur, dernier degré du désespoir.
Mais il savait qu'il ne ferait plus jamais la sieste dans l'ombre bienveillante de son ami, le mont Inaccessible, il savait qu'il ne vivrait plus jamais d'été avec les douces brebis sur le Platary, l'alpage de son enfance... Il savait... que cette forêt abritait le terminus de sa ligne de vie... Il savait...

La lampe l'aveugla, la balle étoila son front.

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